Chapitre XXI

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Éclat

- " Dis, ça fait combien de temps qu'elle est là, déjà ?"

- " Mademoiselle est ici depuis quatre heures-et-demi, il me semble. Elle ne répond pas et ne bouge pas, se contentant de balancer ses pieds dans le vide, le regard au loin."

- " Je vois... J'imagine qu'elle ne s'est toujours pas remise, attendons encore un peu de voir si elle se lèvera d'elle-même."

Les échos sourds d'une conversation me parvenaient à travers le sifflement du vent. Je n'avais pas la moindre idée de ce dont ils parlaient, je ne m'en souciais pas. Un meurtrier pourrait bien me poignarder dans le dos à cet instant que je l'encouragerais à le faire. Cela serait un juste retour des choses, pas vrai ? Enfin...

Détournant les yeux de l'horizon pour la première fois depuis mon siège sur le toit d'un bâtiment assez élevé, j'observais mes pieds voguer dans le vide, au gré du vent et de ma volonté.

C'est haut, songeais-je en imaginant l'état dans lequel serait un être après une chute de cet endroit. En réponse à ma pensée, un sourire piteux se dessina sur mes joues.

Les nuages frémissaient depuis leur sommet, prêt à déverser la mousson d'un instant à l'autre sur la capitale. Quelques heures s'étaient écoulées depuis la fin de l'enterrement de la sentence solennelle mais la ville ne disait mot, incapable de se remettre de la mort d'une héroïne nationale. Le temps qui avait viré au gris dès la fin de la cérémonie semblaient eux-mêmes vouloir pleurer Phoebe Lancelot.

En sortant de l'arène, les regards ont fusé sur moi, la tueuse de héros, m'inondant de lourds reproches silencieuses. Le regard injecté de sang des bons citoyens comme des badauds exprimaient tous une haine sans vergogne au passage de celle qui avait réduite une sous-Paladins au silence.

On me répétait sans cesse d'ignorer ces mauvais gens mais, ils n'y peuvent rien, ces mauvais gens, d'avoir raison.

Que cela soit de longs silences ou des insultes déployées dans l'ombre, la réalité était simple ; ma mort était la seule attendue.

Alors, Dieu qui sévit dans ce royaume, dis-moi pourquoi suis-je encore là ? Désires-tu que je me charge moi-même de ma pénitence ? Ne voulez-vous point prendre la peine de m'amener dans votre royaume de cumulo-nimbus ou de me jeter entre les flammes d'un enfer éternel ?

Un soupir de plus fut lâché dans l'air.

Et soudain, une goutte de pluie dévala sur moi. Puis une deuxième, une troisième et enfin, la pluie diluvienne.

- " Mademoiselle ! Je vous en prie, rentrez ! Vous allez attraper froid !" m'appela Ziege, déjà trempée jusqu'aux os dans sa petite robe de servante.

Je ne lui répondis rien. Ou plutôt, je n'y parvenais pas. Si je me taisais depuis si longtemps, c'est bien parce qu'au moindre son émis de ma bouche s'échapperaient ensuite mille sanglots. Je sentais bien que le nœud qui enserrait ma gorge ne devait pas être rompu, quand bien même c'était douloureux. Cette souffrance qui m'étreignait était la seule capable de retenir les larmes qui menaçaient de couler depuis mes yeux éteints.

J'entendis Seth et Sasha lui intimer de ne pas insister et d'aller s'abriter avec eux quand soudain, elle cria :

- " Non ! Il en est hors de question ! J'en ai assez !" résonna dans le ciel, s'attirant la curiosité de tous les voisins en dessous de nous.

Prise de court, je les regardais désormais pour la première fois de la journée, interloquée.

Son visage était dissimulé sous l'épaisse chevelure albinos qui retombaient lourdement sur son front tandis que ses prunelles rougeoyantes perçaient le rideau de pluie pour y déverser toute leur frustration. Ses mains empoignaient faiblement son tablier inondé d'eau et le ramener contre elle. Le vent fouettait ses joues rosies par le froid mais elle en faisait fi, tentant de garder la face. Elle s'approcha de moi, d'abord à tâtons puis de manière beaucoup plus assurée :

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