Autant dire que ma joie a été de courte durée.-Brenna !
Celle-ci se contente de faire comme si je ne l'avais pas appelée, occupée à discuter avec sa bande de copine, qui ELLES, m'ont remarqué.
Et m'observent avec envie, comme un morceau de viande crue.
Cette attitude m'exaspère, à un point vertigineux, même si elle m'est plutôt familière.
-Brenna ! je répète en arrivant devant leur groupe.
Il est rare que je vienne la voir jusqu'au lycée -ce n'est même arrivé que deux fois en un millénaire- mais je ne pouvais pas attendre. Pas aujourd'hui.Elle daigne enfin m'accorder un peu d'intérêt et tourne la tête vers moi, agacée.
-Qu'est-ce qui t'arrive encore ?
Je me retiens de faire une scène dans les couloirs et l'attrape par le bras, énervé.
-Il faut qu'on parle.
-Lâche-moi, enfoiré ! s'indigne-t-elle en essayant de se dégager tandis que je l'entraîne de force vers l'extérieur. (Elle se tourne ensuite vers une bande de sportifs qui passe dans le coin) Au secours, ce cinglé veut m'agresser !Je lève les yeux au ciel.
-Si tu veux qu'ils interviennent, continue de crier. Mais je ne te garantis pas qu'ils auront toutes leurs dents après s'en être pris à moi.
Elle ferme la bouche, vaincue. Puis se libère de ma poigne avant de finalement me suivre.
Une fois dehors, je laisse exploser mon mécontentement.
-Pourquoi il a fallu que tu fasse ça ?
Elle soupire en fermant les yeux.
-Quoi ? Dire à Colleen que tu seras là pour son anniversaire ? Ou forcer mon père à te caser à Saltwood ? se moque-t-elle. Non, attends, ça doit être le fait que je donne une fête quand il sera absent le week-end.C'est le pompon. Je lui en veux pour ces trois raisons là, sauf que je ne connaissais pas l'une d'entre elles avant ça.
-Comment ça, tu donnes une fête ? explosé-je.
-T'es pas mon père, que je sache. Je fais ce que je veux. Et depuis quand mes passe-temps t'intéressent ? crie-t-elle plus fort que moi.Une bande d'ados ahuris nous dévisagent en traversant la rue, choqués de la violence de notre dispute.
-Allez vous faire foutre ! leur hurle Brenna en levant les deux majeurs.
Ils filent immédiatement, apeurés par son agressivité.
-Tu ne crois pas que t'es un peu jeune pour ce genre de conneries ?
-J'ai seize ans, Aidan. Plus cinq. J'ai l'impression que tu l'oublies tout le temps.
-Seize ans, c'est encore gamin.
-T'en avais dix quand t'as pris ta première cuite.
Elle a le don pour me clouer le bec. Je grimace.
-Oui, mais on sait tous les deux que je ne suis pas un bon exemple à suivre, soupiré-je. Allez, oublie cette histoire de fête.-Laisse-moi réfléchir, dit-elle en se concentrant.... Non, pas question. La seule façon que tu as de m'en empêcher, continue Brenna en souriant, c'est de cafter à papa.
Je suis au pied du mur. Elle sait que je ne suis pas du genre à rapporter, et encore moins d'aller voir Martin à mes heures perdues, pour discuter de l'éducation de ses enfants. Bon sang, j'ai eu une trop mauvaise influence sur elle !
-J'ai une trop mauvaise influence sur toi.
-Pas faux. Maintenant, laisse-moi faire mes affaires en paix.
-Attends ! me rappelé-je soudainement. Et pour Colleen ? Dis-lui que je ne peux pas venir !Je suis un incorrigible ingrat mais Brenna le sait. C'est pour cela qu'elle ne m'a pas demandé mon avis. J'ai raté tellement de moments importants dans leur vie, je ne me souviens même plus de la dernière fois où j'ai fêté mon anniversaire au domicile des Goldshard.
Ah...si, ça me revient. Notamment un de mes anciens camarades avec le nez en sang, moi avec un bleu sur le front, et mon gâteau d'anniversaire renversé sur la pelouse du jardin. Tirez vos conclusions.
-Tu ne te défileras pas, Aidan, sourit-elle avec espièglerie. Tu viendras à cet anniversaire, que tu sois ou non à l'article de la mort.
-Essaie un peu de m'y forcer, dis-je avec mauvaise foi.Elle me donne un coup de poing dans le bras.
-Écrase et mange du foin, rétorque-t-elle.-Toi, tu devrais plutôt manger tes ancêtres.
-Et toi, digérer des cafards.
-Pas avant que t'aies ingurgité tes excréments.
-Et toi, ceux d'une vache.Les insultes sans queue ni tête, ça nous connait.
Je décide de ne pas me mêler de son histoire de fête arrangée. Après tout, elle a raison : je ne suis pas son père. Je ne suis pas à même de lui placer des interdictions ou de contrôler sa vie.
Elle est assez grande pour se débrouiller seule.-J'essaierai d'être là, finis-je par capituler.
Ce qui est une très mauvaise idée. Mais Brenna est aux anges. J'essaie de ne pas sourire, parce que je ne veux pas qu'elle sache que je suis un peu content de leur faire plaisir, mais son expression euphorique met à bas mes défenses.
-Arrête de sourire comme ça, j'ai dit que j'essaierai. Pas que je serais là.
Mais c'est trop tard. Elle est heureuse.
....Et peut-être que je le suis aussi pour une fois.En rentrant à mon second domicile le soir, dans le minuscule appartement moisi de Grayer, je le surprends à gueuler au téléphone.
-C'est hors de question maman. Pas question que Piper vienne !
Encore des histoires de famille...
Je fourre des restes de pizzas au micro-onde en regardant les aiguilles de l'horloge tourner.
-Mais punaise ! Elle ne sait pas...Et puis tu sais quoi ? Laisse tomber ! achève-t-il avant de balancer furtivement son Lumia sur le fauteuil abîmé.
-Dur, dur, commenté-je en le voyant s'écrouler sur le canapé.
-T'imagines pas à quel point, confirme-t-il en soufflant bruyamment...Alors ?
-Quoi alors ?
-Bah, qu'est-ce qui s'est passé ?
-Avec qui ? dis-je avec un mauvais pressentiment.
Il rejette la tête en arrière.
-Avec Brenna, qui d'autre ? T'es parti comme une furie tout à l'heure, tu crois que je ne t'ai pas vu ?
Malgré moi, le soulagement m'envahit. J'ai cru qu'il me parlait de..
-Mais qui d'autre en fait ? s'interroge Grayer avec insistance.
Je me rembrunis.
-Personne.
-Menteur.
-Personne, je te dis.
Il plisse les yeux en se tournant vers moi, essayant de deviner.
-Tout de même pas...
-Personne, merde.
-...Henry ?
-Non.Mais il est trop tard, Grayer a compris. J'arrête de feindre l'indifférence et sors mes pizzas du micro-ondes.
-Je l'ai vu, OK ? T'es content maintenant ?
-J'en sais rien. Il était furax, hein ? s'enquiert-il.J'engloutis mes parts sans prendre le temps de mâcher. Ni de répondre.
-Ça ne m'étonne pas, ajoute Grayer en haussant les épaules. Ce que toi et Samuel avez fait, c'est impossible à pardonner.
Je le fusille du regard. Il a le don pour en rajouter une couche là où il ne faut pas.
-Je le sais. Mais je n'ai pas demandé à être intégré à Saltwood, que je sache.
-Continue de rejeter la faute sur les autres, mon vieux.Je suis sérieusement en train de me demander ce que je fiche ici. Puis je me souviens que même si Grayer adore me faire la morale et me pousser dans mes retranchements, c'est l'une des rares personnes à supporter mon tempérament d'ours polaire.
Alors je ne surenchéris pas.-Tant pis pour lui s'il ne me pardonne pas, j'en ai rien à branler.
-T'as jamais dit de mensonge aussi énorme mon pote, réplique Grayer en se levant pour prendre la dernière part de pizza.Et le pire, c'est que c'est vrai.

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Mortal Venom
Teen FictionIl ne peut pas s'empêcher de faire du mal aux gens qui l'aiment le plus. Y compris ceux à qui il tient le plus. Sa famille, ses amis, et même la seule personne au monde pour qui il a des sentiments. Il agit toujours comme un poison, un poison mortel...