Chapitre III

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                                   Rückkehr

Il y a de cela trois mois, la carriole se balançait au rythme des roches parsemant la route, se dandinant un peu plus chaque instant.

Ganholt Boris Daïn dit le brave bûcheron. Ce Paladin avait reçu pour ordre de ramener la fille de Filip et Isaure Eulet ; une demoiselle répondant au nom de Diane Eulet : moi.

Ainsi, se pliant à la volonté des commanditaires de sa mission, le Paladin m'escortait dans une petite diligence jusqu'à la ville de Ladsen.

Cela faisait cinq heures que j'étais enfermée dans la petite calèche de bois. Nous avions fait la moitié du chemin d'après les informations rapportés par l'homme tenant les rênes. Contraint d'emprunter d'autres chemins que les routes commerciales réservées aux diligences, le trajet s'était considérablement rallongé.

Je n'avais rien d'autre sur moi que les haillons de mon ancienne hôte, n'ayant pas eu le temps de prendre l'épée que ma guilde m'avait confiée. De toute façon, je n'en aurais sûrement plus le besoin. Je retournais me cloîtrer dans le manoir.

Finalement, au bout d'une longue journée de voyage nous parvînmes à Ladsen. Le bruit des roues tournant contre la terre avait fait place à un roulis métallique et au tintement des fers des chevaux.

Malheureusement, je ne pus que contempler ma ville qu'en étant dissimulée derrière le petit rideau de l'unique ouverture du véhicule.

Père et Mère ne doivent pas vraiment vouloir montrer à la ville entière que leur fille a fait une fugue, n'est-ce-pas ? Cela serait une honte pour eux si des gens me reconnaissaient.

Rien n'avait vraiment changé. La même fumée grisâtre  neigeant dans le ciel, les mêmes allées à moitié vides de monde, les mêmes édifices d'acier qui jonchent les rues, la même odeur de suie, les mêmes usines qui caressaient le ciel, les mêmes serres artificielles où poussent nos "fameux choux", les mêmes gens qui n'ont pas la richesse, contraints de se déplacer à pieds, le même paysage fade qu'il était avant mon départ, comme si je n'étais jamais partie.

Une ville morte.

Il fallut traverser une bonne partie de la ville avant d'attendre le domaine Eulet ; un immense manoir situé dans un des quartiers Est de Ladsen. D'un lieu où l'on voit et domine les rails parsemés dans la cité et les usines grouillante d'agitation.

A mon arrivée à la propriété, une foule de majordomes et de gouvernantes se précipita autour de la carriole, tous affichant une moue de dégout :

- " Mademoiselle ! Nous étions tellement inquiets !"

- " Venez vous reposer ! Voyager dans cette immondice a du être une torture pour votre personne !"

- " Je vous en prie, dites-nous que vous allez bien ! Traverser les contrées dans cette minable charrette a dû vous épuiser !"

Je ne pus poser un pied dehors que l'un d'entre eux avait déjà agrippé ma main pour me faire descendre telle une princesse sortant de son carrosse.

Comme si j'en avais besoin, j'ai quitté le domaine de mon gré. En me faisant attaquer par des gobelins lors de mon départ, me tenir la main ne m'aurait certainement pas protégé et n'aurait pas non plus pu sauver les victimes. C'était ridicule de mettre en scène de telles actes ; voyager en carriole ou en carrosse n'est pas si différent en soi, descendre une marche en tenant ou non la main de quelqu'un ne l'est pas plus.

Mettant de côté ce geste me paraissant inutile, je m'avançais dans la grande allée. Ganholt m'emboîtait le pas.

A l'intérieur, Père me toisait par la fenêtre du haut de son bureau. Je l'ai vu en m'avançant dans la grande avenue allant du portail de fer noir à la grande porte à deux battants de mon héritage. Mère, elle, m'attendait en bas de l'escalier centrale.

Elle me dévisageait de sa hauteur. Affronter des monstres n'a rien changé ; croiser le regard de glace de Mère était toujours aussi effrayant. En réalité, je crois que je ne parviendrais jamais à le soutenir tant il me fait froid dans le dos. Un riche propriétaire et un prédateur traquant sa proie ont le même cœur noir d'égoïsme et d'égocentrisme, après tout.

Ayant conscience de sa prestance et de son charisme, Mère prit la parole :

- " Je vous remercie, Messire Daïn d'avoir ramené ma fille. Mon mari vous attend dans son bureau, je vous en prie rejoignez-le. Il vous donnera votre récompense. Hündin va vous y conduire."

Elle désigna avec froideur et d'un regard du coin de l'œil la servante en question, postée derrière elle au bord des escaliers. Le guerrier s'avança sans émettre un mot et s'élança à la suite de la domestique.

Je déglutis. Être seule en présence de Mère. Cela m'a toujours effrayé d'être en présence de Père et Mère sans que je n'en sache la raison. Peut-être est-ce la peur de ne pas les satisfaire, de les décevoir qui me rongeait ainsi.

Après tout, rendre fiers sa famille est en quelque sorte un but, qui ne serait pas heureux d'obtenir l'estime de ses géniteurs ? A moins que je ne les voie vraiment comme des créatures dangereuses, ironisais-je tristement.

La femme qui m'a donné la vie se retourna.

- " La guilde de Rosran. Certes, cette ville était simple d'accès avec tes faibles moyens mais, de là à entrer dans leurs... rangs. J'ignorais que tu aspirais à la vie de roturière." railla-t-elle en me dévisageant de toute part.

- " Mère..." soufflais-je, décontenancée par son cruel manque de fermeté ; elle se contentait de me toiser d'un regard froid et vide ; comme si les raisons de ma fugue ne lui importaient pas.

Ne lui aurais-je que simplement manqué ? A-t-elle ne serait-ce que remarqué ma disparition ? me questionnais-je face à l'indifférence qu'elle exhalait.

- " Ton père est occupé à régler les démarches à cause de ta petite escapade. Ne le dérange pas et va donc te changer. Porter ces haillons est une honte. Ziege t'attend dans ta chambre, elle va t'aider à te débarrasser de toute cette saleté qui te couvre."

Sur ces mots, Mère monta les escaliers d'un pas lent, son chignon blond ne laissait pas s'échapper une seule mèche et sa robe ne s'embarrassaient d'aucun plis. Chacun de ses gestes était précis et gracieux ; sa perfection n'avait d'égal que sa beauté et son autorité.

- "Elle non plus n'a pas changé... " murmurais-je d'une faible voix.

Finalement, oubliant ce sentiment d'être une étrangère auprès de ma propre famille, je montais à mon tour l'escalier. Cheminant à travers les sombres couloirs illuminés par des chandeliers, je parvins à ma chambre, isolée dans l'aile est de la bâtisse.

La porte se laissa ouvrir sans un grincement ; contrairement au vieux bois de la guilde, rien dans le manoir ne pouvait émettre un bruit désagréable. Cela serait une honte pour notre famille, d'après les domestiques qui s'acharnaient à faire briller de fond en comble l'immense bâtiment. En réalité, ils ont simplement peur de la réprimande.

J'entrais dans ma chambre, dénuée de propriétaire depuis plusieurs semaines déjà.

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