34-Anxiety

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  L'anxiété qui grandissait en moi s'est rapidement muée en terreur absolue quand je suis arrivé à l'hôpital, et que j'ai vu la masse de corps sur les brancards qui défilaient.

  J'ai regardé le visage des blessés graves mais aucun n'était celui de Colleen. Ou de Martin.

  Cela ne m'a pas rassuré pour autant.

  Et si elle ne se trouvait pas parmi les blessés mais les morts ? Cette idée m'a tellement fait paniquer que j'ai commencé à courir comme un dingue, distançant Henry, qui avait eu la décence de m'accompagner.

  J'ai traversé l'aile est à toute allure, bousculant les infirmières qui se dirigeaient vers l'afflux de nouveaux patients, étonnées de mon soudain accès de folie.

  Je continue quand même de courir, même si je ne sais pas exactement ce que je cherche en faisant ça.

  Jusqu'à ce que je croise un visage connu.
  Connu mais qui appartient au passé.

  Je m'arrête avant de lui rentrer dedans. La surprise que je lis sur son visage à demi-ridé doit se refléter sur le mien. Ses cheveux blond cendré et ses yeux noirs en amande n'ont pas changé d'un poil. La dernière fois qu'elle m'a vue, je ne faisais même pas un mètre vingt.
  Désormais, je la dépasse de quinze bons centimètres.

-Aidan, balbutie Scarlett, avec étonnement.

  Je mets une bonne dizaine de secondes avant de me rappeler comment on parle.

-Scarlett.

  Puis je me souviens de la raison de ma venue et je me remets à paniquer.

-Colleen...

  Scarlett pose une main sur mon épaule, et malgré moi je me raidis, je ne suis plus habitué à sa familiarité.

Elle s'en aperçoit et retire immédiatement sa main.

-Elle va bien. Elle a seulement une entorse au poignet et quelques bleus au bras gauche. J'ai pris le premier vol dès que j'ai su pour l'accident.

-Seulement !! répété-je.

-Aidan, elle est en vie...

  Je n'aime pas la façon dont elle dit ça. Un mauvais pressentiment me vient tout à coup.

-......Pas Martin ?

  Scarlett prend une expression indécise. Je recule instinctivement.

-C'est un peu plus compliqué, déclare-t-elle prudemment. Il fait partie des blessés graves.

  Et elle a la décence de baisser les yeux. Mais la situation a bien changé en l'espace de quelques jours et je sais que ma réaction va la surprendre.

-C'est pas grave, sifflé-je avec une absence totale d'émotions. Tant que Colleen va bien...

  Scarlett me gifle, trop vite pour que ce soit douloureux, et reprend la parole d'un ton plus que sévère.

-Ne redis plus jamais ça, Aidan. Tu as oublié tout ce qu'il a fait pour toi ? Tu crois que Colleen et Brenna réagiront comment si leur père meurt ? Tu as la moindre idée de ce dont tu parles ?

  Je me frotte la joue pendant qu'un sentiment de honte me retourne l'estomac.

-Oui, mais ce qu'il t'a fait...

-Je lui ai pardonné, dit-elle sans hésitation.

-Mais tu nous as laissés...

  Je réalise que je lui en veux toujours, en fait. Qu'une explication en bois n'efface rien des années où on a été seuls.

  Je mets fin à la discussion en pénétrant dans la minuscule chambre où se repose Colleen. La pauvre Colleen, qui s'est retrouvé dans ce foutu train par ma faute.

   Si j'avais assumé mes responsabilités au lieu de fuir....

  Je m'assois sur le lit, à côté d'elle, résolu à lui faire le moins de peine possible.

  Ses yeux sont ouverts, mais son enthousiasme habituel n'est pas au rendez-vous. Elle ne saute pas de joie en me voyant, ce qui doit constituer une première dans l'histoire de l'humanité.

-Colleen ? (Je la secoue légèrement par l'épaule ; ses yeux sont fixés dans le vide)

-Aidan...murmure-t-elle en tremblant. Comment... comment va papa ?

-Quoi ?

-Il...il avait du sang partout. Oh, Aidan, j'avais si peur. Il m'a empêché de tomber dans la crevasse, sur les rails, mais lui... (Ses yeux se remplissent de larmes) Les médecins ne veulent pas que je sorte de cette chambre ; je t'en prie, va le voir pour moi !!

-Colleen...

-S'il te plaît, commence-t-elle à sangloter.

  Et évidemment, je cède. Si elle dit vrai, et que Martin lui a vraiment sauvé la vie, je lui dois bien ça, d'aller le voir.

  Je demande à Scarlett le chemin, et elle me conduit dans une autre aile de l'enceinte, celle des soins intensifs. Le cas de Martin a vraiment l'air désespéré. Une boule d'angoisse se forme dans ma gorge mais je la chasse aussi sec.

  Quand nous arrivons devant la porte vitrée, l'appréhension me gagne. Que vais-je lui dire ? Est-il conscient au moins ? Et s'il ne l'est pas ? Je devrais mentir à Colleen ? L'idée ne m'enchante pas du tout.

  Scarlett m'encourage à y aller d'un signe de tête, même si je n'ai qu'une envie : disparaître sous terre.
  Je suis encore en train de faire le pied de grue devant la porte.
  Je n'ai tout de même pas la trouille ! Ce serait d'un ridicule monstrueux.
  Enhardi par ma fierté à deux balles, je trouve la force d'enfiler la blouse, le masque et d'entrer à l'intérieur de la chambre.

  Scarlett ne me suit pas. Je m'en doutais. Elle ne veut sûrement pas être témoin du pétage de plombs qui va indéniablement subvenir. Elle me connait ; elle m'a élevée elle aussi. Mes crises de colère noires les ont toujours épuisés par le passé.

Je serai incapable de ressortir de cette pièce sans faire d'histoires.

  Je m'avance avec réticence, en détaillant avec distance la situation.

  Martin est allongé sur le lit, relié à des tubes menant à un électrocardiogramme, le visage tuméfié et couvert de bandages, légèrement rougis. Ses bras aussi sont bandés, pâles et hagards, même si ça n'a rien avoir avec sa vieillesse dans ce cas-là.

Oubliés ses costumes hors de prix et ses Rolex à trente mille dollars.

  Je me surprends tout à coup à éprouver de la pitié pour lui, en le voyant dans cet état.

  Puis je me rappelle ce qu'il a fait, ce qu'il est, et tout élan de pitié me quitte immédiatement.

    Indécis, je m'approche du lit, pour vérifier s'il est réveillé ou pas. Franchement, j'espère que non, je n'ai pas tellement envie de lui adresser la parole.

  Mes mauvaises habitudes me crient de débarrasser le plancher mais je tiens bon, et reste sur les lieux.
   Il faut juste que...

-T'as donc fini par venir, ricane la voix guindée et rouillée de Martin.

Mortal VenomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant