Chapitre 29

344 43 47
                                    

Heureusement, les médecins ne faisaient pas attention aux personnes qu'ils dépassaient, ils ne virent donc pas que celle qui les regardait passer d'un air abasourdi était l'exact sosie de celle dans la civière.
Ils ne voyaient pas non plus les deux autres de l'autre côté du couloir, qui observaient la scène sans un mot. Mais là, ce n'était pas faute d'innatention : en effet, les contours un peu flous et la légère transparence laissait penser que les médecins seraient bien incapables de les voir.
Les Blouses Blanches couraient, et bousculaient les quelques passants qui erraient dans le couloir. Pressés, on ne leur en voulait pas : ils avaient une vie à sauver, autre chose à faire que s'embarrasser de politesses. D'autant que la personne étendue dans la civière n'avait pas de temps : chaque secondes de vie que son masque respiratoire et ses perfusions maintenaient lui était plus fatale que la précédente. Ils devaient sauver une vie et ils allaient y arriver ! Même si leurs efforts seraient vains.
Vains parce que cette vie exploserait bientôt, parce qu'elle irait au Manoir et rencontrerait dans la mort l'amour que la vie n'aura su lui donner.
Vains parce que cette vie volerait en éclat pour ne laisser qu'une âme dénudée de tout corps.
Vains parce que Liam était là à présent, à observer ce qu'il était avant de quitter ce monde. Était-il heureux depuis son départ ? Certainement.
Mais qui, se voyant dans une extrême faiblesse, sur le seuil de la demeure de notre chère amie la mort, ne ressent pas quelque chose se briser en lui ? Qui reste impassible devant le poid du destin, de l'injustice criante des tristesses ?
Ce n'est pas du courage d'affirmer le contraire : de la naïveté quand on ne l'a pas vécu, de l'inhumanité quand c'est le cas.
"On se retrouve de l'autre côté, profite bien des dernières heures, je ne t'oublierais jamais", sont des mots emplis de sens quand on ouvre les yeux, prononcés si hypocritement pourtant, le plus souvent anodin comme un bonjour. Qui réfléchit au véritable sens de chaque mot ? Qui a pensé à chaque émotions qui en découle ? Pas grand monde.
Les médecins s'engouffrèrent dans un autre couloir, ôtant aux quatre fantômes la vue presque irréelle d'une souffrance sourde qui persistait depuis quatorze ans.
Percy mit un coup de pied à Liam (qu'il ne sentit de toute façon pas) pour le sortir de sa transe.
- Bouge, dit-il à voix basse. Si on te voit, t'es cramé. Partons d'ici avant que...
Liam fit signe que non, lui montrant les deux personnes en face d'eux, maintenant seulement séparés des deux ados que par trois mètres d'une distance ne demandant qu'à être parcourue.
Ces deux personnes se tenaient droits contre le mur, et regardaient Liam et Percy sans comprendre. C'était un homme, et une femme.
C'était Catherine et Thomas de Falestan.
Liam se remémora, seulement à ce moment là, la façon dont il avait pu apprendre leur existence : son père adoptif (famille Anderson) avait écrit le nom De Falestan sous la poignée de la valise avec laquelle il était arrivé au Manoir, juste après que Liam soit retourné les voir. À ce moment là, il venait tout juste de comprendre qu'il était mort. Il avait ensuite fait des recherches, et avait tout compris grâce à des articles de journaux. Il n'avait donc su pour son adoption qu'après sa mort !
Or, il apprenait à présent que ses parents biologiques avaient étés avec lui : à ce que Liam voyait à présent, le couple avait l'habitude de le voir malade dans un lit d'hôpital. Ils devaient l'avoir souvent veillé eux aussi. Au final, Liam n'avait pas eu deux parents qui restaient à espérer une guérison, mais quatre.
Liam se rendait bien compte qu'il devait faire le premier pas. Leur expliquer. Aussi, il ne perdit pas le temps que la vie lui avait pris : il le rattrapait dans la mort.
- Je crois qu'on va avoir des choses à se dire, murmura Liam.

*

Percy faisait les cent pas dans le couloir, anxieux. Rester sans bouger n'était pas son fort, et même s'il ne se souvenait même plus de la dernière fois où il avait dormi d'une vraie nuit, il ne se permettait pas de rester assis dans les fauteuils de la salle d'attente.
Et puis, ça aidait son mal de tête à disparaître : les voyages dans le temps et dans l'espace, avec le Octavel'imbécile-Voyage-Company, c'était pas la première classe.

Liam et le fils de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant