Chapitre XVI

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Roi en échec, manque le mat

L'assemblée présente dans le bureau était silencieuse. Autant l'annonce de notre victoire face aux Lamaraquise avait fait naître joie et sanglots dans la pièce, autant la simple évocation du nom de la Matriarche nous déconcertait au plus au point.

- " La Matriarche ? Que voulez-vous dire par là ?" s'aventura Père, seul osant croire aux propos de l'aventurière.

Le visage de Sasha se décomposait peu à peu. Elle même venait seulement de se rendre compte de ses dires. Tentant de se ressaisir, elle tenta de bluffer :

- " Ha ha ha ha ha... Qui ça ? Comment ? On parlait de quoi, déjà ?"

En vain.

Mon paternel réitéra sa question qui, désormais ressemblait plus à un ordre qu'une  interrogation. Son regard tel un aigle voulant se jeter sur sa proie, ses lèvres scellées en une expression sévère et son front cintrée de rides, tout cela le caractérisait et me faisait me raidir quand je le rencontrais mais, en le voyant sous ce point de vue, je comprenais à quel point il pouvait s'avérer intimidant lors de ses négociations.

Personne, pas même Sasha ne pouvait résister à la tension presque palpable qui se dégageait de lui. Cette dernière ne parvenait pas à soutenir sa vision charismatique. Son regard fuyant cherchait constamment du soutien autour d'elle mais elle n'obtenait rien.

Nous étions tous au carrefour entre le doute et la peur. Nous avions déjà compris l'ampleur de cette histoire mais là, elle dépassait tout simplement les limites du raisonnable. Risquer de perdre notre argent, notre entreprise, notre vie puis ensuite tuer le roi et le royaume par la même occasion et maintenant ; être mêlé aux pouvoirs les plus importants du pays ?

La roturière ne disait rien, ne faisant qu'accroître l'impatience dans nos esprits. Notre conscience nous intimait de ne pas chercher plus d'informations qu'il n'en fallait mais la curiosité l'emportait. Au bout d'un court instant qui nous parut durer une éternité, elle se décida à parler :

- " Je tiens d'abord à ce que vous sachiez que ce que je vais vous expliquer est plus ou moins "normal".  Ce n'est ni le début ni la fin de quoi que ce soit, ce n'est pas non plus le milieu pour ceux qui comptent jouer sur les mots." commença-t-elle.

D'un signe de tête, nous l'invitions à poursuivre.

- " Comme vous le savez, la régence de notre pays est effectuée par la Matriarche et ses ministres. En effet, depuis la dernière passation de pouvoir, plus ou moins mouvementée, le royaume fut confiée à cette dernière par ses partisans. Notre bon vieux roi ne sert donc plus qu'à l'apparat et à dire à nos voisins que nous possédons un roi. Mais, cela déjà quelques années que... Comment dire ? Que les partisans de la Matriarche et elle-même cherchent à évincer définitivement ce petit homme décidément inutile. "

Je ne comprenais qu'à moitié ce qu'elle racontait, tentant d'imaginer ce à quoi ce conflit pouvait bien ressembler à la capitale. Je n'avais encore jamais vu la Matriarche mais, au vu de son poste elle devait être âgée et ridée puisqu'elle porte d'énormes responsabilités, aussi, savoir qu'elle tentait de s'emparer de tout m'incitait à la voir comme une vieille aigrie aux traits sévères et mesquins ; à l'image de Griette, ma gouvernante. En d'autres mots moins pompeux ; une vieille peau.

A contrario, j'ai déjà vu le roi lors de la passation ; dit le bon roi ou le roi stupide selon à qui l'on demande. Sa crinière, sa barbichette et sa moustache aux volumes débordants de charisme et de prestance cascadant en boucles charbonneuses sur ses larges épaules. Son petit embonpoint dissimulé sous un large habit de velours rouge. Sa couronne un peu de travers sur sa grande face crédule. Tous ces petits défauts lui ont valu la sympathie du peuple mais, chez la noblesse et la bourgeoisie sonne un autre refrain malheureusement.

- " Ne vous égarez pas. " nous sermonna-t-elle en voyant nos regards hagards. " Reprenons. Ainsi, la Matriarche est désirée sur le trône par un bon nombre de personnes et c'est aussi son propre désir. Mais, pour se faire, vous vous doutez bien qu'elle ne se risquera pas de s'attirer les foudres de ses sujets en tuant ouvertement le roi ou en l'éjectant. C'est pour cela qu'un assassinat est plus... commode, je dirais. Après tout, foule de personnes en ont après lui durant cette guerre."

Nous commencions à y voir de plus en plus clair mais, avant que nous ne trouvions la réponse, Sasha nous la donna :

- " Klaus Hênnes est une de ces personnes. Il n'était en d'autres mots qu'un pion, qu'une opportunité que l'Église orthodoxale a saisi pour parvenir à ses fins. J'avais des doutes, au départ mais, quand tu as évoqué ses yeux de verre, Diane, le doute n'était plus permis. Ce genre de médecine est bien trop couteuse et élitiste pour qu'un simple bourgeois en possède, deux qui plus est. Il a sûrement était financé dans l'ombre par la religion. Même lui devait ignorer avec qui il faisait affaire. "

Mère intervint. Elle osa demander ce auquel nous songions tous ; qu'adviendra-t-il de nous, maintenant ? Après de telles efforts, elle ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Cela nous paraissait logique.

- " Je vous l'ait dit, ce n'est qu'un pion. Elle ne se risquera pas à le soutenir après de telles éclats au tribunal de la Balance, même le roi a du entendre sonner ces échos à lui. Désormais, vous êtes libres. Les personnes ayant une dent contre la royauté ne manquent pas, elle va juste en chercher un autre. Laissons l'eau couler désormais et, surtout laissons ces histoires loin de nous." nous rassura la scientifique.

Ses propos eurent le don de nous soulager mais, cette fois ce fut Lash, silencieux depuis le début, qui troubla de nouveau nos petits esprits simplets.

- " Ok, alors on s'en fout. Maintenant, reste plus qu'a s'occuper de ce Klaus, parti la queue entre les jambes. Et ça, je compte bien m'en charger." tonna-t-il un sourire carnassier étirant ses lèvres blanches.

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