Interlude III

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Dans les marches du gouffre

Je sombrais.

Les pulsations qui m'animaient il y a quelques instants avaient disparu. Je ne sentais plus qu'une brûlure intense consumer ma nuque et mon esprit.

Relevant brusquement la tête, j'apostrophais le blondinet effrayé devant moi :

- " Et bien, je crois que j'ai bien envie de m'amuser un peu maintenant, à force de te voir te pisser dessus !"

Ma voix était différente, plus rauque ;  plus agressive.  Elle comblait le vide, le manque de volonté et l'habitant d'une folle envie meurtrière.

Un rictus dangereux étirait mes lèvres. Mes pupilles s'étaient disloquées. Il ne restait plus que deux globes noirs peu consistants à l'intérieur de mes orbites.

Je m'approchais de lui d'un pas lent, cadencée à l'allure effrayante d'un prédateur tenant sa proie.

- " Je viens d'une bonne famille ! Si tu tentes de t'en prendre à moi, je ne resterais pas sans rien faire ! " me prévint le blondinet en se mettant en garde.

Il ne mentait pas. Sa posture était droite, maîtrisée. Même la lame ne tremblait pas en dépit de sa peur évidente.

Mais, un duel entre bourgeois n'a rien à voir avec une lutte à mort face à un aventurier. Nous déchirons la chair de bêtes sanguinaires, arrachons les crocs et les griffes de monstres féroces ; un petit chevelu brushé est loin de savoir ce que l'on peut réellement faire.

Je dégainais ma lame. Tenant légèrement son bout couvert d'une petite étoffe, je la balançais en avant, en arrière, sur la gauche, sur la droite. Tout ce qui suffisait à faire paniquer un type comme lui.

- " Ne m'approche pas, espèce de détraqué !" m'avertit une nouvelle fois le trouillard.

Je m'enivrais, ses paroles me revenait, l'odeur d'angoisse flottant dans l'air attisait ce désir.  J'allais le saigner.

L'initiative fut prise par la proie. Il s'élança vers moi d'un bond, épée en avant et volonté de vaincre sur le visage.

Dans un cliquetis métallique, nos deux armes s'entrechoquèrent, tous deux repoussés.

Je ne sentais plus mes mains entourant ma garde inexistante, elles semblaient se mouvoir d'elles mêmes et, je me jetais sur lui dans un élan de folie.

On ne distinguait plus ma silhouette, seule une ombre se projetait sur le pauvre homme jusqu'à ce que la pointe d'acier s'enfonce à une vitesse prodigieuse dans la chair.

Percée à blanc, l'épaule de Klaus Hênnes saignait abondamment. Son propriétaire hurla de douleur, on voyait ça et là des fenêtres s'illuminant autour de nous, sans doute quelques voisins alarmés mais, habitués aux échauffourées dans ces quartiers peu commodes, aucun n'intervint.

La vue du liquide carmin imbibant la somptueuse cape claire m'attirait. Les effluves sanguines flottant dans l'air ambiant provoquait chez moi une soif inouïe de barbarie. Je n'avais plus qu'une idée en tête ; faire ressortir les organes de ce type sans aucune vergogne, chose qui me tordit de rire.

Je triturais frénétiquement ma lame dans le bout de viande fraîchement ouvert. J'en voulais toujours plus, je voulais voir toujours plus de peur et d'effroi dans les hurlements incessants de Klaus. Je tranchais brusquement une portion de son membre, juste de quoi sortir mon arme de sa chair.

Soudain, je sentis une douce chaleur envelopper ma poitrine. Une traînée rouge traversait de part en part mon torse et colorait mon haut. Oh, effectivement, le petit escrimeur de mes deux avait réussi à m'entailler. Je passais machinalement mon doigt sur la blessure et en ressorti une petite larme d'hémoglobine que je léchais aussitôt. Appétissant.

En me voyant goûter à mon propre sang, mon adversaire eut un moment de recul avant qu'une joute n'éclate. Lames s'entrechoquant, pointes se frappant.

Le blondinet profita de mes mouvements amples et larges pour saccadés ses coups ; déchirant mon manteau et mon haut par la même occasion. Ce fut à cet instant que je me rendis compte qu'avec ses petits coups d'estoc rapides, il m'avait troué de part en part. Mon torse plutôt façonné était parsemé de gerbes sanguines et de lignes rouges.

- " Oh... Tu as l'air de t'amuser, dis donc ! Tu permets que je me joigne à toi ?" murmurais-je de plus en plus affamé.

- " Tiens donc... Quand je disais que tu étais rouillé, je ne me trompais pas... Tu devrais les "purifier", cela te dégourdirait un peu..." me susurra cette douce voix mielleuse dans mon esprit.

Je tiquais et bondis en avant. Le tranchant de mon arme était dirigé en une attaque de taille mais, comprenant qu'il l'a parerait sans soucis, je retournais la garde. Désormais, je la tenais fermement comme un voleur tient son poignard et visait son foie.

A cause de ma vitesse et de mon manque d'intérêt pour ce combat, je le manquais de peu, n'arrachant que le manteau et la chemise du bourgeois. Œil pour œil, dent pour dent. Il n'était pas bien musclé, leur silhouette ressortait à peine. Tel un enfant, je me comparais à lui en songeant que j'étais mieux bâti que lui...

Il se contracta de froid, chochotte, pestais-je pour moi-même avant de m'arrêter.

Agacé, je marchais tranquillement, décidé à en finir avec cette vermine, un sourire narquois aux lèvres. Puis mon allure s'accéléra d'un coup. J'avais appuyé mon pied à l'interstice entre deux dalles d'acier et avait sauté sur lui.

L'arme blanche se ficha dans son poumon droit avant de se retirer et de s'enfoncer aussitôt dans son avant-bras gauche. Ses paroles envoûtantes et désinvoltes me touchaient en plein cœur, m'attisaient, m'excitaient, m'exaltaient. La victime hurlait de douleur mais je ne pouvais pas m'arrête.  

Je riais comme un fou, je n'entendais même plus les plaintes déchirantes de cet homme à moitié mort. J'enfonçais au hasard mon arme dans son corps comme si ce n'était qu'une simple poupée de chiffon puis, comme si ses mains féminines et douces serraient ma poitrine et écrasaient ma cage thoracique, je me sentis plus lourd, mon divertissement se transformait en une haine profonde que j'allais cracher au visage du blond.

J'empoignais ma lame puis, avec un peu d'élan, j'encastrais cette dernière dans l'un des yeux de Klaus. Une giclée de sang m'éclaboussa puis, lorsque la pression redescendit, un filet rouge cascada sur sa joue. Il n'avait même plus la force de résister ni de crier pourtant, sa poitrine se bombait et se vidait par intermittence, montrant sa respiration.

Lassé, je me décidais de lui crever l'autre œil puis, après avoir arraché sa langue et déchiqueté le reste de son buste, je rentrais me coucher. J'avais laissé le corps au milieu de la route, la présence encore trop importante de cette peste dans mon esprit m'empêchait de résonner correctement, suffisait de voir le cadavre frais.



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