Chapitre XIV

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Le moine et le cuirassé d'argent

Le défi et la  soif de vaincre persistaient toujours dans ses yeux, même après que tous les tirages furent achevés.

Évidemment, il y avait encore une étape avant que nous ne puissions laisser libre court à notre hargne combative ; les challenges. Bien sûr, il y aura toujours des imbéciles décidés à se mesurer à la force supérieure, un peu comme moi, en fait...

- " Très bien, place à la seconde partie de cette matinée ! Y a-t'il parmi vous des personnes ne craignant pas l'éminence que représentent nos remarquables Paladins ?" demanda l'hôte du tournoi d'une voix qui semblait encore plus forte qu'auparavant, comme pour provoquer la foule déjà agitée.

Aussitôt, on put repérer parmi le monde grouillant dans les gradins quelques silhouettes s'élever au dessus des autres. Dans ces derniers, on retrouvait bien sûr le compagnon de Gladys, mis fortement en évidence par ses beuglements incessants. D'ailleurs, ses cris eurent l'effet escompté puisque, dès lors de l'appel d'un challenger, la sœur l'invita à descendre au centre de l'arène.

Il continua son spectacle en enjambant la rambarde de pierre pour se rendre au lieu demandé à la place d'emprunter les escaliers, un nuage de poussières emporté dans sa chute.

Les cris d'encouragement se firent plus nombreux, tous enjoués par la confiance démesurée de celui censé implorer l'abandon pour avoir une mince chance de survie.

Autour de nous, les murmures commençaient à affluer. Sa charpente colossale marquée par une peau brunâtre nous incitait à compter le nombre d'heures qu'il avait dû passer à soulever de la fonte sous un soleil de plomb. Ses courts cheveux étaient également passés sous la boule de feu à en juger par les mèches rousses presque brûlées qui rasaient son large crâne.

Çà et là, on apercevait des tatouages tribaux serpenter entre ses habits de cuir tout aussi primaires. Même sa gigantesque massue renforçait l'image d'un guerrier barbare et costaud qu'il nous inspirait.

Pourtant, pendant les brefs instants où la foule commençait à croire en ce courageux homme des cavernes, je discernais les frêles mains de Gladys trembler sur ses jupons. Quelques gouttes de sueurs perlaient sur son front et trahissaient son anxiété. Malgré tout, elle me grimaça un sourire pour tenter de me rassurer mais, aussi pour se convaincre elle-même des chances de victoire de son allié.

Je n'avais pas les mots. Depuis toutes ces heures passées entourée de monstres et de bêtes en tout genre, j'en avais oublié comment communiquer avec l'espèce humaine. Alors, mettant de côté les paroles vaines, je me contentais de serrer sa main dans la mienne, figeant mon regard sur la scène.

J'ignore si cela a fonctionné cependant, j'eus la brève impression que ses tremblements avaient diminué en intensité. Tout du moins jusqu'à ce qu'il annonce, sous un tonnerre d'applaudissements, sa volonté d'affronter le chef des Paladins ; Celian Thaddaeus Percy.

Cette provocation eut le don d'arracher un sourire amer à l'homme impassible et doux qu'incarnait ce commandant. Ainsi, durant les quelques secondes suivants sa demande, les klérotèrions furent ramenés à l'intérieur du Colisée et les Paladins repartirent dans leur loge. La none, elle, se plaça grâce à je ne sais quel chemin, sur une estrade surélevée du terrain et annonça les modalités du combat tel un arbitre.

Le duel débuta sur une charge menée par le colosse nommé Rostang, le poing en avant, fermement ceinturé par un bracelet de cuir et de fourrure. L'assaut fut puissant, à tel point qu'un panache de fumée et de poussière se souleva dans sa course.

Un cliquetis métallique retentit. La poigne du géant fut simplement paré.

En une fraction de seconde, le Paladin, pourtant immobile jusqu'à cet instant, avait dégainé sa rapière et, uniquement avec un geste d'apparence si délicat, il stoppa net le monstre de muscles.

Celadon. Cette arme faite d'argent était très fine mais, à en juger par l'étonnante facilité avec laquelle la bête humaine et ses nombreux assauts qui succédèrent au premier furent interrompus, on devinait aisément combien son métal était robuste.

Puis, lassé de devoir subir les caprices d'un homme refusant d'avouer sa défaite, il tendit son bras et son épée et traça un demi-cercle devant lui. Dans un réflexe presque animal, Rostang parvint à échapper à la lame qui fendait l'air d'un bond.

Pour un amateur, sa fuite aurait paru comme désirée et prévue par son porteur qui maîtrisait la joute mais, pour une personne comme moi qui possédait déjà une expérience du combat, son visage le trahissait.

Les muscles de sa face se fronçaient sous la panique. Il avait bel et bien conscience que ce bond en arrière n'était que le résultat d'un instinct animal hérité de nos ancêtres, pas une preuve de son talent. Pour l'instant, il se faisait mener à la baguette. Il n'était pas héroïque et le savait.

Son expression frustrée de perdre malgré ses longues heures d'entraînement animait son visage. Rien que voir le sourire presque compatissant de son adversaire suffisait à le faire bouillir intérieurement.

Pourquoi devait-il perdre après tous ses efforts ?

- " Parce qu'il y a une différence entre le talent né d'efforts et les efforts qui renforcent le talent naturel."

Comme s'il devinait le conflit intérieur qui faisait rage dans l'esprit de Rostang, Celian lui avait murmuré sa réponse au creux de son oreille, juste avant de ficher l'ensemble de sa lame dans ses boyaux, emporté dans l'élan qu'il avait souhaité.

Le bras de la none se leva brusquement et l'issue du combat fut proclamé avec fermeté :

- " Et le vainqueur est Celian Thaddaeus Percy ! Applaudissez bien fort le perdant mais réservez un tonnerre d'applaudissements au gagnant ; le symbole de la défense de notre royaume !"

La scène devant les yeux du public était affreuse. Un homme rampant au sol, son sang gisant sous sa plaie, le visage haineux et désappointé. Un chevalier d'argent projetant d'un geste, devant sa victime, toute l'hémoglobine qui entachait le clair de son épée. Des médecins vêtus en habits religieux porter le blessé sur une civière pour le ramener à l'infirmerie située dans les coulisses du Colisée. Une mare rouge teindre la terre en cramoisi. Le sourire heureux et doux d'une personne venant d'enfoncer profondément sa lame dans le corps de quelqu'un d'autre.

Et pourtant, la foule acclamait la détresse de la scène. Elle hurlait sa joie et son désir de prolonger la souffrance du vaincu. Elle aimait ça.

Sans que je ne m'en aperçoive, Gladys avait retiré ses mains des miennes et pleurait dedans, un sourire forcé sur ses lèvres, impuissante. Alors que moi, Je m'étais contenté de pousser un juron.

Décidément, ça tourne plus très rond chez moi, si ça continue, je vais bien devenir aussi folle et insensible que l'autre enflure au manteau noir.

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