Prologue

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Août 2009

La soirée battait son plein mais Léo s'était mis en marge de celle-ci, n'ayant pas le cœur à la fête. Le châtain était accoudé à la rambarde du balcon, regardant les dernières lueurs du jours s'évaporer. Sa solitude se vit se faire de la compagnie lorsque Ken le rejoignit sur le petit carré de béton suspendu au dessus du vide. Ils avaient beau être en haut d'une de ces tours de Babel, le monde les écrasait. Léo ne fit pas vraiment attention à son ami posté à côté de lui en train de rouler un joint. Ken le coinça entre ses lèvres et l'alluma avant de remplir ses poumons de cette fumée. Le brun avait remarqué que son pote était ailleurs alors il entama la conversation.

- Elle est si spéciale que ça cette fille ?

Les lèvres de Léo s'étirèrent tandis qu'il opinait du chef. Ken ne comprenait pas vraiment. Il connaissait cette fille pour l'avoir eu comme binôme d'exposés en langues mortes et il n'avait pas vu grand chose en elle.

- J'peux te poser une question ?

- Ouais.

- Ça fait combien de temps que t'es amoureux d'elle ?

Léo se mit à rire. Ken fronça les sourcils.

- Jane est ma meilleure amie. Je la connais depuis tout petit et ce qui la rend si spéciale à mes yeux, c'est qu'elle ne m'a jamais abandonné malgré les années. Je ne suis pas amoureux d'elle, j'ai pratiquement grandi avec elle alors elle est la petite sœur que je n'ai jamais eu, tu vois. Je tiens énormément à elle, voilà tout.

Ken hocha la tête, pensant au fait qu'il aurait sûrement dû essayer de la connaître davantage. Mais enfin, c'était trop tard.

- Elle te manque ?

- T'imagines même pas.

- Tu crois que tu vas la revoir ?

- Traverser l'Atlantique, ça coûte une blinde. J'me suis trouvé un taff pourri dans l'épicerie de mon quartier pour mettre un peu de côté mais je doute de pouvoir me payer un billet.

- Pourquoi Boston ?

- Sa mère voulait rentrer chez elle et c'est là-bas que les grands parents de Jane vivent. Elle ne les avait jamais vu avant cet été.

- Tu l'as souvent au téléphone ?

- Ouais, quasi' tous les jours. Elle galère en anglais et l'accent américain n'arrange pas, rit-il.

Ken sourit à son tour avant de reprendre une taffe.

- Dis, il y a un truc qui m'a toujours intrigué... Cette cicatrice sur son poignet, elle a essayé de... ?

Ken n'osait pas dire les mots auxquels il songeait.

- Non, c'est pas ça.

Ken se sentit soulagé. Il ne pouvait pas imaginer qu'une si jolie fille veuille partir si tôt.

- C'est pire que ça, c'est son père.

Le soulagement fut bref.

- Elle raconte pas ça à tout le monde, fit Léo avant de demander le spliff à Ken. Oublie ça, c'est du passé, clôt-il le sujet en se tournant vers l'intérieur de l'appartement, le dos appuyé contre la rambarde. Tu n'as jamais entendu ce que je viens de dire.

Ken était un peu abasourdi par ce qu'il venait d'apprendre. Comment Léo pouvait laisser échapper cela et lui demander d'oublier aussitôt. Ken ravala sa curiosité et dériva sur autre chose.

- Elle m'a embrassé une fois, lâcha-t-il.

Léo toussota à cause d'une trop grosse latte qu'il venait malencontreusement d'avaler à cause de ce qu'il venait d'entendre.

- Elle ne te l'a jamais dit ? fit Ken en fronçant à nouveau les sourcils.

- Tu devines bien que non.

- J'pensais qu'elle te racontait tout...

- Pas ça apparemment. C'était quand ?

- Début décembre, un truc par là.

- C'est elle qui ?

- Ouais.

- Et ?

- Et rien. Qu'est-ce tu veux que je te dises ? J'étais surpris. Elle était chez moi pour un exposé à la con, elle a commencé à regarder mes CDs sur mon étagère et elle en a pris un entre les mains. C'était un des albums d'IAM. Je lui ai demandé si elle connaissait, elle m'a dit que non, le rap c'était pas son genre mais qu'elle trouvait la pochette sympa. Puis, elle a relevé les yeux, on s'est regardé-

- On dirait une meuf qui parle là, le coupa Léo, amusé.

- Ta gueule, se vexa le brun avant de reprendre le fil de son histoire. Elle s'est rapprochée de moi et elle m'a embrassé.

- Et qu'est-ce que t'as fait ?

- Rien. Elle avait les lèvres sur les miennes. Et c'est le baiser le plus chaste que j'ai jamais reçu. Quand elle s'est reculée et qu'elle a vu que je ne faisais rien, elle a pris la fuite.

- Jane, niveau cœur, elle raconte pas grand chose mais j'pense que si elle l'avait déjà fait, elle me l'aurait dit. Et ça, c'était peut-être son premier baiser.

Ken se sentit mal, il n'avait pas pensé à ça.

- Elle avait 16 ans, quasi 17 quoi, je peux pas croire que personne ne l'ait jamais embrassée. J'veux dire, elle est mignonne.

- Tu dis ça mais tu lui as claqué un vent.

- J'avais et j'ai toujours une meuf.

- Et tu lui as expliqué ça ?

Léo arqua un sourcil. Le brun laissa échapper un "bah" en se grattant la tête.

- Je comprends pourquoi elle me l'a jamais raconté. Elle avait pas envie de me dire que l'un de mes meilleurs potes était très con.

- Hé mais je savais pas quoi dire à ce moment là. J'étais surpris quoi.

- Tu l'as déjà dit.

- Enfin bref, tout ça pour dire qu'elle m'a volé le disque de 97 d'IAM.

Léo éclata de rire.

- Il est soit éclaté en mille morceaux, soit de l'autre côté de l'Atlantique.

- Autrement dit, je ne le récupérerais jamais.

- Jamais mon pote, posa-t-il sa main sur l'épaule de Ken comme signe de compassion avant de retourner à l'intérieur.

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