4-Again

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Ça a fini par arriver. Un vendredi, juste après un cours de littérature indigeste, sur le Moyen-Âge. Je sentais que je n'en avais plus pour très longtemps, mais la pensée qu'il me restait encore du répit était tout de même alléchante.

Cependant, il ne m'en restait plus.

Quand je me suis aperçu de sa présence, j'étais en route pour une séance d'entraînement avec les Triskels, le nom bidon de la team de tennis du bahut.
Mon sac de sport en bandoulière, je pensais que ma plus grande préoccupation serait d'avoir à supporter les jacassements de mes nouveaux coéquipiers quand ce serait à mon tour de jouer.

Jusqu'à ce que je le percute. Au croisement d'un couloir.

Henry.

Dans mon souvenir, ses cheveux étaient beaucoup plus clairs et son look beaucoup plus impersonnel.
Mais surtout, dans mon souvenir, il n'y avait pas une telle haine dans ses yeux quand il me regardait.

Alors tout ce que je réussis à dire en le voyant, en chair et en os après plus d'un an, c'est :
-Henry.
-Aidan, me renvoie-t-il sans la moindre émotion.

Mince...Il a changé. Grayer ne mentait pas.
-Ça va ?
Mon Dieu, je n'aurais pas pu avancer de question aussi bête. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?
-Je ne sais pas. À ton avis ? rétorque-t-il en croisant les bras.

Ses trois potes nous observent en retrait, chuchotant entre eux. Leurs messes basses me mettent immédiatement en colère. Se mêler de leurs affaires, ils ne savent pas ce que ça veut dire ?
Je prends sur moi pour ne pas faire d'histoires.
-Je ne sais pas. Je pensais juste que...
-Tu pensais quoi ? Qu'on se taperait dans la main en évoquant le bon vieux temps ? Que j'avais tiré un trait sur ta foutue trahison ? Tu pensais quoi, Aidan, exactement ? explose Henry.

Je ne réponds pas. Parce que les répliques qui me viennent à l'esprit sont toutes empreintes d'une méchanceté inouïe, et qu'aucun de nous deux n'a besoin de ça.
-Rien, tranché-je. Salut.
Et je le contourne pour atteindre les vestiaires.
Il ne cherche pas à me retenir.
Donc on en reste là. Remplis de sentiments négatifs.

Je m'attendais à ce que ce soit aussi houleux, mais par contre, je n'avais pas anticipé à quel point ça me ferait mal.
Ta foutue trahison.
Je cogne contre l'un des casiers, remonté contre moi-même. Qu'est-ce qui m'a pris de venir à Saltwood ? C'était visiblement la pire erreur que j'ai pu faire. Et Dieu sait que j'en ai fait des erreurs.

Après m'être plus ou moins calmé, je me change, troquant mon vieux jean contre le short noir absolument banal de la fichue tenue réglementaire des Triskels. Paraît que c'est pour nous reconnaitre rapidement.

Je soupçonne qu'ils veulent surtout se donner un genre, car rares sont les universités à proposer tennis en option sportive.

Je rejoins le court quatre minutes plus tard, devant mes camarades en plein échauffement.
-Aidan ! T'as l'air en forme ! me lance Carter avec hypocrisie.
Si je sais qu'il n'est pas sincère, c'est parce qu'il a été relégué au banc de touche plusieurs fois pour que je puisse jouer.
Mais je lui rends sournoisement son sourire. On fait tous les deux semblant de ne pas savoir à quel point l'un déteste l'autre.
-T'as chômé, on dirait, ajoute Carter en sautillant sur place. Sept minutes de retard, ça mérite un avertissement, non ?
-Bien sûr que non. Tu m'aimes trop pour ça, dis-je en ramassant une balle par terre.
-Goldshard ! Carter ! Dès que vous aurez fini votre conversation, n'oubliez pas de me faire signe ? intervient notre gringalet coach Jakes, toujours impatient.
-Promis ! lui lancé-je hardiment.

Jakes fronce les sourcils. Puis me sourit d'un air moqueur.
-T'as de la chance de te débrouiller, Goldshard. Beaucoup de chance. Mais ne prends pas trop la confiance, gamin, tu risques de te brûler les ailes.
Il sort son sifflet, qu'il porte au cou, comme s'il était arbitre d'un match de soccer, et nous gratifie d'un puissant son strident.
-Triskels ! beugle-t-il. Votre camarade Goldshard ici présent est de tellement bonne humeur qu'il a décidé de vous offrir à tous une série de cinquante pompes !

C'est bien ce que je disais. Il se croit au soccer.
Ou à l'armée.
-Cinquante ? râle Carter en me lançant un regard dédaigneux.
-Non, pardon, pas cinquante. Cent ! rectifie Jakes. Allez !

Et on est obligés de s'aligner en rang d'oignons pour se plier à ses ordres. Ça ne me dérange pas, en fait. Me dépenser a toujours incité mon esprit à se tenir tranquille. Et si ces autres mauviettes de Triskels ne sont pas foutus de s'adonner à cent malheureuses pompes...Je serais ravi d'en discuter amicalement avec eux après l'école.
-T'es un trou du cul, Aidan, tu le sais ? souffle Carter à la trente-huitième remontée.

Un sourire pas du tout forcé me prend tout à coup. C'est plaisant de les voir me détester à ce point. Ça me fait presque oublier le fiasco de tout à l'heure, avec la mise en perspective de mes erreurs passées.

-Je le sais, oui.

Mortal VenomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant