Chapitre XXIII

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Blanche colombe

Une personne bloquait l'entrée sous les murmures déconcertés des religieux présents sur la plateforme élévatrice. Durant un instant qui me parut durer une éternité, je fondis complètement devant les deux globes oculaires qui me détaillaient, sans un battement de cils.

Les faisceaux irisés qui parsemaient ces derniers effaçaient le luxe de la pièce dans laquelle elle se trouvait. L'écrin aux reflets d'argents rendait obsolète la multitude de drapées immaculés qui flottait le long des murs cristallin. Même le lustre de diamants qui surplombait la pièce, d'au moins deux fois la taille du hall de mon manoir, paraissait sombre face à l'éclat naissant au fond de ses pupilles.

Puis, rompant la magie de cet instant, ses paupières retombèrent, m'empêchant de plonger à nouveau dans l'abîme de ce regard profond, presque inhumain.

- " Comme on se retrouve ! Ta servante s'est remise de son licenciement depuis ?" rit la personne qui s'éloigna de moi, laissant son corps entier à ma vue.

Sans se laisser le temps de respirer, les prêtres me poussèrent à l'intérieur de la pièce et s'en retournèrent, confondus en excuses.

Pouvant enfin observer le mobilier évincé par les pupilles de la religieuse, mes yeux faillirent sortir de leurs orbites devant le luxe de la pièce.

Un tapis lis-de-vin en provenance des terres de l'Empire Angurr Pasir était déroulé sur toute la longueur de la pièce, camouflant une partie des pavés immaculés en perle blanche, traçant un couloir qui scindait en deux l'espace. Au fond, un gigantesque lit à baldaquin de platine invitait toute les âmes épuisées à venir s'oublier dans le moelleux du matelas et la volupté des draps tandis qu'à l'opposé, une sorte de bain, creusé à même le carrelage, vantait la chaleur de l'eau où mille-et-une bulles scintillaient face au rayonnement du lustre.

Tentant tant bien que mal de contrôler mon regard absorbé par tant de prestige, mon attention se porta de nouveau sur mon hôte.

Vêtue d'une toge bien plus décorée que celle qu'elle portait à notre première rencontre, Eusthiya Hona Viraguel tournoyait sur elle-même, laissant seulement sa frange osciller à ses mouvements. Elle sautilla enfin jusqu'au centre de la pièce, auréolée par la lumière blanche du lustre.

La gamine qui m'avait emmené voir Lash en prison...

- " Je comprends mieux pourquoi vous aviez accès au donjon de la capitale..." songeais-je, mes cordes vocales se faisant un plaisir de parler sans mon consentement.

Un petit rire jaune s'échappa de ses lèvres perlées.

- " Et oui ! Mais bon... Vous voulez pas avoir un air un peu plus hébété que ça... ? Ça vous choque qu'une gosse de sept printemps soit religieuse mais Matriarche alors là, aucun problème ?! Z'êtes pas logique, ma parole !"  ronchonna-t-elle.

La fillette qui me faisait face n'avait rien de différent à celle que j'avais rencontré pendant la compétition. Son air enfantin ne laissait jamais présager les jugements sarcastiques qu'elle lançait sans retenue. Cependant, ici dans cette pièce baignée de lumière, le visage de la Matriarche, bien qu'elle gardait les joues gonflées comme une grenouille, dégageait une aura mystérieuse, bien plus noble qu'à notre première rencontre. Cette fois, elle avait bel et bien conscience de sa position de force et ne me ménageait pas avec.

- " Alors, tu n'as pas répondu à ma question. Ta servante a récupéré depuis sa pseudo-crise cardiaque après avoir appris son licenciement ?" s'impatienta la demoiselle, désormais affalée sur sa soyeuse literie pourpre.

Mon palpitant manqua un battement. Comment savait-elle cela ? Eusthiya Hona Viraguel avait beau n'être qu'une gamine, elle n'en restait pas moins la Matriarche et avait donc les pouvoirs associés. La moindre erreur pourrait m'être fatal... Dans quelle bourbier me suis-je donc encore mise ?

- " Je ne l'ai pas virée par plaisir... Si je l'ai fait, c'est uniquement pour en finir avec toute sa politesse bien trop envahissante. Je lui bien fait comprendre que c'était pour se traiter en amie et non pas en maîtresse et employée. De toute façon, elle a déjà un travail à la guilde... Mais comment êtes-vous au courant de tout cela, Matriarche ?"

Elle roula des yeux puis, se leva lentement de son lit avant de retirer d'un seul coup sa toge. Ses cheveux d'argent voltigèrent en tout sens, comme satisfaits d'être enfin sortis de leur capuche et, rayonnaient tel de l'acier fraîchement poli avant de retomber sur le corps frêle et pâle de leur propriétaire qui se jeta, telle un loup assoiffé, dans le bain d'un bond. Dire que je la prenais pour une vieille décrépie et sévère, elle est retombée bien bas....

Comment pouvait-elle se montrer si insouciante face à l'ennemi ? Cela restait un mystère...

- " Je vois dans l'avenir. Je suis munie du don de prescience, de la même manière que la Gourmandise est dotée du don du feu. C'est pour ça que je sais tout. Je sais aussi que tu ne m'attaqueras pas, peu importe les choix que je ferais donc, pour répondre à ta question que tu aurais du me poser plus tard, c'est pour cette raison que je peux me baigner avec tant d'insouciance devant toi." annonça-t-elle d'une voix blanche.

Elle ne faisait pas dans la délicatesse cependant, c'était bien la seule raison qui aurait pu la mettre dans une telle position. La place la plus éminente de Himmel, la possibilité de voir dans l'avenir n'avait rien de surprenant pour l'atteindre. Et puis, Sasha m'avait prévenu quant à la probabilité que la Matriarche possède un de ces dons pour être dans cette posture. C'était à prévoir que les personnes les plus influentes du monde soient dotées de pareils pouvoirs.

Mon esprit était balloté contre les doutes et l'angoisse. C'était ma décision que de venir ici pourtant, maintenant que je faisais face à la Matriarche et sa clairvoyance, je n'arrivais pas à aligner un mot dans mon esprit étouffé par la masse d'informations à laquelle il était confronté.

Elle ne portait rien de plus que ses dessous et restait dans son bain pourtant, la charge de pression qu'elle incarnait restait exceptionnelle. Elle observait ma direction avec un regard vide, il m'était impossible de savoir si c'était moi qu'elle regardait ou si elle contemplait seulement ses fines jambes qu'elle ressortait pour laisser la mousse dévaler sa chair jusqu'à ses cuisses immergées tant l'impassibilité animait son faciès.

Tandis qu'elle jouait de sa supériorité, le regard hautain et un rictus satisfait au visage, elle rompit brutalement le silence installé :

- " Je serais brusque et je ne m'en excuse pas mais... Si tu es ici, j'imagine que c'est pour négocier à propos du cas "Lash", n'est-ce-pas ? Enfin... Ce n'est pas non plus comme si le terme de "négocier" était le plus approprié mais bon..."

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