Interlude

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         Sous le rayonnement des lampadaires, je vois ton visage

Nous quittions enfin la propriétés des Eulet. Franchement, je ne saisissais pas complètement pourquoi il mettait autant de distance entre le manoir et le grand portail de fer noir qui le relie à la ville.

Cela avait déjà une dimension assez inquiétante mais, rajoutée à cela la bonne humeur de mon employé, on était au summum de la joie et de la bonne humer, notez l'ironie.

Je ne trouvais pas de raisons valables pour qu'il ne soit pas un minimum heureux de revoir son apprentie, à moins que ce soit ça, le problème. J'étais vraiment contente de la revoir, sa fraîcheur nous a tous manquée, que ce soit sa gentillesse ou grâce à son incapacité à supporter son mentor et l'alcool, elle nous faisait bien rire et a rapidement su se faire une place au sein de notre guilde.

- " Lash...Lash ! Lasheeeeuuuh ! Tu vas me dire ce qui t'as pris ? Que s'est-il passé tout-à-l'heure ?" l'appelais-je jusqu'à ce que ses nerfs lâchent, sans mauvais jeu de mots.

En effet, ce dernier s'était enfermé avec notre cadette dans son salon puis, quelques instants plus tard en est ressorti d'un air profondément impatient et énervé. Diane non plus n'avait pas saisi la situation et était revenue plutôt interdite.

Depuis, il ouvrait le pas sans se retourner. Je ne le comprends pas. Je ne suis pas le Maître qui parvient sans cesse à lui tirer les vers du nez et à ressentir ses émotions, je ne suis que moi. Une pauvre scientifique qui connaît mieux les monstres que les humains.

J'allais finir par abandonner l'idée de savoir ce qu'il s'était passé mais, cette tête de mule se décida à parler :

- " Rien. Juste des comptes à rendre."

... Si c'est pour dire ça, vaut mieux se taire, pestais-je entre mes dents.

Il réussissais toujours à me faire culpabiliser de ne pas le comprendre. Je ne suis pas devin et je ne sais pas non plus lire entre tes lignes. Si seulement tu ouvrais un peu plus ton cœur.

- " Et ces comptes, ont-ils été rendus ?" tentais-je sans grande conviction.

Je n'ai pas eu de réponse. Notre retour se fit dans un silence amer, seulement troublé par la résonance constante de nos pas. Au bout d'un moment, le son gouttes de pluie s'écrasant lourdement sur l'acier nous rejoint.

Je chassais d'un pincement sur mon poignet les inquiétudes qui me traversaient l'esprit. Je devais maintenant me concentrer sur ce Klaus.

Quand les sous-fifres de la guilde de Ladsen nous ont capturés, je n'aurais pas cru avoir tant de mal à m'en débarrasser. Quand ils nous ont conduit à leurs supérieurs, j'ai pensé que leur dire notre rang suffirait pour être tranquille mais il semblerait que les Lamarquise soit déjà passé.

Je suis certaine qu'avec un quelconque pots de vin, Klaus Hênnes leur a ordonné de nous tuer. Malheureusement pour lui, ce n'est pas une simple bourse pleine de pièces d'or qui pouvait nous faire condamner à mort. Enfin, on ne peut pas leur en vouloir d'ignorer qui je suis.

- " Sasha Aggran ; l'une des fondatrices de la nouvelle guilde de Rosran. Monstrologue dont la renommée n'est plus à faire grâce à la multitude de monstres et bêtes redoutables découvertes et étudiées par ses soins. La légendaire tribu des Aquaènes et leur reine, la terrible Narcisse féminine et encore bien d'autres monstres qui pourraient faire trembler le cœur des plus valeureux sont désormais reconnus uniquement grâce aux incroyables efforts de sa guilde. Oseriez-vous l'accabler d'une peine en sachant cela ? Êtes-vous capable de vous mettre à dos sa puissante guilde ainsi que de renier ses découvertes de la sorte ? Je n'aurais jamais cru que tu serais capable d'un monologue aussi pertinent, tout à l'heure. Merci, je suppose que je te dois la vie." me surprit la voix de Lash.

Pendant que j'étais encore perdue dans le cours de mes pensées, comme s'il avait lu dans ces dernières mon camarade avait prononcé cette phrase d'un ton relâché. Je ne sais vraiment pas ce qui peut bien lui traverser l'esprit. C'est vrai que c'est en proférant cette phrase que j'ai pu nous épargner la prison mais je ne savais pas comment interprété le fait que Lash s'en souvienne si bien.

J'avais joué sur la corde sensible en leur crachant au visage nos prouesses d'antan mais, cela datait de l'époque où il ne faisait pas encore partie de la guilde alors... J'ignorais si ça pouvait le vexer. Toutefois, ce n'était pas son genre de relever pareils badinages, alors où serait le problème ? Quel tordu celui-là !

- " Aurais-tu préféré que je te laisses mourir, Lash ?"

Ma poitrine se serra d'un coup.  La faible lueur octroyée par les lampadaires de la ruelles ne permettait pas de discerner avec précision ses traits mais, je le voyais parfaitement.Il pouffait discrètement, un sourire mauvais sur le visage.

Il se moquait de moi, n'est-ce-pas ? Il ne souhaitait tout de même pas..., songeais-je sans pouvoir terminer ma phrase.

- " Qu'est-ce que cela signifie ? Parles !"

Ma voix s'était emballée d'elle-même. J'eus du mal à garder mon calme tant il faisait attendre sa réponse. Mais, ce ne fut pas celle-ci qui me rassura :

- " Cela serait peut être la solution, pourtant..." murmura-t-il d'un ton à peine audible, comme pour lui-même.

Son sourire avait disparu. Le mystère et la douceur qui naissait dans son timbre me tourmentaient toujours plus. Je me maudissais presque de ne pas pouvoir demander l'aide de Keith. Lui, il saurait quoi faire, quoi dire. Il le connaissait mieux que quiconque en dépit que nous ignorons tout de lui, hormis le Maître qui en sait peut être un peu plus.

Notre conversation mourant dans l'hésitation et la peur, un nouveau voile de silence nous enveloppait péniblement.

Pourquoi ? Pourquoi dis-tu cela ? Pourquoi souhaites-tu cela ? Y a-t-il un quelconque rapport avec Diane ? Moi ? Quelque chose d'autre ?

Tant de questions se bousculaient dans ma tête mais Lash interrompit le flot de mes pensées :

- " Sinon, tu vas faire quoi pour les Lamarquise ? Tu nous as dit avoir une idée." demanda-t-il d'un ton bien plus tendre qu'à son habitude.

C'est vrai, à force d'interrogations, j'en avais oublié la raison de notre retour si précipité à la guilde. Chacun d'entre nous s'occuperait d'un des soucis causés par ce mariage.

- " Oh ! Et bien, je comptais demander de l'aide à Yvan... Il a le bras long quand il s'agit de ce genre de choses, alors..." commençais-je.

- " D'accord." trancha-t-il sans attendre la fin de ma phrase.

Qu'est-ce qui cloche chez lui, à la fin, me plaignais-je en mon for intérieur. Il avait le don de m'inquiéter parfois.

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