8-Too late ?

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À la minute où je le réalise, mon corps se remet à fonctionner d'un coup. Je me précipite vers la voiture de Grayer avant d'en péter la vitre avant. Je ne me préoccupe même pas du ruissellement de sang sur la portière : je ne sens plus la douleur physique.

Consumé par la panique, je cherche le double des clefs sur le tableau de bord en essayant de réfléchir correctement.
Il y'a sûrement une explication. Il y'a sûrement une explication. Qui n'implique pas...Oh, bordel, je ne veux pas y penser.

Je finis par trouver ces fichus clefs et démarre la caisse dépravée. Je me fous complètement de croiser des flics qui me descendront pour conduite sans permis. À cet instant, cette imbécile de Brenna est peut-être entre la vie et la mort, alors je pourrais voler un bus que je le ferai.

Je parcours le chemin qui mène au supermarché en moins de trois minutes, même si le temps semble s'écouler de plus en plus lentement, alors que j'essaie minablement d'en gagner. J'ai mal de l'avouer mais je suis à moitié mort de trouille à l'idée de ce que je risque de trouver à...

Les fichues lumières du supermarché clignotent dans la nuit. Ainsi que le lampadaire cassé au milieu de cette route que personne ne fréquente jamais. Et au pied du lampadaire, une Honda à la carrosserie défoncée est en train de cramer. Avec une deuxième caisse totalement cabossée.

J'enclenche le frein à main en me précipitant dehors à toute vitesse. Je n'arrive plus à réfléchir. Mon instinct reprend le dessus, me plongeant dans la panique que je tenais à distance, quand tout à coup, les flammes se mettent à incendier le capot.

-Brenna !!!

J'arrive comme un malade mental au milieu de la fumée épaisse et me dirige en toussant vers le côté conducteur. Malgré la densité et la chaleur du feu, je distingue ma première vision d'horreur.
Une main en sang, sur le volant.

Je prends sur moi pour ne pas hurler et me rapproche encore plus. Je n'arrive plus à respirer, mais ce n'est pas comme si l'oxygène était ma priorité là tout de suite.

Je débloque la portière avant d'un coup sec. Elle se détache complètement, foutue. Le feu continue de prendre de l'ampleur. C'est désespéré. Je suis désespéré.
Mais je ravale ma peur et me baisse pour essayer de détacher la ceinture de sécurité qui l'entrave.
Brenna. Ses cheveux me cachent son visage, mais ce que j'arrive à discerner n'est pas beau à voir. Du sang partout, et une immobilité effrayante. Elle est inconsciente.
La ceinture se détache enfin. Heureusement. J'étais sur le point de mourir d'asphyxie. Avec un râle d'effort insoutenable, je la fais sortir de l'habitacle, avec le maximum de précautions qui puissent être envisagées.

Parce que oui, on n'est pas censé déplacer des blessés lors d'un accident, mais je vous emmerde.

Animé par l'adrénaline, je m'éloigne des flammes et de la voiture en feu pour regagner celle de Grayer, avec Brenna dans les bras. Je suis toujours autant inquiet, mais au moins, je sais où elle est et...

Merde.

Je me rappelle la réalité. Ses deux amies à l'arrière...Je les ai laissées ? Se pourrait-il qu'elles meurent par ma faute ?
Après avoir effectué le sauvetage de la mort, je ne suis plus aussi pressé de retourner braver le danger pour deux abruties saoules.
Je suis un fils de pute.

Mais je les laisse. S'il y'a une vie que j'ai envie de sauver ce soir, ce n'est pas la leur. Jugez-moi si vous voulez mais mon choix est déjà fait.
Je compose le numéro des urgences pour les alerter.
-Mémorial CHU, que pouvons-nous pour vous ?
-C'est un accident. Sur l'Upstead, à côté du supermarché. C'est pas loin de l'hosto. Je ne sais pas s'il y'a des survivants.

Puis je raccroche et redémarre direction l'hôpital. Je ne peux pas faire plus pour ces gens. Bon sang, je suis vraiment un putain d'égoïste fini.

Je débarque dans les couloirs du CHU comme dans une mauvaise série télé. Tous les infirmiers me dévisagent et s'écartent de mon passage en me voyant arriver en courant. Je bouscule tous les imbéciles debout dans la file d'attente et me retrouve pratiquement sur le comptoir, devant un employé de bureau ahuri par ma virulence.

-Elle a besoin d'aide, lancé-je d'une voix mal assurée en retenant Brenna malgré mes bras qui fatiguent et la douleur dans ma main en sang. Accident de voiture : elle a percuté un autre véhicule.
-...Euh...Et comment vous comptez... ?
-Mais on s'en tape de moi ! je m'énerve. Trouvez-nous un médecin, bordel de merde !

Après une longue série d'incroyables insultes de ma part, ils finissent par l'emmener sur un brancart, pour une intervention d'urgence.

Je commence à me mordre les ongles et à faire les cent pas. L'anxiété se transforme rapidement en terreur pure, parce que si ce n'était pas grave, on me l'aurait dit depuis longtemps.

Merde, merde. Et si j'étais arrivé trop tard ? La salle d'attente me rend claustrophobe, mais les médecins refusent que j'en sorte. Ils ont sûrement peur que je m'en prenne à un autre employé. Ce qui aurait peut-être été le cas.

Je reste donc toute la nuit au CHU, à me ronger les sangs, sans personne sur qui passer mes nerfs. Comme un ours en cage. Les gens me jettent des regards apeurés et je les comprends. Un seul mot de travers et je casse tout.

Après ce qui me parait être une éternité, un étudiant en médecine vient enfin (prudemment) me chercher.

-M.Goldshard ?

Il me toise d'un air suspect, se demandant sûrement quel est mon lien de parenté avec Brenna.
OK, je veux bien consentir qu'on ne se ressemble pas du tout.
Mes yeux sont clairs alors que les siens sont quasiment noirs. Ajouter à ça ses longs cheveux bruns et ma foutue tignasse d'un blond vénitien catastrophique (qu'aucun gel sur terre ne parvient à contenir), vous comprendrez pourquoi ce docteur de mes deux se montre réticent.

-Elle va bien ?
Il jette un coup d'œil circulaire autour de lui avant de mettre fin au suspense.
-Oui. Elle sort du bloc. Vous pouvez venir la voir.

Je ne quantifie pas la vague de soulagement qui me submerge alors que je suis l'interne à travers les couloirs menant aux chambres post-opératoires. À travers la vitre, je la vois, endormie sous les effets de l'anhéstésiant. Toujours en vie.

Je m'autorise enfin à respirer. Même si elle n'est pas encore réveillée et que je vois ses points de suture d'ici, elle est toujours en vie.

Je rentre dans la chambre, un peu désorienté alors que le médecin me fournit une foule de détails que mon cerveau ne digère pas tout de suite : hémorragie, côtes fêlées, fracture du poignet,...
Ce que je retiens, c'est qu'elle retrouvera bientôt sa validité. Que ce soir ne serait pas la dernière fois où j'aurais entendu sa voix.
Et ça, c'est déjà énorme.

Je m'assois à côté d'elle, sur une chaise en bois posée là, et je lui prends la main.
Inconsciente.

Putain, elle aurait vraiment pu crever.
À seize ans. Et tout aurait été de ma faute.
Je serre sa main plus fort et l'enfouis dans mon visage.
-T'avais vraiment pas intérêt à mourir, pauvre demeurée. Je t'aurais fait passer un sale quart d'heure, murmuré-je tout seul.

Je ne sais pas comment j'ai fait pour être aussi inutile dans leur famille. Ni comment j'ai pu tenir autant d'années loin de la maison sans me soucier d'eux. Je sais que j'avais d'autres soucis en tête comme retrouver mes parents biologiques ou fuir la réalité du divorce de Martin et Scarlett.

Si j'avais encore joué au con ce soir, Brenna serait morte.

Et ça, ça me terrifie.

Mortal VenomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant