Chapitre XV

69 12 26
                                    

Ce que l'on ignore

        Quatre jours étaient passés depuis le départ de la servante du nom de Hündin ,  infiltrée au service de Klaus Hênnes. Au total, cinq jours se sont écoulés depuis mon union avec la famille Lamarquise. 
   
         En définitive, il ne restait plus que quarante - huit heures avant ma nuit de noces où nos biens et capitaux reviendront légitimement à mon époux.

         L'anxiété et l'angoisse rythmaient mes nuits. Des poches cernent mes yeux et depuis, seule l'annonce soudaine d'une nouvelle lettre venue de la capitale réussit à capter mon attention.

- " Que dit - elle ? " pressa Mère devant la mine dubitative de son mari.
- " Je n'arrive pas à y croire..." soupira ce dernier en guise de réponse.

         A ces mots, il reposa ses mains contre son bureau et ferma les paupières. Mère, Lash et Sasha, venus nous rejoindre depuis Rosran et moi sentions les mauvaises nouvelles poindre.
        
          Le sol aurait pu se dérober sous mes pieds, plus je séchais mes mains humides plus elles devenaient moites. Le simple fait de penser aux conséquences d'un échec faisait naître des nausées dans mon estomac. Le creux de ma gorge semblait se consumer sous une bile acide.

         Personne n'osait prononcer mot,  même respirer nous paraissait inconvenant. Au bout d'un moment, Père se massa les tempes puis, se releva pour regarder par la fenêtre derrière son bureau, nous tournant le dos.

- " Ils l'ont fait..." murmura-t -il.

      Ma génitrice, impatiente devant le cruel manque d'informations, déroba la feuille volante et la lut. Nous étions tous rivés à ses lèvres tremblantes mais celle - ci éclata en sanglots et s'effondra sur le carrelage.

     Cette fois, c'en était trop. Je vacillais. Mère ;  cette femme impassible, dénuée d'émotions pleurant comme une enfant, c'était tout simplement inconcevable. De toute mon existence, je n'ai vu que de simples rictus mouvoir sa bouche scellée. Que ce soit la colère, la joie, la tristesse ou l'angoisse, ce fut toujours la même façade marbrée qui plombait son visage. Les photographies de son enfance ou de son mariage ne dérogeaient pas à cette règle.

       C'était évident,  nous étions finis. Je me laissais échouer sur le fauteuil dédié aux invités, impuissante. Des spasmes parsemaient mes larmes de crocodile et mon chignon se détachait sous l'humidité provoquée par la sueur perlant sur mon front. Essuyant sans cesse mes yeux, seul un brouillard apparaissait dans mon champ de vision ou cascadaient mes pleurs.

     Dans toute la salle régnait un silence de mort, le bruit de nos reniflements mutuels comblait partiellement l'ambiance terrible qui jonchait le bureau de mon géniteur. 

- " Je n'arrive pas à croire que cette guilde d'hurluberlus nous a sauvé..." souffla une nouvelle fois le maître des lieux.

Hein ?

- " Oui... Comment des originaux pareils ont - ils bien pu nous permettre de survivre ?" renchérit sa compagne.

Quoi ?

        De concert, les trois ignorants se précipitèrent devant la lettre. En la lisant, l'énorme quiproquo dont nous venions d'être victimes nous ria au nez.
     
        Ainsi, en réponse à l'enquête réclamée par Yvan de Courtebell, le responsable de la recherche annonce la culpabilité de la compagnie Lamarquise et ses dirigeants.

      Elle affirme également n'avoir trouvé aucune complicité entre cette dernière et le conglomérat Eulet. De ce fait, afin d'éloigner tout doute possible, il est prié que Diane Hênnes, épouse de Klaus Hênnes, renonce et renie cette union.

      La procédure a conduit à l'arrestation prononcée de la famille Lamarquise pour être jugée au tribunal de la Balance et d'y décider d'une peine pour ce crime. Toutefois, le responsable d'enquête demande une entière coopération dans le but de retrouver Klaus Hênnes, principal coupable de cette affaire et actuellement fugitif. Remerciant de la patience fournie.

     A cet instant, toute la nervosité qui m'assaillait explosa. D'un rire suraiguë, je laissai s'échapper cette angoisse de mourir sous leurs représailles. Mes nerfs se relâchèrent, je n'avais presque plus d'air à l'intérieur de mes poumons tant j'expirais tous les sentiments accumulés.

     Mais, au bout de ce long rire coulèrent d'immenses sanglots.

     La peur qui me rongeait m'avait fait comprendre combien j'avais peur de tout perdre. Perdre mon nom, ma famille, mes richesses, mes souvenirs, mes sentiments, mes amis, ma guilde. Ce temps où j'ai découvert le goût de la liberté m'a fait aimé la vie à un point tel que la mort que j'ignorais autrefois me terrifie désormais.

      En revanche, si mon changement brutal pouvait me faire passer pour une folle, ce n'était pas le cas de Sasha. Ne faisant qu'un simple sourire de satisfaction, on constatait qu'elle avait une foi inébranlable en ses compagnons.

       Décidément, je n'avais beau connaître que très peu le trésorier de cette guilde, il m'avait sauvé la mise.

- " Cela ne le surprend pas de leur part. Après tout, la Matriârche se fichait éperdument de cette compagnie. Maintenant que son pion est découvert, elle n'allait pas prendre le risque de l'aider." lâcha la scientifique.

       Les bruits s'évanouirent à ses paroles. Comme relégué au second plan, la joie provoquée par notre nouvelle liberté disparut.

- " La Matriarche ?" répéta Père, le seul osant croire aux mots de l'aventurière.

       Nous ne comprenions pas. Que venait faire la personne à la tête de l'Église orthodoxale dans cette histoire ? Pourquoi la seconde personne la plus importante du royaume, si ce n'est la première, voyait - elle son nom mêlé à cela ?

FlügelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant