Chapitre 2 : Un besoin vital

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Quatre jours s'étaient écoulés depuis la disparition et Erin restait introuvable. Pourtant, les recherches se poursuivaient jour et nuit, mais la capitale du royaume était immense et Lihanna s'était vite aperçue que les souterrains étaient aussi vastes que la ville elle-même. Quant aux cours d'eau – qui constituaient pourtant l'un des plus solides indices sur la localisation de la geôle – eux aussi étaient légion dans la cité insulaire.

Mais elle ne perdait pas espoir. Pas encore.

Ils allaient retrouver Erin. Il fallait qu'ils la retrouvent.

Sinon... Eh bien, sinon, elle mettrait la ville à feu et à sang. Elle interrogerait tous les membres de la Garde pour découvrir qui étaient les extrémistes, forcerait leurs pensées – maintenant qu'elle avait découvert qu'elle était une super-télépathe elle savait qu'elle en était capable – et les obligerait à avouer où était détenue sa sœur. Par n'importe quels moyens. Elle menacerait de détruire leur maison, de s'en prendre à leur famille – bon, sauf les enfants et les animaux domestiques – et elle les tuerait pour montrer l'exemple.

Oui, oui, c'est vrai... Plus les jours passaient, plus elle devenait flippante. Parfois elle se faisait même peur toute seule quand elle se rendait compte qu'un monstre était en train de prendre sa place. C'était comme si deux personnes cohabitaient à l'intérieur de son corps. L'une ressemblait à la Lihanna qu'elle connaissait depuis des années – impulsive et revêche, mais humaine – mais l'autre était beaucoup plus sombre – agressive, froide et impitoyable...

Elle savait qu'elle avait toujours eu des tendances bipolaires. Enfin, comme elle avait toujours eu aussi tendance à l'exagération, elle pensait surtout qu'elle était extrêmement lunatique. Mais là, son cas commençait à relever sérieusement de la psychiatrie et on pouvait dire – non, en fait on pouvait affirmer – qu'elle devenait légèrement inquiète quant à sa santé mentale.

Bon, il était évident qu'une partie de son délire était dû au manque de sommeil et à la peur qui lui nouait les entrailles depuis qu'Erin avait disparu. Mais plus le temps passait, plus elle se disait que cette noirceur avait toujours fait partie d'elle et qu'elle arrivait de moins en moins à la maîtriser. Dans peu de temps, elle était certaine que son côté obscur finirait par prendre le pas sur la lumière.

Mais le pire, c'était qu'une part d'elle-même – une part d'elle-même lucide pourtant – désirait ardemment se laisser envahir par cette Lihanna froide et impitoyable, gouvernée par la haine et la rage, juste pour ne plus souffrir. Éteindre ses sentiments, geler son cœur pour ne plus ressentir cette peur et cette inquiétude constante qui lui broyaient les tripes un peu plus chaque jour.

Oh la vache... Elle savait qu'elle avait toujours été extrême dans ses réactions, mais là, c'était carrément l'angoisse !

Et bordel ! Elle ne pouvait pas se laisser basculer si facilement du côté des méchants, nom d'un chien ! Ce n'était pas ce qu'Erin aurait voulu !

Ben voilà... Quand elle disait qu'elle était bipolaire ! C'était plus clair maintenant ?

Quoi qu'il en soit, pour résumer, elle commençait à sérieusement perdre pied.

— Je pense que l'on ferait mieux d'arrêter les recherches pour aujourd'hui, lança soudain Kenneth devant elle d'une voix lasse.

Ils se trouvaient dans une galerie souterraine, située non loin des bâtiments de la Garde, assez larges pour qu'ils puissent y avancer à deux de front. Les murs étaient en pierres blanches, devenues plutôt grises avec le temps, et le sol était en terre battue.

Lihanna releva la tête et constata qu'ils se trouvaient dans un cul-de-sac.

— On n'a qu'à faire demi-tour et prendre la précédente bifurcation, objecta-t-elle au jeune homme.

Kenneth poussa un soupir de frustration. Il avait beaucoup changé depuis la disparition d'Erin, lui aussi. Oublié le garçon flegmatique. Il se sentait responsable de ce qu'il s'était passé car c'était à lui de veiller sur Erin. Peu importait le fait qu'il n'était pas invité à cette soirée, le poids de la culpabilité – mélangé à la peine et la peur – le rendait extrêmement irritable et impulsif.

— Et pour quoi faire, Liha ? On est tous crevés, morts de faim et en plus on s'éloigne du cours d'eau !

— Mais peut-être que...

— Ça suffit, vous deux !

Eana MacCormac avait parlé d'une voix cinglante. Ses grands yeux verts étaient soulignés de cernes noirs et son beau visage était marqué par l'inquiétude.

— Kenneth a raison, Liha. Nous avons besoin de repos si on veut être efficaces. On reviendra demain reprendre nos recherches.

— Mais, maman...

— Ça suffit ! réitéra sa mère sur un ton sans appel.

Elle passa une main sur son visage avec lassitude puis se rapprocha de sa fille, dont les traits étaient figés.

— Liha, soupira-t-elle d'une voix radoucie. Tu as vraiment besoin de rentrer. Tu commences sérieusement à me faire peur. À nous faire peur...

Elle désigna du menton Kenneth et Connor qui se trouvaient près d'elle. Ils avaient baissé les yeux.

— Je sais que tu es inquiète, nous le sommes tous. Mais... mais tu as changé. Je ne te reconnais plus. On dirait... on dirait que tu agis comme une machine dénuée d'émotions. Je commence à me demander si j'ai bien fait d'accepter que Iain et toi participiez aux recherches...

— Tu n'avais pas le choix, rétorqua-t-elle d'une voix froide.

Oh merde... C'est vrai qu'elle commençait à ressembler à un robot. Et puis... venait-elle vraiment de répondre à sa mère, là ?

Mouais... La Lihanna psychopathe et suicidaire était plus prête de sortir qu'elle ne se l'était imaginée. Surtout si ses proches commençaient eux aussi à s'en rendre compte. Son côté obscur n'allait plus tarder à l'emporter.

— Oh si, jeune fille, j'avais le choix, la rembarra sa mère les yeux étincelants de colère. Et je l'ai toujours. Continue comme ça et je t'enferme dans ta chambre à double tour, comme la petite fille capricieuse que tu es devenue.

— Si tu le dis, répondit-elle de la même voix froide en haussant les épaules. Tu peux toujours essayer...

Elle tourna les talons et s'éloigna dans la galerie.

Oh la vache... Il fallait vraiment qu'elle fasse quelque chose. Son double maléfique était vraiment en train de prendre le dessus.

— Lihanna ! l'appela sa mère, choquée.

— C'est bon, je rentre, répondit-elle sans se retourner.

Puis elle se mit à courir, courir comme si le diable était à ses trousses, la poitrine oppressée par l'angoisse.

Oh oui... Il fallait vraiment qu'elle fasse quelque chose pour reprendre le contrôle. Et vite.

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ORCAM - Tome 1 : Automne (2ème partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant