Chapitre II

59 12 44
                                    

Déni démentiel

- " Nous cherchons Lash de la guilde de Rosran. Nous avons un mandat d'arrêt pour lui. Il est accusé de crime contre Dieu, d'homicide volontaire !"

Ces mots résonnaient comme un écho dans toute la taverne devenue brusquement silencieuse. Ils avaient été prononcés par un homme qui bloquait l'entrée de la guilde, suivi d'une petite légion de soldats de la capitale moins importants, au vu de leur affublement plus discret. Toutefois, à première vu, ils ne semblaient pas accompagnés d'un membre plus haut gradé que le capitaine qui nous faisait face.

Je commençais à devenir tendue, non pas effrayée mais, agacée d'avoir affaire à des personnes malveillantes comme ces prétendus gardes puis, comme un coup de poing, ses paroles me frappèrent de plein fouet.

Crime contre Dieu ? Homicide volontaire ? Ce n'était pas comme la première fois que des défenseurs du pays venaient l'arrêter mais, l'écart de proportion entre ignorer une convocation au front de la guerre et tuer de son gré une personne est énorme !

Je voulais le défendre, défendre celui qui a sauvé ma famille mais... Le souvenir brutal de sa poigne contre ma gorge me revint en mémoire. Ses yeux affamés, son sourire carnassier, son souffle monstrueux... Il n'en est pas vraiment capable, n'est-ce-pas ?

  Je cherchais dans son regard une lueur qui me prouverait son innocence, quelque chose qui m'indiquerait qu'il ne s'agit que de facéties employées par la Matriarche, bien moins honnête que ce que son rôle laisse croire mais...

Lash ne disait rien. Il ne laissait entendre aucune sorte de protestation et se contentait de regarder le soldat sans ciller. Il ne semblait même pas blessé de voir le doute naître en moi. J'allais l'appeler d'une petite voix, sans vraiment savoir ce que j'allais lui dire mais, une autre personne se fit entendre.

- " Il suffit. Nous ne vous laisserons pas incriminer de la sorte notre employé sans en apprendre davantage sur les modalités de votre mandat d'arrêt."

- " Ouaip. On va pas vous laisser accuser un de nos chevreaux de meurtre sans avoir des preuves irréfutables, voyez-vous." renchérit Seth, en accord avec les dires de son collègue Yvan.

Tous les soldats, sans exception, eurent un petit mouvement de recul devant les deux fondateurs, dégageant une tension presque palpable. Par ailleurs, Sasha et Keith étaient restés en retrait derrière eux, toisant silencieusement les gêneurs, augmentant l'électricité qui atteignait déjà son apogée.

Cependant, après avoir été ébranlé un court instant, le chef de la troupe regardait du coin de l'œil un de ses hommes postés derrière lui et s'échangèrent un regard complice. L'homme interpellé se contenta d'entrer dans une carriole et d'en ressortir un sac qu'il posa sur le parquet du bâtiment.

Tous le monde poussa une longue plainte et les ivrognes ignorant ce qu'il se passait râlèrent de toutes leur force face à l'odeur putride se dégageant du paquetage. En outre, un florilège d'insectes commencèrent à rôder autour de ce dernier.

Le chef, comprenant dans nos airs perplexes et méfiants qu'il fallait être plus clair et, ainsi se justifia en ouvrant le sac et en rejetant son contenu à nos pieds :

- " Lash de la guilde de Rosran, vous êtes accusés d'homicide volontaire sur la personne de Klaus Hênnes, de l'ex-compagnie des Lamarquise. Nous vous demandons d'obtempérer lors de votre escorte jusqu'à la capitale ou nous serons alors dans l'obligation d'employer la force. Ceci n'est qu'un avertissement mais, sachez que dans le second cas, un de nos fiers protecteurs Paladins attend à l'entrée de la ville." annonça-t-il dans le plus grand des calmes.

Toute la guilde avait perdu l'usage de la parole. Plusieurs choppes s'étaient brisées, échappant des mains des fêtards, des serveuses s'étaient évanouies, d'autres avaient vomi. On retrouvait même ce genre de réaction parmi les aventuriers, pourtant habitués aux visions parfois cruelles.

Le corps de Klaus Hênnes représentait le contenu du sac cependant, il était bien différent du souvenir du bel homme séducteur et ambitieux que j'avais de lui, quelques jours plus tôt. Désormais, sa peau avait une couleur entre le rosâtre et le blanc. Sa chair était flasque et pendait aux restes de ses os.

Sans avoir besoin d'être scientifique, l'autopsie était évidente. Sa blessure la moins grave devait sans doute être une entaille au niveau de l'épaule qui, désormais laissait pendre le bras, tenant maladroitement grâce au dernier petit bout de nerf reliant les deux articulations ainsi que son avant-bras quelque peu tailladé. Une antre béante s'ouvrait sur les restes de ses poumons déchiquetés mais, cela n'était rien comparé à son visage.

Les soldats savaient faire leur travail, ils avaient sciemment fait en sorte que sa façade nous regarde, enfin... Le beau blond avait perdu toute sa superbe chevelure dans son état de décomposition et, ce qui restait de lui semblait nous observer avec une expression dévasté sur le visage, comme si elle était figée sur lui depuis sa mort. Ses globes oculaires avaient disparu. Il ne restait plus que deux encaves obscures où même les vaisseaux sanguins avaient été grossièrement tranchés. Aussi, sa bouche ouverte comme celle du personne criant de désespoir n'était plus celle de ce beau parleur incapable de se taire ; sa langue avait été arrachée à la main.

J'avais machinalement examiné la victime en restant dénuée d'émotions mais, revenant peu à peu à moi, un hurlement vint me brûler les cordes vocales, en même temps qu'une cascade de larmes ne se déversent jusqu'à mon torse.

Je fus la seule à pouvoir émettre un son, tout le monde, y compris les fondateurs se chargeant de tuer les femmes violées par les gobelins n'y parvenaient pas. Comment un humain pouvait-il bien commettre un acte aussi barbare, on aurait presque cru voir les actes d'un boucher voulant à tout prix crever sa proie ?!

Je n'arrivais plus à réfléchir, je ne voulais même plus intégrer la situation à mon cerveau, je chantais une sorte de mantra pour contrer le flux d'informations qui m'assaillait, me balançais d'avant en arrière pour ralentir la venue de la vision du corps décomposé à mon esprit. Mes mains serraient ma tête et auraient pu la broyer si j'en avais la force tant mes nerfs se tiraient et se coinçaient. Mes cris devenaient saccadés comme ceux des hyènes ou des Perséphones altérées puis, se transforma petit à petit en un profond rire de folie, démoniaque, douloureux mais en même temps presque euphoriques.

Puis, ignorant les gardes qui ne disait mot, Keith avança furieusement et empoigna le col de l'accusé. Son visage était peut-être encore plus dévasté que le mien, j'ai même cru voir des larmes s'échapper mais, après tout, j'étais tellement affolée que je n'entendais qu'un nuage de paroles se volatiliser dans l'air :

- " Dis-moi que c'est pas vrai ! Dis-moi que c'est pas toi ! Qu'est-ce que t'as foutu ! Parles ! Réponds-moi, Lash ! Je t'en supplie dis-moi que c'est une immonde plaisanterie !" criait-il comme un sourd.

Il secouait l'homme qu'il considérait comme un fils. Ses mains étaient si contractées que j'avais presque mal pour lui et pour les épaules de Lash qu'il serrait. Ses questions ressemblaient à des cris de douleur, je sentais ma poitrine m'étouffer en comprenant la souffrance que devait ressentir le Maître qui le connaissait depuis le plus longtemps et l'avait ramené à sa guilde. Tout le monde qui comprenait ça n'osait pas intervenir, même les gardes ne souhaitaient pas s'interposer devant un monstre de force comme Keith.

- " Ouais, j'lai buté." annonça-t-il d'un voix blanche.


FlügelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant