Impact de Souvenirs

123 5 653
                                    

Crow venait d'allumer sa dixième cigarette de l'après-midi en soupirant. Raven lui manquait, plus qu'il ne l'avouerait jamais. Mais qu'est-ce-que cela changerait ? Même en passant son temps à lui dire qu'il l'aime, Raven s'en fout.

Le dieu-corbeau se disait qu'il n'avait aucune chance de le reconquérir. Il avait agi comme une imbécile. Non pas comme un monstre, Raven avait l'habitude de le voir assassiner, que ce soit par plaisir ou pour passer le temps. Mais il s'était montré désintéressé de la personne à laquelle il tenait le plus au pire moment, et toutes les excuses du monde n'y changeraient rien. Mais Crow était trop orgueilleux pour les excuses.

Il soupira, lâchant tout un nuage de fumée dans le ciel bleu qui prenait la plus grande place de sa vision. Il grognait, haïssant ce temps beaucoup trop clair. Le ciel bleu ne lui avait jamais apporté que des ennuis.
La mort d'Adrian White avait été apportée par un ciel bleu.

Il s'en souvenait comme si c'était hier. Il avait voulu faire emprisonner cet homme, mais une plainte avait été déposée contre lui avant qu'il n'ait eu le temps de faire quoique ce soit. Il se souvenait de ce frêle petit brin de femme, vêtue comme une femme de la haute, mais au regard perçant d'une sale gamine gâtée, qui s'était adressée à lui :

-Détective Griffon, je voudrais signaler un meurtre. Enfin, une centaine de meurtres, j'ajouterai.

Elle avait une voix nasillarde. Il avait grogné. peu impressionné par ses mots. Mais quand elle a commencé à décrire le profil d'Adrian White, son sang s'était figé. Parce qu'elle venait de la haute société, il ne pouvait mettre sa plainte de côté.

Il avait dirigé une perquisition fatale pour le jeune homme. Il l'avait dirigé les yeux baissé, l'air aussi haineux que menaçant. Il savait qu'il avait effrayé le jeune homme. Il se souvenait du regard brisé que lui avait lancé le fils cadet de la famille lorsqu'il a vu Adrian se faire emmener. Il se souvenait de la fillette de la famille qui avait hurlé et lui avait sauté dessus en lui tirant les cheveux et les vêtements. La famille l'aimait.

Crow avait également vu quelque chose qui avait déclenché une haine folle en lui. Il avait senti l'aura de Colombe derrière cette femme, cette femme qui avait démasqué cette personne qu'il avait l'impression de vouloir protéger. Il avait vu cette plume voleter et atterrir aux pieds de celle qui regardait la scène en souriant.

Il avait eu le temps d'apprendre le nom de cette pimbêche qu'il haïssait, cette Mary. Cette idiote, elle était revenue voir Adrian dans sa cellule. Elle avait payé les gardes pour qu'il la laisse seule avec lui, pendant une heure. Et au final, quand elle était partie, il l'avait entendu hurler. Il était allé le voir, voulant savoir ce qu'il s'était passé.

Les vêtements d'Adrian étaient déchirés. Il était prostré dans un coin de la pièce, secoué de violents sanglots. Le sang de Crow n'avait fait qu'un tour et il l'avait laissé seul, s'était précipité le plus loin possible de son lieu de vie et avait assassiné toute une famille pour passer ses nerfs. Il avait compris que cette catin l'avait violé, et cela l'avait énervé au plus haut point.

Le jour de son exécution, Adrian White l'avait regardé dans les yeux jusqu'au bout. Crow ne pouvait pas avoir l'air désolé pour lui. Il l'a fixé dans les yeux, impassible, jusqu'à la mort.

Crow pesta contre lui-même et s'asséna une violente gifle. Il s'en voulait énormément de ne pas avoir cherché à le sauver. Il y avait quelque chose en cet homme qui déclenchait une puissante forme d'empathie. Il lâcha une nouvelle bouffée de fumée dans l'air.

Lorsque Damian, enfant, était arrivé dans ce pub en plein Londres, alors qu'il discutait avec Arsenic, il avait tout de suite reconnu un mélange qui lui provoquait empathie et haine. Un mélange d'Adrian et Mary. Il avait compris qui il était dès qu'il l'avait vu. Dès qu'Arsenic avait réussi à obtenir des informations le concernant et concernant l'endroit où il vivait avec sa mère, il s'était empressé d'aller tuer cette dernière. La faire souffrir, malgré les protestations d'Arsenic et les pleurs de l'enfant. Lorsqu'elle a fini par mourir, que Damian pleurait encore la mort de cette femme et lui avait dit à quel point il le détestait, Crow avait hurlé de rire et répondu :

-Vas-y !! Déteste-moi !! Je m'en fiche de toutes façons !! Ta haine, je la mérite, comme celle de beaucoup d'autres !! Si tu es orphelin, c'est à cause de moi !!

Damian n'avait plus vu Crow avant la fin de son adolescence. Et c'était tant mieux pour lui. L'Ombre avait été la raison de sa dernière mort. Il faut dire qu'il avait agi comme un sot.

16 ans auparavant, il l'avait aperçu de loin, lors d'une soirée, auprès d'une femme qui lui semblait familière. Sous sa forme d'oiseau, il les avait suivis toute la soirée, jusqu'à ce qu'il réussisse à se souvenir de qui elle était.
Cette femme était Marie-Antoinette.

Quand il s'en est rendu compte, il avait éclaté de rire. Cette Ombre qui le haïssait avait réussi à finir dans le même lit que l'ancienne reine de France, c'était beaucoup trop absurde pour ne pas être comique !

Mais Damian l'avait vu. Il avait profité du sommeil de la vampire pour se jeter sur Crow, qu'il attrapa sans difficultés. Il lui avait arraché la tête à mains nues et avait brûlé sa dépouille.

Et 16 ans plus tard, Crow retrouvait un corps. Et ses vieux démons l'avaient rattrapé.

Il écrasa sa cigarette dans le cendrier, en grognant. Avec le recul, il se demandait si Marie-Antoinette avait révélé l'identité de son père à Ophélie...

Il entendit des bruits de pas derrière lui. Marcus venait d'arriver avec un café et un jus de fruits et s'assit à côté de lui :

-Kathleen dit que vous devriez arrêter de fumer autant...

-Dis à Kathleen que je fais ce que je veux, grommela-t-il entre ses dents. Merci pour le café.

-Quel est le problème ?

-Rien qui te concerne.

Un silence profond s'abattit entre eux, troublé par le pépiement des oiseaux. Crow soupira après avoir pris une gorgée de café :

-Tu as quelque chose à me demander ?

-Est-ce-que vous savez ce que je suis ?

Le dieu le dévisagea surpris quelques secondes et le jeune garçon baissa les yeux. Il avait l'air honteux :

-Je croyais que tu le savais...

-Euh... En fait, je sais simplement d'où me viennent mes dons, mais c'est tout, pas plus...

-Et qu'est-ce-qui te fait dire que je le sais ?

-Vous êtes un dieu, vous devez savoir beaucoup de choses, non ?

-Certes, mais cela ne veut pas dire que je sais tout.

Il soupira et le regarda dans les yeux. Marcus avait une détermination féroce dans le regard, caché derrière une forme d'innocence et de tristesse. Avec le recul, il trouvait qu'il ressemblait à cette gamine qui lui avait hurlé dessus après la mort d'Adrian.

-À vrai dire, je n'en sais pas grand chose. Il faudrait que je prenne le temps de remonter dans ta généalogie pour voir d'où ça vient.

-Et vous pouvez faire ça ?

-Ouais, bien sûr. T'es capable de rester immobile deux heures ?

-Je pense, pourquoi ?

-Parce que c'est le temps maximum qu'il me faudra pour que je réussisse à avoir une idée d'où ça vient. Par contre, t'es gentil, on fera pas ça aujourd'hui, j'ai pas le moral.

Le visage de Marcus s'illumina d'un grand sourire et il se jeta sur lui pour le serrer dans ses bras pendant quelques secondes. Quand il le lâcha, il eut l'air profondément désolé.

Crow mit quelques secondes à lui sourire et lui ébouriffer les cheveux gentiment. Il l'aimait bien ce gamin.

Ombres (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant