Chapitre XIII

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Les pièces de l'échiquier

Lentement, un sentiment d'inconfort m'extirpa de mon sommeil. Les rayons du soleil m'accablaient, en effet, d'une lumière aveuglante.

- " Ziege... Ne te sens pas obligée de tirer les rideaux le matin, cela ne me posera absolument aucun problème." informais-je celle qui venait de laisser le jour poindre dans la pièce.

Je ne parvenais pas à relaxer mes membres engourdis. En réalité, il était rare que je me lève en si mauvaise forme. Je marmonnais des bribes de plaintes en quittant mon lit. A elles-seules, mes courbatures semblaient me rappeler que je n'avais pas subi l'entraînement spartiate d'un aventurier depuis longtemps déjà.

Je suis sûre que cet idiot m'a hanté... Il apparaissait sans cesse dans mes rêves et, à chaque fois son regard se perdait. Il sombrait dans une profonde haine, transformant mes rêves en cauchemars.

Ignorant la farandole de viennoiseries, pâtisseries, plats et autres douceurs coutumes du petit-déjeuner, je me dirigeais dans ma salle d'eau. Mes pieds traînassant sur le sol suffiraient à faire reluire n'importe quel carrelage tant je ne me portais plus.

Je tirais de l'eau d'une splendide œuvre d'art de technologie originaire de notre belle ville et éclaboussais mon visage. Les gouttelettes glacées brûlait ma peau fébrile durant quelques instants puis, une fois celle-ci habituée, elle retrouva son teint de pêche quotidien. Ziege ne supportait pas que je fasse cela depuis mon retour mais ce geste me permettait d'effacer les marques d'insomnie qui ont ponctué mes nuits.

Expirant d'un coup tout l'air de mes poumons, mon cœur battait à une cadence plus ralentie mais leur force augmentait au point qu'ils résonnaient dans ma cage thoracique.

Tout sera bientôt fini, désormais, avais-je songé quelques heures avant la venue de mon amie.

J'étais allée parler à mes parents. Bien entendu, ces derniers étaient sceptiques quant à une tentative de renverser la donne. En bon commerçants, ils mesurent avant toute chose le risque à prendre et, la probabilité de réussite.

C'était effrayant. La perte d'un pion sur le plateau revenait à notre défaite mais, cela impliquait d'autres conséquences. Les Lamarquises, une fois au pouvoir, ne permettraient plus à notre famille de continuer à vivre après l'affront de les trahir. Je devais leur demander de franchir le point de non-retour, il était évident qu'ils hésiteraient. Nous devions parier notre vie sur ce coup et espérer mettre en échec ce proclamé roi.

En ressassant notre discussion, mes mains se moitirent au travers de mes gantelets et des rideaux de sueur cascadaient le long de ma nuque, dévalant dans mon dos en laissant une traînée glaciale sur son sillage.

Mère s'était levée d'un bond à mon annonce quant au refus de se laisser marcher dessus. Son regard vacillait. La peur, l'incompréhension, la tentation et l'espoir défilait sur ses pupilles humides. Père, lui, coudes sur le bureau, mains jointes devant son visage, n'avait simplement émit qu'un soupir. Il ne me prenait pas au sérieux mais, c'était sans compter sur le soutien d'une guilde toute entière.

Une missive venue tout droit de la capitale avait été remise en urgence au maître de la maison par un des servants missionnés pour cela et son contenu avait écarté tout doute possible. J'ignorais comment ils avaient fait mais, en seulement une nuit, la capitale venait nous tendre sa main.

En effet, d'après les dires de cette lettre, sous l'information et la promesse sur l'honneur de l'aristocrate Yvan de Courtebell, une enquête sera menée aussitôt pour prouver de la culpabilité des Lamarquise quant à une tentative d'assassinat, de coup d'état et d'atteinte à la couronne. Ainsi, le conglomérat Eulet, récemment lié à cette famille est prié de prêter toute aide possible le temps de l'enquête.

Yvan. Yvan de Courtebell. Cela devait être la première fois que j'entendais son nom complet. Bien qu'il me soit inconnu, il nous a permit de recevoir l'aval de ma famille ien qu'inutile en sachant que mes camarades étaient déjà passés à l'action. Le tour de prodige qu'ils avaient fait méritait toute ma gratitude et, c'était bien pour cela que je devais maintenant convaincre Gladys.

Cette dernière et moi étions d'ailleurs attablées autour d'une petite table de jardin au milieu de la roseraie artificielle du domaine.

- " Si les traits de ton visage se reflétaient sur ton argenterie, tu verrais au combien les morts-vivants envieraient ton teint macabre." plaisanta la gothique qui venait d'arriver.

Elle était d'une fraîcheur remarquable. Elle disait vrai quand elle remarquait que je faisais peine à voir. Toujours vêtue de milles breloques, accessoires et excentricités en tout genre, sa simple arrivée permettait d'égayer le triste ciel monotone de Ladsen.

Toutefois, je ne pouvais pas nier être vexée par sa pique mais, je cédais au pardon, après tout il s'agissait là d'une perche que je ne pouvais pas manquer, n'est-ce-pas Mère, maîtresse de la diplomatie ?

- " Tu as raison, je suis harassée... En fait, je ne dors presque plus de mes nuits..."

- " Tu sais, il est important que tu sois en forme pour le jour J... La nuit de noces...?" ne put se taire cette originale visiblement incapable de s'inquiéter.

La surprise provoquée par sa remarque me fit tousser à m'en brûler la gorge. Ne relevant pas mais laissant le rouge empourpraient ma peau jusqu'à la racine, je poursuivais après une quinte de toux  :

- " Cela n'a aucun rapport... J'ai juste quelque chose qui me dérange. Enfin quelqu'un, plutôt. Je vais être assez prompt mais, j'ai besoin que tu m'aides à faire virer l'un de mes servantes... Hündin ! Cette dernière projette de me voler on époux !"

Même si cette invention ridicule était mon œuvre, je ne pouvais m'empêcher d'être embarrassée à l'idée d'avoir exprimée pareille sottise. Je ne pense pas qu'il s'agissait là d'une chose crédible mais, pour Gladys la simple évocation de l'amour suffisait à lui faire croire aux fées.

Un faible sourire se dessinait sur mes lèvres en la voyant s'emballer par ma demande. Je m'en voulais de lui mentir ainsi. Si elle était aussi enjouée au sujet de ce genre de sentiments, c'était bien que son propre mariage la laissait de marbre, elle qui rêvait d'être unie à son prince charmant. C'était décevant de profiter des désillusions d'une personne si naïve mais, il est trop tard pour regretter.

- " Apprêtes-toi à dire adieu à cette fille alors ! Les voleuses de maris n'ont qu'à bien se tenir devant Gladys la magnifique !" clama-t-elle d'un geste fièrement théâtrale.


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