Ombres (EN PAUSE)

Une Rencontre

L'Amnésique courait le plus vite possible, tentant d'échapper à une bande de policiers qui l'avaient reconnu. Il fendait la foule, effrayé, fébrile, presque déjà hors d'haleine.

De loin, Crow l'observait, amusé.

"Encore une Ombre qui s'ignore, pensait-il. S'il avait conscience de ses pouvoirs, il aurait pu disparaitre rapidement."

Transformé en corbeau, Crow, le suivait, cherchant à se divertir. Mais surtout, à se sortir Raven du crâne. Seulement il aurait préféré se faire amputé tous les membres de son corps en commençant par les phalanges et en terminant par les couilles plutôt que de se l'avouer. Après tout, il ne faisait pas dans la dentelle et le revendiquait haut et fort à qui voulait bien l'entendre.

L'Amnésique fonça dans un jardin quelconque et se planqua entre la clôture et le buisson. Il avait eu de la chance, les flics n'ont pas pensé à chercher à cet endroit, persuadé qu'il avait couru encore plus loin.

Crow atterrit en douceur juste devant lui.

Au bout de quelques minutes, l'Amnésique se releva, chancelant, essoufflé. Cependant même pas une poignée de secondes après qu'il se soit relevé, il vit une jeune fille sortir, guillerette, un exemplaire d'un recueil de nouvelles de Lovecraft sous les bras. Elle s'installa au centre du jardinet, à plat ventre, ouvrit le livre et commença sa lecture sous un ciel grisâtre.

Et bien qu'elle fut seule, il entendit une voix masculine à côté d'elle :

-Sérieusement, t'as pas autre chose à faire ?!

-La paix Damien.

-On croirait presque que tu n'as jamais été menacée de mort de ta vie !

-Ça fait un moment, c'est bon, laisse-moi tranquille ! Il va pas revenir de sitôt, si ?

Ledit Damien grogna et la jeune fille retourna à sa lecture, ses cheveux blonds ondulés tombant en cascade à côté de sa tête, formant un rideau hermétique à tout nuisance extérieure.

Le jeune homme, caché à même pas quelques pas d'elle, hésitait entre être choqué d'avoir entendu une voix venant de nulle part ou être choqué parce que la jeune blonde lui avait répondu.

De son côté, Crow était à deux doigts d'éclater de rire.

C'était cocasse, tout de même, une Ombre fugitive se cachant dans le jardin d'une autre Ombre qui parlait à des morts. Le plus drôle dans tout ça, c'est que les deux semblaient ignorer leurs natures. Après tout, si la demoiselle savait ce qu'elle était, elle aurait grillé le tueur repenti depuis des lustres !

-LUNA !!!!

-Baisse le son, Damien, tu me casses les oreilles.

-Y a un intrus dans le jardin !!

Le coeur de l'Amnésique cessa de battre.

-Et il est où ton intrus ?

D'un coup, le jeune homme fut tiré en avant par les bras et finit à plat ventre aux pieds de Luna. Passé le choc, il leva ses yeux azur vers ceux de la demoiselle, qui étaient gris, d'un air suppliant :

-S'il vous plait n'appelez pas la police !

-Pourquoi je vous écouterai ?! Vous vous êtes introduits chez nous sans autorisation !

-Parce que justement, j'essaie de la fuir !

-Et vous pensiez vraiment que cette justification m'empêchera de faire ce que je veux, fit-elle en reculant ?

-Non, attendez ! Pitié, je ne veux pas retourner à l'asile !

-Et pourquoi est-ce-que t'étais à l'asile, l'agent secret, questionna Damien ?

-Je... J'ai fait d'énormes erreurs qui m'ont valu pas mal de problèmes... Que j'ai mérité...

Luna ouvrit grand les yeux, stupéfaite :

-Vous pouvez l'entendre ?!

-B-bien sûr...

La jeune fille passa de stupeur à curiosité :

-Vous avez déjà entendu des gens comme lui avant ça ?

-Non, jamais

De son côté, Crow se régalait. Il trouvait la scène tellement marrante qu'il était sur le point de redevenir humain afin d'éclater de rire. Après tout, les cris de corbeau lui semblaient dissonants, comme à beaucoup d'ailleurs.

Luna décida de rentrer avec l'Amnésique, ayant l'intention de discuter un peu plus autour d'une boisson.

Le corbeau décida d'aller se balader ailleurs, réfléchissant au meilleur moyen de faire une prise de sang à Atropos sans que Raven ne se rende compte de quoi que ce soit, tout en échappant à la surveillance de Wolf qui détectait l'odeur du sang mieux que n'importe qui.

-Café ? Thé ? Chocolat ? Autre ?

-Euh... Si vous avez du café, cela me conviendra.

La jeune fille prépara du café et s'assit face à l'Amnésique sur la table de la cuisine, le temps que ladite mixture chauffe :

-Comment vous appelez-vous ?

-Gauthier. Et avant que vous ne me posiez la question, j'ai 27 ans.

-Ben dites donc, vous êtes pas tout jeune !

-Par curiosité, vous avez quel âge pour me dire ça ?

-16 ans. Dites, par curiosité, qu'est-ce-que vous avez fait pour être poursuivi par la police ?

-Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de vous dire cela maintenant... Il y a de fortes chances pour que cela vous pousse à me mettre à la porte..

-Je m'en fous. J'ai failli me faire tuer il y même pas 2 semaines et j'ai réussi à coller mon adversaire la raclée de sa vie, alors si j'estime que vous êtes trop dangereux vous allez prendre cher.

Gauthier eut un léger sourire, mais se rembrunit presque aussitôt :

-Je... Quand j'étais jeune je tuais des gens... C'est pour ça que j'ai fini à l'asile, j'ai été diagnostiqué comme fou...

Luna n'eut aucune réaction, si ce n'est d'aller chercher le café qui était fin prêt, en plus de deux mugs.

-Sucre ?

-Vous avez fait attention à ce que j'ai dit ?

-Oui, mais cela ne répond pas à ma question.

-Non merci.

Elle servit le café brûlant et prit son mug dans ses mains, s'amusant à se les cramer tandis que Gauthier soufflait sur le sien.

-Plus sérieusement, fit-elle, vous avez l'air tellement pitoyable que j'hésite légèrement entre un bon jeu d'acteur et des sentiments sincères. Et vu que vous avez l'air extrêmement triste et honteux...

-Il te ment pas, déclara Damien.

-Oh c'est pas vrai qu'il est toujours là ce crétin, grommela Judith qui venait d'arriver ?!

-Ta gueule ou je t'étripe, aboya Damien !

-Bah vas-y, chuis déjà morte !!

Damien s'élança à la poursuite de Judith qui, riante, lui échappait de son mieux. Luna frappa son front si fort du plat de sa main que le bruit retentit dans toute la pièce :

-Ne faites pas attention à eux... Reprenons, cela fait combien de temps que vous êtes à l'asile ?

Les 2 jeunes gens discutèrent encore jusqu'à ce que la nuit tombe. Gauthier insista pour partir, afin de ne pas déranger plus longtemps la jeune fille, à condition qu'il revienne voir cette dernière le lendemain. Ce qu'il accepta immédiatement.