Un Décès

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L'Amnésique était seul dans sa cellule, comme à son habitude, ses yeux azur fermés. Il tentait d'oublier, encore. Il y arrivait, puis se souvenait parce qu'il refusait de rester dans l'ignorance. Tel était le paradoxe dont il était victime.

Il s'apprêtait à oublier de nouveau quand il entendit un important remue-ménage à l'extérieur de sa cellule. Surpris, il releva la tête, s'attendant à ce qu'un membre du personnel de l'asile entre pour lui donner un ordre ou autre. Il entendit des cris, ainsi que d'autres bruits qui lui étaient familiers : celui de la chair massacrée et des os brisés.

Effrayé, l'Amnésique se plaqua contre le mur faisant face à la porte. Il réfléchissait à toutes vitesses. il ne pouvait fuir ou se cacher. Il était de toutes évidences condamné à mourir. Il se calma légèrement, malgré les sons des cris de douleurs et de corps déchirés. Il savait pertinemment que l'assassin derrière cette porte ne ferait pas de distinction entre lui ou le personnel de l'asile. Autant se résigner à son sort, de toutes manières, il l'avait cherché, n'est-ce-pas ?

L'Amnésique avait commencé à se détester, il avait honte de ce qu'il avait fait. Bien que tuer lui plaisait quand il était plus jeune, il pensait s'être assagi, avoir grandi. Prendre la vie des autres n'était plus un jeu pour lui, c'était une abomination. Il avait pensé à ce que pouvaient ressentir les familles de victimes. Quelques années dans cet asile l'avait fait relativisé, en partie parce qu'il n'avait pas grand chose à faire à part réfléchir, quand il y arrivait. Cela lui permettait de rester un peu lui-même, qu'il n'était plus contrôlé par ces personnes se croyant « supérieurs » à lui. Et qui le dominaient hiérarchiquement.

Après tout, il n'était qu'un tueur en série condamné à terminer sa vie dans un asile et qui avait cherché la rédemption.

Il entendit des bruits au niveau de la porte. Des bruits de clés dans une serrure. Il secoua sa tête, faisant voler ses boucles châtains devant lui, dans une vaine tentative de nier ce qui allait se passer.

Il avait beau pouvoir oublier quand il voulait, il refusait de ne pas assister à sa propre mort.

La porte finit par s'ouvrir sur une jeune fille qui ricanait. Étonnamment, elle avait le crâne rasé, et ses yeux étaient marron. Ses vêtements étaient déchirés et simples à la base, couverts de sang et montrant de nombreuses traces de coupures. Elle haletait tout en riant. Elle tenait un pistolet dans la main droite et un couteau imposant dans la main gauche, ce dernier étant couvert de sang. Un sac en bandoulière pendouillait de son épaule gauche.

Effrayé, l'Amnésique retint son souffle. La Timbrée s'avança vers lui et lui lança d'une voix hystérique :

-Sors de là !!!!

Il ne dit rien. Pour lui ceci était une hallucination, il n'a aucune raison de croire qu'elle le laissera faire. Elle fouina dans son sac, en sortit des balles qu'elle utilisa pour recharger son arme et hurla :

-DEHORS !!!!

L'Amnésique hocha la tête de haut en bas et s'enfuit en courant en murmurant un « merci » quasi-inaudible. Il erra dans les couloirs jonchés de cadavres jusqu'à trouver une fenêtre ouverte au rez-de-chaussée qui lui permit de s'enfuir.

De son côté, la Timbrée continuait de rire, jusqu'à ce qu'elle entende son ventre gargouiller. Toujours légèrement hilare, la jeune fille s'approcha d'un des corps reposant à même le sol et arracha un bout de chair se situant au niveau des côtes de l'un des morts avant de le fourrer dans sa bouche et de mastiquer. Elle se nourrissait d'un peu près tout, temps que c'était comestible et pas trop dégoutant...

Elle ne s'était jamais sentie aussi bien qu'après la mort de ses parents. Cet assassinat l'avait libérée des convenances et des lois. Aussi, elle trouvait intéressant de s'attaquer à des asiles, des prisons, seule, et de tout détruire.

La Timbrée s'était découvert une quasi-invincibilité. Elle ignorait d'où elle la tenait, mais s'était souvenu d'un jour où un illuminé quelconque lui avait dit qu'elle serait une force de la nature presque indestructible. Toutes les balles qu'elles reçu n'ont qu'à peine entamé sa chair, qui se régénéra d'elle-même. Tous les coups portés à l'arme blanche n'avaient laissé qu'une fine coupure, laissant s'écouler à peine quelques gouttes de sang avant de se refermer.

Elle ne craignait rien, aussi il lui fut facile d'assassiner autant de personnes afin de libérer tous ces criminels et ces fous. Et à vrai dire, dans cet asile, elle avait presque terminé. Plus que quelques cellules, quelques morts supplémentaires et sa besogne sera finie. Elle n'avait plus qu'à se mettre au travail.

La Timbrée avala son morceau de chair humaine, en arracha un autre sur l'un des cadavres et continua sa route.

Le Tueur du Silence avançait tel un fantôme. Sa silhouette fine vêtue d'un long manteau noir aux boutons et décorations diverses rouges foncé lui donnait un air sinistre, d'autant plus que son haut-de-forme assorti et ses longs cheveux blancs, tout comme son regard vide aussi coloré que sa crinière, n'arrangeait en rien la situation. Il ne passait pas inaperçu, loin de là. Mais si les rares passants qu'il croisait voyaient les quelques fioles remplies de divers poisons de sa composition, la seringue qui leur est assortie, ainsi que les couteaux cachés dans sa manche, ils prendraient très rapidement peur et tenteraient de le fuir. Seulement il avait quelque chose à faire.

Il savait qu'une gamine s'amusait à libérer des criminels, qu'elle foutait le une bordel innommable et qu'au bout d'un moment, les autorités allaient finir par se poser des questions et pencher pour une hypothèse surnaturelle en dernier recours. Or, s'ils la capturaient et décidaient de l'étudier en détails, ils allaient rapidement comprendre l'origine génétique du don qu'elle possédait. Et qui sait ce qu'il pourrait arriver...

Il détestait penser qu'il allait sauver toute personne étrange comme lui, l'altruisme n'était pas son fort. Il préférait penser qu'il ne faisait cela que pour lui.

Il savait d'instinct où elle se trouvait. Il lui avait suffit de voir son visage une fois aux infos pour savoir ce qui elle était et ce qu'elle allait faire. Et il avait eu de la chance, son don ne marchait pas tout le temps, loin de là. Il aurait pu interpréter ceci comme un signe du destin, seulement il ne croyait pas au destin.

Il n'y a que des choix à faire, pas de route prédéfinie à suivre.

En attendant il se posta à l'une des entrées de l'asile, la plus reculée, pensant qu'elle sortirait par là.

Manque de pot, elle quitta l'asile par une autre porte, mais qui n'était pas si loin de l'endroit où l'attendait le Tueur du Silence. Mais quelque part, cela arrangeait ce dernier qui remplit une seringue d'un poison foudroyant et lui planta suffisamment profondément dans la gorge pour qu'il puisse lui injecter le liquide avant de retirer violemment ladite seringue et de reculer.

La Timbrée se retourna, chancelante, choquée. Elle fixait le Tueur de Silence sans rien comprendre. Son ricanement sadique disparu, faisant place à une expression choquée. Elle tomba à genoux quelques secondes après l'inoculation du poison, tout en continuant de le fixer. Elle finit par tomber face contre terre, respirant avec difficulté, puis finit par cesser de vivre.

Une fois qu'elle fut partie, le Tueur du Silence chargea le corps sur son épaule et disparut loin de la bâtisse regorgeant de sang et de morts.

Ombres (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant