Prologue II

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Pluie battante

J'étais assise dans une des charrettes du convoi depuis plusieurs heures déjà, regardant le paysage défiler derrière un rideau de pluie.

Abrités sous une toile jaunie par le temps, les autres passagers et moi comptions les heures, impatients d'atteindre enfin Rosran depuis notre départ de Ladsen.

A cause d'un orage qui venait d'éclater, l'allure des véhicules avait considérablement ralentie et, la nuit déjà tombée ne permettait pas d'y voir plus clair. Nous ne pouvions qu'apercevoir les vagues flammèches des torches du convoi et celles de l'escorte de trois aventuriers osciller dans leur cloche de verre.

Impossible de savoir quand notre destination serait visible.

 — Allez, trois heures au grand mot et je serai arrivée, murmurai-je lassée tout en contemplant de nouveau les éclairs déchirer la masse nuageuse.

Le charriot avançait au rythme des roues ballotées par le mauvais état de la route. Soudain, des cris interrompirent le calme de notre véhicule. Les hurlements survenant des premières caravanes troublèrent les enfants qui ne parvenaient pas à dormir à cause du tonnerre.

  — Aaaaaah ! Non-Ne-Aaaaaaah, résonna en écho à l'avant du convoi.

Malgré la confusion naissante, je crus voir une immense fumée rouge fendre les nuages avant que les chevaux alertés par le danger se stoppent, nous entraînant dans leur élan. Mon esprit s'embua après que mon corps se soit étalé sur le sol boueux, le choc se répercutant jusque dans mon crâne.

  —Impossible, bredouilla une femme tombée plus loin devant moi.


Je relevai ma tête, encore plongée dans la fange, vers elle. Un effroi incommensurable s'empara de moi quand je vis ce qu'elle observait.

Un véritable massacre.

Une horde de monstres à l'allure humanoïde et à l'aspect verdâtre nous faisait face, salivant d'avance face à leur nouveau repas.

Les premières charrettes étaient tombées et se faisaient piller par certains d'entre eux tandis que d'autres de ces monstres s'en prenaient aux hommes.

Des trombes de flèches s'abattaient autour de nous, perforant la chair pour certaines et s'enfonçant dans la glaise pour d'autres tandis que les torches brisées répandaient leurs flammes sur l'herbe trempée. Le sol s'embrasa malgré l'humidité et une odeur de bois calciné se répandit dans l'air où se mêlait le sang et la pluie.

Les créatures qui s'étaient approchées de nous riaient aux éclats et, l'un de ces monstres attrapa soudainement la gorge de la femme sous les yeux de son enfant effaré. Elle tenta de se débattre mais ses mouvements se bloquèrent soudainement quand elle aperçut la masse d'une des bêtes s'agiter devant elle.

Le spectacle qui se déroula ensuite était inconcevable.

Trois monstres tenaient la femme, lui arrachant ses vêtement, la lacérant de leurs griffes avant de la rouer de coups, leurs rires diaboliques résonnant dans l'air brûlant. Un plaisir inouï les envahissait à chaque cri d'agonie de la femme puis, quand la vie sembla quitter son corps il la lâchèrent comme un vieux tissu sur le sol, laissant son enfant la contempler avant de le frapper jusqu'à ce qu'il périsse à son tour.

Une expression indescriptible troublait son visage qui venait de perdre toute humanité.

Mais, un des monstres observa curieusement la femme qu'ils avaient torturés puis la releva et ouvrit ses yeux, il comprit qu'elle était encore vivante malgré la torture.

Agacés par sa ruse, ils agrippèrent ses cheveux pour tirer sa tête en arrière et dévoiler son cou. Là, il plantèrent chacun à leur tour une dague rouillée dans la gorge de celle qui les avait piégés et la remuèrent sans douceur. Le sang gicla à flot des plaies béantes jusqu'à ma peau pour finir par s'écouler sur le sol dans un faible filet d'hémoglobine.

Mon bras, pourtant engourdi par la chute, s'éleva de lui-même et tenta d'atteindre d'un geste hésitant la blessée, en vain. Elle était à des mètres de mon corps incapable de se lever devant nos assaillants.

Ce spectacle se répéta, encore et encore sous mes yeux impuissants. Les corps sans vie d'hommes, de femmes et d'enfants, frappés, poignardés, lacérés ou encore égorgés tapissaient la terre humide alors que je regardais les monstres s'approcher de moi.

Mon tour était arrivé.

Tétanisée, je ne respirais presque plus, comme si je m'étais déjà préparée. Je venais de voir des femmes violées par ces monstres, des hommes privés de leurs membres, des enfants poignardés sans pitié, plus rien ne me faisait encore penser que j'étais en vie.

Je ne prêtais plus attention aux effluves de sang qui se mêlaient à l'odeur de la pluie ni aux cris déchirants qui couvraient le bruit du tonnerre. Je ne savais même plus si vivre en valait la peine ou même si je n'avais pas déjà rejoint les terres du diable tant ce petit bois de sapins épineux ressemblait désormais à l'enfer.


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