Chapitre XV

80 16 32
                                    

                                                     Les fruits de la jalousie

Les nuages s'étaient dissipés, le ciel à découvert indiquait que l'aube pointait.

J'observais le corps saignant à blanc de mon aîné. Il perdait son sang encore abondamment de son torse. Je venais même à m'en demander comment un corps comme le sien pouvait contenir une telle quantité d'hémoglobine. Lash avait recouvert sa blessure d'un pan de son manteau qu'il avait serré autour de son buste bien que cela ne suffise pas en terme de garrot.

Il marchait devant moi d'un pas boiteux, curieuse je l'avais interrogé :

- " Pourquoi ?... Pourquoi avoir fini dans cet état pour me sauver ?" m'étais-je enquis, le regard détourné et le timbre timide.

Il ne me lança pas un regard, répondant d'un air indifférent :

- " C'était dans mon intérêt que de te sauver, si je ne le faisais pas je risquais d'avoir des problèmes de la part de Sasha et sa clique."

J'acquiesçais d'un signe de tête. Je tentais de dissimuler le mal être qui me pris.

Mon cœur se serra. Je ne savais pas pourquoi une douleur lancinante avait assaillie ma poitrine à sa réponse. Je me sentais presque déçue, moi qui n'avais pas une seule seconde espéré qu'il le fasse pour moi. Nous n'étions pas amis ni camarades ou compagnons, collègues à la limite pouvait qualifier notre relation. C'était normal.

Il ne l'a pas fait pour moi, il l'a fait pour Sasha, résonnait dans mon esprit tel un écho.

Il était allé jusqu'à se blesser mortellement pour mon hôte, et alors ? Pourquoi cela me dérangerait ?

Je ravalais machinalement ma salive et figeais de nouveau mon regard sur Lash. Ses cheveux avaient séchés et se mouvaient à chacun des pas de leur propriétaire. Son dos tremblotait, comme pris de spasmes, par moment. Il tenait fermement l'étoffe de sa lame nue, comme un enfant apeuré qui tentait de se rassurer ; lui aussi l'avait compris, ses heures étaient comptées.

Je ne pouvais pas me permettre de réfléchir maintenant, la vie de mon sauveur était sur le point de quitter notre monde ; l'ange ne sera pas son présage. Je rattrapais mon tuteur et, sans interrompre mon geste, je soulevais le bras de ce dernier et l'enroulais autour de mon épaule. Appuyé sur moi, le blessé irait plus vite jusqu'à la guilde où il serait soigné.

Il me regarda d'un air surpris mais ne répondit pas, se contentant d'arborer une mine colérique. Il ne devait pas apprécier d'être perçu comme faible mais il savait qu'il l'était, dans son état.

Quand nous sommes arrivés à la guilde, tous les membres présents écarquillèrent leur yeux, sortant presque de leurs orbites ; tous reconnaissaient la puissance de mon professeur, le voir ainsi était plus que troublant. Le Maître en recracha même le rhum présent dans sa choppe, Sorret failli renverser sa verrerie sur le sol, le général ravala la plaisanterie qu'il comptait sortir. Seule Sasha réagit devant la plaie béante du blessé.

- " Que s'est-il passé ? Nous vous avons attendu toute la nuit !" clama-t-elle en contemplant les arrivants.

Elle inspecta rapidement son collègue avant d'ordonner aux autres de l'emmener jusqu'au gîte du médecin. Il fallut un laps de temps assez conséquent avant que les membres comprennent la réalité de la situation. Trois hommes assez peu corpulents se levèrent et prirent Lash. L'un tenant son buste et ses épaules, l'autre soulevant ses jambes de manière horizontale, le troisième ouvrait la voie pour arriver le plus vite chez le docteur.

Je vis Sasha serrer sa robe dans sa poigne, même si les autres regards étaient aussi inquiets que le sien, seul son geste resta dans mon esprit.

Elle se ronge le sang pour lui alors, songeais-je, l'amertume ne s'estompant pas dans ma gorge. Ignorant ma pensée, cette dernière s'enquit de mon état aussitôt Lash parti :

- " Et toi ? Tu es sûre de ne pas devoir te rendre chez le médecin ? Viens avec moi !" ordonna-t-elle d'une douce voix dépeignant l'inquiétude et la peur.

Elle me tira immédiatement par le poignet, veillant à ne pas me faire mal et, nous dirigea dans son bureau. Soudain, une question me vint à l'esprit :

- " D'ailleurs... ce n'est pas vous l'infirmière de la guilde ? Vous n'allez pas soigner Lash ?"

Elle me regarda d'une mine perdue avant de me répondre en riant amèrement :

-" C'est vrai que je t'ai pas dit ma profession depuis tout ce temps. Non, je ne soigne personne. Il m'arrive d'aider quelques personnes ici mais ce sont uniquement les blessures ne nécessitant pas de soin particulier. J'étudie les monstres."

Elle marqua un temps d'arrêt devant mon expression d'incompréhension avant de poursuivre d'une voix fluette :

- " Mon travail consiste simplement à étudier les monstres et leurs comportements à travers des rapports et des travaux de recherches. Mes résultats me mènent ensuite à la réalisation de fiches qui, lors d'un grand sommet à la capitale, seront amenées ou non à figurer ou à enrichir le bestiaire du pays. Je suis en quelques sortes une scientifique de monstres ; c'est plutôt macabre, n'est-ce pas ?"

Une boule commença à se former dans mon estomac et à me serrer. Je ne trouvais pas cela macabre, du tout. Sasha Aggran, en plus d'être un femme magnifique, était aussi intelligente, gentille et généreuse, je comprenais pourquoi Lash lui accordait autant d'importance... Cette simple idée faisait naître en moi des sentiments que je ne connaissais pas ; une sorte d'aversion émergeait et ne désirait qu'une chose ; refaire le portrait de mon interlocutrice afin de l'enlaidir.

- " Enfin bref, je sais que c'est un peu prématuré et impoli de te demander cela maintenant mais je n'ai pas le choix. Pourrais-tu me raconter en détail ce qu'il s'est passé, s'il-te-plaît ? J'ai besoin de savoir pourquoi vous n'êtes pas rentrés de la nuit et comment avez-vous fini dans cet état ?" m'interrompit Sasha qui ignorait le songe occupant mon esprit.

Je la détaillais ; son regard tendre et compatissant s'alliait parfaitement avec son ton ferme digne d'une cheffe.  Elle est véritablement incroyable, je ne peux pas me comparer avec elle et j'ignore pourquoi je le fais, songeais-je avec dépit.

Je commençais à raconter notre péripétie en veillant à ne pas omettre de détails.

FlügelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant