Chapitre VI

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                                                          Seul à seul

Une semaine avait passée depuis la venue de mon amie. Nous avions discuté du mariage. A aucun moment, nous n'avions abordé mon aventure.

Aujourd'hui ma rencontre avec mon futur mari avait été décidée.

Étrangement, je ne ressentais aucune angoisse ni peur, comme si tout ce que j'avais vécu pendant ces quelques temps m'avait préparé à n'importe quoi.

Ziege s'affairait à retoucher chacun des plis de ma robe, chaque fronce, chaque nœuds. Bras à l'horizontale, je me tenais droite, tentant de ne pas desserrer le corset qu'on m'avait plus tôt. Mes cheveux s'échappaient d'un chignon soigneusement travaillé pour venir cascader jusqu'à mes omoplates. Un trait de crayon soulignait un regard de biche qui n'avait rien de naturel, me conférant davantage un air ahuri et idiot plutôt que la délicatesse attendue et une légère couche de pigments rougissaient mes lèvres.

J'avais repris cette habitude d'être habillée, lavée, préparée par mes servantes. Ne portant plus d'affaires dits de "souillons", j'étais chaque jour affublée de robes de soie de formes et de teintes différentes.

A lui-seul, cet attirail pesait bien une demi-épée de métal et malheureusement pour moi, j'avais perdu cette facilité à me déplacer gracieusement avec cette charge sur le dos. Raison pour laquelle ma rencontre avec l'héritier des Lamarquise avait du être retardée, je ne devais pas me traîner pour arriver jusqu'à lui d'après ma gouvernante.

Au début de l'après-midi, nous partîmes à leur rencontre. Le ciel était comme à son habitude peint de gris et, parfois, quelques volées de corbeaux traversaient les épaisses nuées de fumées. Le soleil, lui, ne perçait pas le nuage persistant. Et au loin, seules les grandes usines de béton noir venait plomber le ciel d'anthracite.

Encore une journée bien triste sur Ladsen.

Après maintes remous, assise sur les sièges feutrés d'une calèche, j'arrivais au lieu de notre rendez-vous ; le Thea's Tee. Un grand immeuble de béton où se réunissent tous les grands bourgeois et noble de haut lieu pour discuter.

En descendant du véhicule, je fus marquée d'une profonde nostalgie en contemplant la façade rougeoyante du bâtiment. Cela faisait bien longtemps, peut être encore du temps où mes parents vantaient leur enfant auprès des autres clients du salon, que je n'avais pas vu cet endroit.

Enfant, j'observais cet endroit avec admiration mais depuis, en regardant attentivement on peut voir combien le rouge est devenu terne face aux reflux de fumée des usines. L'enseigne de Thea's Tee avait perdu de son éclat pour se déverser un jaune tâché d'huile et la devanture toute entière semblait avoir subi les effets du temps. Même les grandes baies vitrées du deuxième étage étaient devenus opaque.La terrasse autrefois si animée était devenue déserte tant les visiteurs n'appréciaient pas l'odeur charbonneuse qui s'invitait dans le salon.

 Une serveuse vint immédiatement à ma rencontre en apercevant le véhicule arrêté :

- " Bonjour, Mademoiselle. Nous vous attendions. SI vous voulez bien me suivre, je vais vous conduire à Monsieur. Il vous attend dans une salle privatisée." formalisa cette dernière en m'ouvrant la porte du lieu. Je n'eus pas le temps d'observer le salon que mon guide montait l'escalier en colimaçon à l'aide de grande enjambées.

Arrivant dans la pièce, la serveuse disposa pour s'occuper, sans doute, des quelques clients qui devaient occuper le rez-de-chaussée.

La salle dans laquelle je me trouvais était en effet réservée, seul mon fiancé et son majordome se trouvaient dans la pièce, bien que l'employée quitta aussitôt les lieux pour nous laisser. Dans ce grand espace, il n'y avait que deux canapés qui entouraient une table où reposaient une théière et ses tasses ainsi que des petits-fours trônant sur un magnifique présentoir d'acier poli.

Je crus perdre haleine en découvrant celui avec qui je passerais la fin de mes jours. J'ignorais si c'était la fatalité de la chose ou la beauté grisante de l'homme ici présent qui m'effrayait à ce point mais je dus ralentir mon pas pour ne pas tomber.

- " Bienvenue, Diane Eulet. J'imagine qu'il est inutile de me présenter mais, par souci de formalités : je me nomme Klaus Hênnes, futur héritier de la compagnie des diligences Lamarquise et votre heureux fiancé. Je ne suis pas déçu, vous êtes splendide, Mademoiselle." m'invita le jeune homme en quittant son admiration de la vue depuis la baie vitrée.

Sans répondre à son appel, je restais coite en observant désormais le visage de face de ce-dernier. Plongeant mes yeux dans un véritable abîme d'argent, je perdais pied, comme si un sorcier me charmait grâce à un quelconque artefact, il m'était impossible de détachait le regard des pupilles reluisantes de mon interlocuteur.Oui, son regard m'attirait, comme un aimant.

Son visage semblait être taillé dans de la pierre, d'un teint sans aucune imperfection, son nez aquilin, son front et sa mâchoire légèrement carrée se dessinaient avec une droiture parfaite. Je devais même refouler l'envie de repousser les fines mèches de blé de son visage pour le regarder tant il m'attirait. Je chassais toutes les louanges qu'il m'inspirait pour regarder au-delà de son masque.

Me gratifiant d'un sourire si charmant, il me présenta une place face à la table. Je ne savais comment agir, me contentant de suivre ses "directives" pourtant, lui, paraissait parfaitement à l'aise mais ce n'était que du vent. J'hésitais quelques instants devant la tasse de porcelaine fumante d'où s'échappait un arôme de thé puis, remarquant la nonchalance de mon futur époux, j'en bus une gorgée. Comme dirait le barman de Rosran, Sorret : "C'est bien à cela que ça sert !"

M retournant vers Klaus, un frisson me parcouru. Il était imperceptiblement inquiétant puisque, après m'avoir fait assise, il restait à la grande baie vitrée et observait la ville s'étendre derrière le verre.

Celle-ci opaque, je me demandais s'il parvenait à voir au travers mais, coupant court au long silence qui s'écoulait, Klaus déclama, d'une voix claire et confiante, bien différente de son ancienne douceur :

- " Vous ne dites rien, je m'attendais pourtant à ce que vous soyez divertissante. Après tout, vous avez été témoin d'actes qui nous sont inconnus, à nous ; Hommes de bon foyer., n'est-ce-pas, Mademoiselle l'aventurière ?"


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