Chapitre III

165 28 48
                                    

                                                          L'ombre frappant le jour

Je marchais depuis un moment déjà, à errer sans but dans la ville. Je n'avais pas mangé depuis hier mais mon ventre ne criait pas famine ; encore heureux que je n'ai pas faim après ce que j'ai vu, ce serait le comble, ironisais-je.

La ville de Rosran était magnifique, le paysage complètement différent de Ladsen me permettait de me détendre, de changer d'air.

Mes bottines claquaient sur les routes dallées de pierre grise, la légère brise créait un faible courant dans les canaux d'eau clair sûrement plus remplis que d'habitude, l'agitation de la ville lui donnait une gaieté digne d'un conte pour enfants et les quelques chants d'oiseaux qui parvenaient à se faire entendre malgré le brouhaha des humains accentuaient cette impression.

La ville était bruyante, d'ordinaire j'y serais allée pour me faire entendre mais j'ai préféré visiter la partie plus calme du bourg, vers les plateaux qui l'entouraient.

J'étais bien loin de l'ambiance de la ville, la terre remplaçait le dallage, l'herbe verte abondait et le seul élément nous ramenant à la civilisation était un petit muret de pierre isolé. C'était d'une splendeur inimaginable ; des pâturages verts s'étendaient à perte de vue et, au loin d'immenses montagnes blanches rejoignaient le ciel. Personne n'aurait pu se douter qu'un orage avait frappé la ville. Ils étaient si grands que nous ne parvenions pas à entendre le bruissement des feuilles dans ce silence vertigineux. C'était une vue à couper le souffle, seuls quelques arbres et buissons trônaient dans l'immensité verte.

- "C'est beau..." dis-je dans un souffle d'admiration devant les fameuses plaines de Raves que j'observais.

Puis, alors que je me laissais aller dans ma rêverie une force me fit soudainement tomber en arrière et me bloqua à la gorge.

Une créature dotés d'yeux sanguinolents me retenait au sol grâce à des griffes tranchantes. Je sentis des plaies s'ouvrir au niveau de ma gorge mais cela ne passa que brièvement dans mon esprit, complètement absorbé par le regard sanglant de mon agresseur. Le monstre avait une peau noire et visqueuse, à vrai dire son apparence était presque brouillon ; son corps se disloquait par moment avant de se reformer et, seules deux mains prolongées par des griffes s'échappaient de la masse sombre qui me clouait au sol.

Il me regardait de ses yeux sanguinolants sans pupilles et souriait de manière démente, comme une bête voulant dévorer sa proie.

Ça y est ? Je vais vraiment mourir, cette fois ?

Une peur que je n'avais pas ressentie face aux gobelins m'envahit et le visage de mes parents encore à Ladsen me traversa l'esprit. Je tremblais mais ne pouvais bouger mes membres, il n'avait beau me tenir que par la gorge, je me sentais si oppressée que même la terreur inspirée par les monstres de la veille me semblait dérisoire.

Je fermais les yeux en déglutissant durement, prête à subir mon sort quand un liquide noirâtre gicla sur mon visage et mes habits.

La masse du monstre s'était déchirée en deux, les restes du visage du monstre semblaient aussi surpris que moi puis s'évaporèrent en retombant sur mes vêtements dans le même liquide noir, semblable à du sang.

Je relevais doucement la tête et ne vit qu'une vague silhouette avancer dans ma direction, émanant une sorte d'aura encore plus bouleversante que le monstre avant de finalement sombrer dans l'inconscience.

Je rouvris péniblement les yeux. J'observais les lieux malgré mon regard embué ; j'étais allongée sur un lit, dans une pièce usée par le temps, une bibliothèque couvrait l'un des murs et, à côté de celle-ci était une femme assise devant un bureau où reposait une centaine de papiers.

Je détaillais chaque mèche brune s'échappant de son chignon négligé, chaque plis de sa robe de velours bleue, ses deux pieds chaussés de souliers à talons, ses lunettes tombant sur son nez fin, son regard bleuté concentré à la tâche, ses lèvres rosées, sa peau blanche et reluisante. Je m'attardais un peu plus sur ses petites mains tenant une plume trempée dans l'encre noire ainsi qu'une fiole contenant un liquide sombre puis sur les mailles de son pull moulant chacune de ses formes, sa large ceinture de cuir entourant sa taille fine et chaque battement de ses longs cils ; elle était d'une beauté indéniable.

Puis soudain un éclair me traversa l'esprit ; c'était Sasha Aggran, la femme que j'avais rencontré dans l'église !

- " Ne t'agite pas trop, tu as eu une dure journée." ordonna-t-elle sans lever un regard vers moi.

Où suis-je ? Je ne me souviens de rien. Elle m'avait dit travailler à la guilde, serais-je là-bas ?

Elle quitta son travail en reposant ses lunettes sur son bureau puis s'avança vers moi en souriant.

- " Tu ne te souviens pas de ce qu'il s'est passé ?" Elle attendit ma réponse et poursuivit. " Tu as été attaquée par un monstre, un de nos hommes t'as retrouvé inconsciente sur le chemin des plaines."

Un monstre ? m'interrogeais-je en mon for intérieur. Soudain une image me revint en mémoire ; celle d'une silhouette humaine s'avançant vers moi. M'a-t-elle attaquée ? Non, c'est un un monstre. Enfin... j'arrivais encore à ressentir l'aura qui se dégageait de lui. Une aura oppressante, terrifiante, à en rendre fou plus d'un.

- " Tu as été attaquée par une Virace, tu sais ce que c'est ? On a retrouvé sa muqueuse sur tes habits." me demanda-t-elle puis, après avoir entendu ma réponse négative continua. " Il s'agit d'un monstre de couleur noir, semblable à une ombre en perpétuel mouvement et apparaissant dans l'ombre d'objets ou de bâtiment. Souvent, son regard sanguin effraie les gens, j'imagine qu'après l'avoir vaincu tu as paniqué." expliqua-t-elle en me montrant l'éprouvette qu'elle tenait juste avant.

L'évocation du regard du monstre me fit réagir, je venais de me ressasser la scène de l'attaque. Des sueurs froides commencèrent à dévaler ma nuque, une angoisse et la peur de revoir surgir ce monstre m'envahirent.

Remarquant ma peur, Sasha caressa mon dos en me soufflant quelques mots rassurants à l'oreille.

- " Je dois aller le remercier !" réalisai-je soudainement ce qui surpris Sasha.

- " Celui qui t'a ramené ? Il s'agit de Pierre mais je doute que tu puisses lui parler maintenant, après être revenu il a enchaîné les verres d'alcool."

Je hochais la tête puis remarquai un détail. Pourquoi a-t-elle dit que je l'avais vaincu ? Et pourquoi celui qui m'a ramené, il m'a aussi sauvée, non ? J'exprimais à haute voix mon interrogation.

- " Comment cela ? Pierre m'a dit que le monstre était mort, tu l'as bien vaincu, non ? Il m'a dit n'avoir vu personne d'autre que toi."

Je ne comprenais pas, je me souviens très bien avoir été maintenue au sol par le monstre, je n'aurai rien pu faire dans cette position, surtout sans arme ! Puis je réalisais qu'il s'agissait sans doute de l'œuvre de la silhouette que j'ai aperçu.

- " Non... Je ne l'ai pas tué, le monstre m'a prit par surprise. Tout ce dont je me souviens est la vision d'une silhouette."

- "Mmmmh. Et pourrais-tu me décrire cette silhouette ?" me demanda-t-elle dubitative.

- " Et bien, il s'agissait d'un humain, sûrement un garçon ! Enfin... je crois, ce n'est pas très clair, c'est peut être une fille finalement. C'est cette personne qui a tué le monstre en le tranchant alors elle doit avoir une épée ! Mais... en même temps...elle devait bien être à dix mètres de moi..." finis-je par articuler en me creusant les méninges au plus au point.

Sasha sembla réfléchir un instant avant de finalement affirmer qu'elle savait de qui il s'agissait.




FlügelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant