Chapitre IX

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                                   Praesenti, le présent des illusions    

La foule commençait à se dissiper devant mes yeux larmoyants. Les essuyant du revers de la main, je commençais à discerner les visages hypocrites des invités et autres curieux assistant à la cérémonie.

Mère, Père, ma belle-famille ; ils étaient emplis de faux. Tel un clown triste qui continue de sourire, ils affichaient des sourires radieux, rayonnants d'honnêteté et de joie. Pourtant, dès que les Lamarquise auraient la main mise sur notre conglomérat et notre locomotive, nous laisserons cet homme prendre le pouvoir du pays.

Puis, alors que la véritable marée humaine se fragmentait, je crus rêvé. Au milieu de cette foule se dressaient deux visages qui m'étaient familiers.

J'avais l'impression de pouvoir revoir ce même chignon négligé d'où s'échappaient de soyeuses mèches brunes, ce même pull-over lavande bien trop large recouvrant une robe saumon, cette même grosse ceinture portée par mon amie. Je revoyais aussi ce même manteau de cuir noir, cette même épée pendant dans son fourreau, ces même cheveux en bataille et ce même visage toujours renfrogné.

Sasha.

Lash.

J'étais tellement heureuse de les voir, même s'il ne s'agissait de rêves. Je suis si heureuse ; les revoir est certainement la chose qui pouvait me faire le plus plaisir avant ce supplice. Je veux me souvenir du moindre détail qu'ils arborent, les imprégner dans mon cœur. Grâce à eux, pendant quelques semaines, j'ai pu découvrir le monde, je me suis sentie vivante pour la toute première fois. Je ne veux pas oublier ces sentiments, je souhaite garder ces personnes gravées au plus profond de mon cœur et de mon âme.

Je revoyais leur visage, je ressentais la chaleur et la force qu'ils dégageaient, j'avais l'impression qu'ils se tenaient devant moi. Mais, en observant de plus près leur expression je commençais à songer que ce n'était pas simplement une illusion.

Le sourire crispé de mon aînée et la surprise exhalée par mon ancien professeur semblaient réelles et, surtout, pourquoi ? Pourquoi une illusion arborerait-elle pareille mine ?

Puis, coupant net à tout doute, Lash se précipita sauvagement vers l'estrade. Son visage était passé de la surprise à la colère. Pendant un instant, j'ai vu une véritable bête sauvage émaner de ses traits. Je m'étais réduite pendant quelques secondes à avoir peur de lui, peur qu'il me tue comme il a failli le faire il y a quelques temps. Déchaîné, il repoussa violemment les autres convives devant lui au sol avant d'être arrêté par Sasha à mi-chemin.

Elle avait intercepté l'un de ses bras et, avec ce dernier, fit basculer son buste en avant et ses jambes en arrière pour, finalement, plonger son visage contre les taules d'acier composant la place. Elle le retenait avec fermeté contre le métal gelé, je fus même étonnée de voir une telle force émaner de ses bras si frêles.

Retenu par terre, les invités, qui s'étaient éloignés de quelques pas, observaient mon ancien camarade d'un air effaré, certains poussaient des cris de terreur tandis que d'autres le regardaient telle une bête de foire. Tous semblaient avoir marqué une distance de sécurité en formant une sorte de cercle autour des tâches que représentaient mes camarades.

Lash, lui, scellait si fort sa mâchoire que l'on pouvait croire que sa dentition se briserait sous la pression. Son front se striait se colère et ses orbites auraient pu s'éjecter de leur place s'il ne plissait pas les yeux comme il le faisait.

Je ne comprenais pas ce qu'il se déroulait sous mes yeux. J'ignorais ce que faisaient ces combattants dans cette prison de fer et je ne savais pas pourquoi mon cœur tambourinait si fort contre ma poitrine. Posant ma main conter ma poitrine, elle s'animait de soubresauts irréguliers et douloureux, revenant comme un écho.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? résonnait dans mon esprit, même les appels de plus en plus impatients de mon époux ne pouvaient remplacer ces mots qui se répétaient en moi. Qu'est-ce que tout cela signifiait ?

Je voyais les lèvres de ces intrus remuer, sans doute qu'ils se murmuraient des remontrances et des désirs de poursuite mais, il m'était impossible à cette distance de les entendre et, même si je le pouvais, rien, aucun son ne parvenait jusqu'à mon cerveau absorbé par l'idée de revoir ces gens après tout ce temps et dans de pareilles circonstances. C'était tout simplement inconcevable.

Au bout d'un bref moment silencieux, Sasha relâcha prise et Lash put enfin détacher son visage du parterre. Sans doute parvenus à ce qui s'apparenterait à un terrain d'entente, ils se remettaient debout. Sasha s'inclinait devant les autochtones contrairement à Lash qui les fusillait de son plus beau regard noir sans même dépoussiérer ses habits déjà souillés.

Ensuite, ils me regardèrent de concert. Assez discrètement pour ne pas me faire remarquer, je pus constater que leurs lèvres articulèrent lentement les mêmes mouvements.

- " Attends nous."

J'ignorais ce qu'ils souhaitaient dire par là et surtout s'i j'avais bien interprété  leur propos mais, un bref espoir m'envahit à cet instant. Le simple fait de les revoir prouve bien que tout est possible, non ? Je ne pourrais peut-être pas retourner à la guilde mais si je ne pouvais que leur parler je serais déjà comblée.

Et puis, eux, avec eux, je pourrais parvenir à prévenir ce véritable coup d'état. Je ne suis pas une héroïne ; je ne résoudrais pas cela en triomphant d'un combat mortellement intense mais, je suis une grande bourgeoise, je peux toujours obtenir l'appui de quelques personnes avec l'aide de simples pièces d'or. Père et Mère feraient n'importe quoi pour ne pas perdre leur nom. Avec de vrais combattants tels que eux, ce combat pourrait bien être remportés. Je devais y croire.

Toutefois, des membres de la faible guilde de Ladsen interpellèrent aussitôt les fauteurs de troubles et leurs passèrent corde au poignet pour les amener à leurs quartiers.

Trop d'espoir tue l'espoir, songeai-je avec dépit.

Ma dernière chance d'arrêter ce massacre avait échouée. Je me laissais tristement raccompagner à une calèche par Klaus voulant s'éloigner de ce dit raffut. Je ne me rendais pas seule en terre inconnue, mes parents avaient réussis à me garder au manoir jusqu'à ce qu'une nuit de noces soit décidée.

Cette dernière aurait lieu dans une semaine. C'est une fois qu'elle sera achevée que les Lamarquise bénéficieront de nos capitaux. Pour l'instant, il ne me reste qu'une chose à faire, y parvenir serait au moins la seule chose qui ferait de moi une honorable ancienne membre de la guilde de Ladsen.

Soudain, rompant ma réflexion, l'héritier m'adressa la parole pour la première fois du trajet :

- " J'espère que tu ne comptes pas trop sur ces fanfarons, tu risquerais d'être déçue."

Il s'arrêta un bref instant pour observer mon incompréhension, puisque j'étais résignée, puis, d'un geste théâtral et fier, il annonça :

- " Puisqu'ils ne passeront pas la nuit !"

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