Dernier jour de torture. Dernier jour d'acharnement. Dernier jour à trimer comme un esclave.
Je ne quitte pas des yeux les aiguilles de l'horloge, comme si ma volonté pouvait faire avancer le temps plus vite.
Pour ma défense, ça fait exactement treize mois, jour pour jour que je suis obligé de subir cette infâme routine.La question de savoir si je l'ai mérité ne se pose même pas. C'est ma faute si j'ai été bloqué ici pendant plus d'un an. C'est toujours ma faute.
J'ai échappé au centre de redressement, et ça, je le dois entièrement à Scarlett et Martin. Ils m'ont sorti de la panade tellement de fois qu'il m'est impossible de les compter. C'est juste dommage que je sois si con.À dix-huit heures, je sors de la prison qui a été la mienne beaucoup trop longtemps. On pourra dire ce qu'on veut, mais les travaux d'intérêt général sont une nouvelle forme d'esclavage sur mineur qu'il faut absolument éradiquer.
Bon, je ne suis pratiquement plus mineur, mais ça ne change rien à ce que les tâches qu'ils nous demandent sont carrément inhumaines.Mais pour l'heure, je me taille d'ici.
Garé dans le parking, Grayer Tamlin, mon presque-meilleur ami, m'attend, en train de fumer au volant.
Je ne supporte pas l'odeur du tabac, mais Grayer fait quand même d'immenses efforts pour venir me chercher jusqu'ici, vu que je n'ai toujours pas mon permis de conduire.
Mais j'ouvre quand même ma bouche.
-Tu veux bien jeter ces foutues clopes ? l'appelé-je en tapant sur la vitre côté conducteur.
En m'apercevant, Grayer lève les yeux au ciel puis baisse la fenêtre.-Et pourquoi ?
-Parce que fumer tue.Grayer part sur un fou rire. Je crois bien qu'il n'a jamais rien pris au sérieux de sa vie. Comme moi. C'est plutôt normal qu'on ait fini potes.
-Allez, monte, avant que je ne change d'avis et décide de t'abandonner sur le parking.
Je lui réponds par un doigt d'honneur, avant de me dépêcher de monter du côté passager, parce que mine de rien, on ne sait jamais quand il plaisante, cet imbécile.Grayer démarre, en jetant le filtre par la fenêtre ouverte. Je flaire immédiatement une autre odeur suspecte.
-C'est quoi ça ? m'énervé-je. De la javel ? Tu t'es débarrassé d'un corps ?
-Pas exactement, répond-il en haussant les épaules. Piper a gerbe sur les sièges ce matin.
-T'as dû lui faire passer un sale quart d'heure, j'imagine.
-Même pas. Ma mère était là. (Il jette un coup d'œil à mes jambes croisées sur le tableau de bord) Vire tes pieds de là, Aidan. Et mets ta ceinture pendant que tu y es.
-J'ai l'impression d'entendre Brenna, marmonné-je en obtempérant avec mauvaise foi.
-En parlant de Brenna, reprend Grayer. Elle m'a appelé ce matin.
-Pour que tu viennes me chercher, j'imagine.Elle devait ne pas avoir le temps de toute façon, avec les cours, et tout ça. Elle me manque, mais je ne crois pas être assez sympa pour aller directement la voir. Je suis crevé. Elle comprendra.
Enfin, je crois.-Pas que pour ça. Elle voulait aussi savoir quand tu vas te décider à reprendre tes études.
Je ris malgré moi. N'importe quoi, reprendre l'école ? Quel établissement serait prêt à accepter un délinquant sans aptitudes ? J'ai tellement séché dans ma vie que je ne suis même pas sûr de savoir lire.
Non, j'éxagère, mais j'ai raté tellement de choses...Je ne peux plus aller à l'école. C'est terminé. Terminé depuis l'incident de la librairie...
-Où ? À Bowen Lake ? Ils ne me prendront jamais.
-Non, à Saltwood, tranche Grayer.
Je me fige, espérant avoir mal entendu. Mince, j'aurais dû m'y attendre. J'aurais dû le voir venir.
-C'est hors de question, murmuré-je froidement.
-En fait, tu n'as pas ton mot à dire. Brenna m'a dit que votre père s'est donné un mal de chien pour te dégotter cette place, alors tu y vas, un point c'est tout.Son ton autoritaire me crispe les mâchoires. Ce n'est pas la première fois qu'il essaie de me materner, et je prends énormément sur moi pour ne pas répondre.
Je laisse ma colère me serrer les tripes, au lieu de me mettre à tout fracasser comme j'en ai l'habitude. Je prends une grande inspiration avant de perdre mon self-control.
-Merde ! lâché-je en cognant la vitre de mon poing.
Comment ont-ils pu faire ça ? Je suppose qu'ils s'inquiètent un minimum pour mon avenir mais ça ? Martin a salement trimé pour devenir proviseur de Saltwood. Et il veut que j'intègre cette université ?
Ce n'est pas que je ne suis pas reconnaissant, mais il me connaît. Si je commence à faire des pépins dans l'école, c'est sa carrière qui va être mise à mal, vu qu'il a fait jouer ses relations pour me prendre.
Pourquoi Brenna ne m'a-t-elle pas prévenu ? Elle est sa fille, elle aurait dû l'en dissuader.-Amène-moi chez eux, dis-je doucement.
-T'es sûr ? Aidan, il est presque vingt heures...Je ne réponds pas. Il n'a pas besoin de ma réponse pour voir que je ne plaisante pas.
En soupirant, il quitte la nationale pour prendre le chemin de Quickshields, la banlieue où j'ai grandi...******************************
Quand je débarque dans la salle à manger, avec mon look décharné et mon sac à dos usé vieux de neuf siècles, j'ai tout de suite l'impression de faire tâche dans le tableau.
Brenna, Martin et même Colleen me regardent interloqués, assis devant leurs assiettes de courgettes sautées.
Tous semblent avoir oublié qu'ils m'avaient donné un double des clefs. Ça fait un bail que je ne vis plus ici, mais j'ai quand même la sensation que rien n'a changé. À part bien sûr le départ de Scarlett...
-Heu...Je suis rentré, affirmé-je pour briser le silence gênant.
La première à réagir est Colleen, du haut de son mètre trente, et ses dix ans ; elle vient à mon encontre, les bras tendus, pour se jeter sur moi.-Ayd !! T'es revenu ? T'es revenu ? répète-t-elle euphorique. Tu vas rester cette fois ? Dis, s'il te plaît, tu vas rester ? S'il te plaît ! Reste ! Reste ! gazouille-t-elle en sautillant.
Je pose ma main sur sa tête, essayant de contenir son euphorie. Je n'ai pas trop envie de répondre à sa question. Parce qu'il parait évident que c'est non.
-Brenna ! Notre grand frère est revenu, viens ! s'extasie Colleen.
Brenna pince les lèvres. Elle sait qu'au mot grand frère, je vais forcément me rebiquer, mais j'essaie de faire un effort, parce que cette famille a tout donné pour moi.
-Je suis venu parler avec Brenna, Colleen, lui confié-je avant de lâcher mon sac par terre.
Elle tourne la tête vers sa grande sœur, puis vers son père, essayant de saisir ce qui se passe.-Colleen, ma puce, déclare tranquillement Martin. Tu ne veux pas monter dans ta chambre, deux minutes ? On va juste parler à Aidan.
Elle leur lance un regard indécis avant d'obéir, disparaissant dans les escaliers.
Ma façade du mec de bonne humeur disparaît immédiatement.-Pourquoi avez-vous fait ça ? demandé-je.
Martin ne perd même pas son temps à demander quoi.
-Saltwood était ton dernier espoir d'aller à l'université.
-J'en ai rien à battre de l'université, attaqué-je.
-Il me semblait que t'étais pas si nul les rares fois où tu allais au lycée, intervient Brenna.
-T'as dû mal voir.
Elle se tourne vers son père.
-Je me souviens qu'il était le meilleur de sa classe en littérature. Et qu'il m'aidait pour mes cours de philo, j'avais tout le temps des notes excellentes grâce à lui.
Je me retiens de faire un doigt d'honneur à Brenna. Je sais qu'elle ne veut que m'aider, mais c'est énervant, tous ces gens qui veulent mon bien, alors que je ne suis qu'un imbécile.-Tu es déjà inscrit à l'année, Aidan, reprend Martin en posant sa fourchette. On ne peut pas revenir en arrière.
Voilà. Je suis coincé. Plus d'échappatoire. C'était une erreur de venir ici. Avant que j'explose en sortant des trucs que je regretterais, je ramasse mon sac pour déguerpir de chez les Goldshard.-Heu...Tu ne lui dis pas, papa ?
Je m'arrête en plein mouvement, déjà empli d'un horrible pressentiment. Quoiqu'ils aient décidé de me cacher, c'est sûrement un truc qui va me foutre en rogne. Mais je tombe dans le piège.-Quoi ? dis-je en me retournant.
Martin fuit mon regard, avant de lâcher la bombe.
-Eh bien...J'imagine qu'on aurait dû te prévenir plus tôt, mais Henry Wixells aussi fréquente cette université.
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Mortal Venom
Teen FictionIl ne peut pas s'empêcher de faire du mal aux gens qui l'aiment le plus. Y compris ceux à qui il tient le plus. Sa famille, ses amis, et même la seule personne au monde pour qui il a des sentiments. Il agit toujours comme un poison, un poison mortel...