Chapitre XXV

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                                                             Il était une fin

J'étais arrivée seule, quelques minutes plus tôt à la guilde. En effet mon invitée ; Diane Eulet, avait préféré rester à la maison.

Je me demande ce qu'il lui arrive, elle était étrange ce matin..., m'interrogeais-je intérieurement.

- " Sasha !" m'interpella Lash, descendant des escaliers.

Son regard était assombri par des cernes ; il exhalait une fatigue encore plus intense que la veille. Le voir ainsi m'inquiétais, bien qu'il portait un chandail on distinguait des tâches plus foncée qui traversaient le tissu. Je devinais sans mal qu'elles s'étaient rouvertes par endroit. Cela me faisait du mal de le voir dans un état aussi déplorable. Je voulais le réprimander de se mouvoir au point de rouvrir ses blessures et de ne pas profiter de la nuit pour dormir, surtout venant d'une marmotte comme lui mais ce-dernier me coupa net la parole :

- " Diane est arrivée ?" demanda-t-il.

Je clignais des paupières sans comprendre. Notre petit agneau qui s'inquiétait de savoir où était son apprentie ? Le monde ne tourne plus rond ou alors il prend son rôle au sérieux ? Diane lui a-t-elle fait perdre la tête ?

Tentant de ne pas laisser libre court à mon imagination débordante de lectrice avide de romans d'amour, je lui répondais :

- " Je ne pense pas qu'elle vienne aujourd'hui."

Remarquant sa mine désenchantée et ses sourcils qui se fronçaient je poursuivis non sans comprendre ce qu'il leur arrivait.

- " Hier, elle est rentrée sans m'attendre. Quand je l'ai vu, elle s'était déjà endormie sur le canapé et ce matin, elle semblait ailleurs, le regard hagard. S'est-il passé quelque chose quand vous étiez seuls dans ta chambre ?"

Mon employé avait lui aussi le regard dans le vide. J'ignorais quoi mais il était certain que quelque chose s'était produit. Je savais que Lash ne me parlerait pas alors je ne posais pas plus de questions.

J'observais le blessé en pensant trouver un détail interpellant toutefois, la seule chose notable fut sa manie de se frotter la nuque.

Soudain, la porte de la guilde s'ouvrit en trombe, attirant l'attention de tous les hommes présents dans la taverne ; encore sobres à cette heure. Nous reconnûmes l'un de nos hommes immédiatement à l'entrée.

Ses cheveux crasseux retombaient faiblement sur son visage hâlé et poussiéreux au moment où il interrompit sans doute une course au vu de sa sueur dégoulinante et de sa respiration saccadée. Il ouvrit la bouche après quelques minutes adossé contre l'encadrement de la porte :

- " Hun hun... C'est la nouvelle... Un homme disant faire partie de l'ordre des Paladins la cherche... Hun hun... La vieille Rinane leur a dit qu'elle était restée chez vous, mademoiselle Sasha ! Vous l'avez croisé en venant ? Hun hun... Je crois qu'il va y aller !" souffla difficilement l'arrivant.

Je déglutis. La veille, Diane s'était interposée devant la Paladin venue chercher son professeur ; il était très bien possible qu'il vienne la récupérer pour s'en être prise à un membre de cet ordre. Notre protégée ne risque pas grand chose au vu de son statut mais face à la capitale je ne sais pas si cela suffira.

Étrangement, ce fut son tuteur qui intervint le premier. Je doutais qu'il s'en voulait s'il avait compris la même chose que moi alors je m'interrogeais. La culpabilité n'étant pas sa principale qualité, il était impossible de savoir pourquoi il s'énervait de la sorte :

- " J'y vais ! Faut que j'aille la voir !" cria-t-il en serrant les poings.

Ignorant formellement sa demande, je lui interdisais de s'y rendre. Pour ainsi confirmer mon ordre, le médecin arriva à l'instant pour l'ausculter comme il l'avait annoncé lors de notre visite.

Finalement, après avoir essuyé les objections de mon collègue, je m'étais rendu seule jusque chez moi en courant. Ma vitesse m'avait permise de m'y rendre en peu de temps cependant, le Paladin était déjà arrivé et attendait patiemment ma venue.

Je ne distinguais encore qu'une petite diligence, similaire à celle aperçue la veille ainsi que deux soldats de la capitale gardant cette dernière. Puis, en contournant de loin le véhicule je vis enfin la silhouette du guerrier.

D'une carrure massive, plus grande encore que celle de mon Maître, le Paladin se tenait fièrement droit devant ma porte d'entrée sous les regards ahuris des passants, tous aussi surpris que moi par la charpente de ce dernier.

Je fus longtemps déconcertée par la lourde armure qui reposait sur ses épaules ; loin d'être aussi étincelante que celle de son chef, la sienne était terne, sans fioritures et grossière. Elle couvrait intégralement sa corpulence, ne dévoilant pas un centimètre de peau contrairement à la dénommée Alecto la belliqueuse. Quelques lambeaux de tissus délavés retombaient de certains coins de son armure et oscillaient sous le vent.

Arrivée à quelques mètres de lui, je sentis mes antérieurs se raidirent en réalisant la taille de son arme, tremblante comme une feuille.  Attelée sur son dos, une immense hache de métal pendait jusqu'au sol.

Malgré son poids, le guerrier se tenait sans mal et ses grandes mains gantelées aurait pu sans difficulté la tenir comme l'on tient une brindille. Taillée à même l'acier, l'arme imposante était ornée d'une multitude de décorations métalliques et semblait avoir été méticuleusement polie, si bien que cela semblait risible d'imaginer un monstre de taille comme son porteur s'atteler à cette tâche avec attention et délicatesse.

Soudain, l'homme tourna sa tête vers moi avant qu'un son rauque ne sorte du heaume décoré de cornes d'ivoire dissimulant son visage :

- " Vous êtes bien la propriétaire de cette maison, non ? J'apprécierais que vous m'ameniez Mademoiselle Eulet, sil-vous-plaît. Je serais bien embêté si je devais casser votre porte." tonna-t-il.

Sa voix presque inhumaine qui s'échappait des fentes de son casque ressemblait à un grognement d'animal, vrombissant l'air sur son passage. Le ton calme qu'il avait employé prenait des airs d'ordre sous la puissance de son timbre bestial. Il suffisait à faire taire même les monstres les plus féroces et les bandits les plus courageux. Tous les villageois attroupés autour de ma maison avaient vu leurs membres se fléchirent face au charisme de cet homme.

                                                                         ***

Quelques heures plus tard, j'étais encore assise sur les marches menant à ma porte d'entrée. Je n'avais pas bougée depuis tout ce temps ; je repensais à son arrivée.

Le Paladin, se présentant comme étant "Ganholt Boris Daïn ; le brave bucheron" avait emmené ma protégée. Entrant dans ma maison sans ma permission, il avait saisi sans discussion le poignet de mon invitée encore ensommeillée.

J'eus beau tenté d'entamer des négociations rien n'y fut.

Il avait été chargé de ramener Diane Eulet à Ladsen, les commanditaires de sa quête étant les parents de cette dernière, je n'avais pas mon mot à dire. D'ailleurs, quant le garde a mentionné ces derniers, Diane arrêta toute résistance, comme si elle savait que rien n'empêcherait son départ.

Je me souviens encore de son visage larmoyant quand elle comprit qu'elle devait partir. Elle s'était débattue de toutes ses forces cependant, face à un homme aussi charpenté même le Maître aurait été comme un vulgaire insecte dans ses bras. Seule l'évocation de ses parents suffit à la résoudre à son triste sort.

Je l'ai observé s'éloigner de ma maison ; se résignant à chaque tour de roue qu'elle ne pouvait rien faire face à cela.

Filip et Isaure Eulet. Leur conglomérat originaire de Ladsen avait un pouvoir suffisant pour obtenir l'aide du meilleur ordre du pays. Cela paraissait évident que nous n'étions que des paysans insignifiants à leurs yeux. Nous n'avions aucun pouvoir contre des personnes puissantes comme elles.

C'était inéluctable ; Diane avait quitté la guilde et ne reviendrait plus.

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