Chapitre 11

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Par dessus l'eau glaciale de l'océan Atlantique et les nuages volait un avion en provenance de la capitale française. À l'un des hublots, Jane regardait les boules de coton, repensant à la première fois qu'elle avait pris l'avion. Cela remontait à l'été 2009.

– Tu verras, tu vas adorer Boston, on sera heureuse là-bas, avait dit Myriam Hudson à sa fille âgée de dix-sept ans qui semblait malheureuse à l'idée d'aller sur la terre de tous les possibles.

Jane n'avait rien répondu et fixait le paysage céleste. Elle pensait au fait qu'elle avait dû faire ses adieux à son meilleur ami qu'elle connaissait depuis toujours, aussi loin qu'elle s'en souvenait.

– Jane, je sais que Léo va te manquer mais tu pourras te faire de nouveaux amis là-bas.

Sauf que la mère ne s'était pas doutée du dixième de l'importance qu'avait Léo aux yeux de Jane. Ô, elle avait compris qu'ils étaient comme les deux doigts de la main mais elle ignorait que ce départ était une amputation qui cicatriserait mal. Jane n'avait toujours rien dit, elle avait dix-sept printemps et le silence était la seule arme qu'elle possédait.

– Je sais que pour le moment, c'est inimaginable. Sans Léo, la vie ressemble à la fin du monde pour toi. Mais Jane, je t'assure que tu vas adoré la vie qui t'attend, avait rajouté Myriam, un sourire compatissant sur les lèvres, en remettant en place une mèche qui vagabondait devant les yeux de son adolescente.

Myriam avait eu raison. La vie sans Léo, c'était inimaginable. Jane, avant de perdre récemment pour toujours son meilleur ami, avait dû vivre une année entière sans lui. Cela avait été une réelle épreuve pour l'adolescente. Le système scolaire aux États-Unis n'était pas le même que celui en France. Jane avait un dossier assez bon en ce qui concernait les notes mais les universités états-uniennes ne regardaient pas que ça, elles regardaient l'implication dans l'établissement. Dès sa première semaine de cours dans son nouveau lycée, la conseillère d'orientation l'avait convoquée pour l'en informer. Et parce qu'une conseillère se doit de prodiguer de bons conseils, elle lui fit que s'inscrire dans un club lui ferait marqué des points. Mais après une semaine de cours, tous les clubs affichaient plein à craquer, mis à part les clubs d'échecs et de musique. Jane avait poussé un long soupir de désespoir face au tableau d'affichage des activités. Voyant qu'il restait encore plus d'une dizaine de place dans les deux clubs, avant de mettre son nom où que ce soit, elle décida de se rendre à la bibliothèque. Sur une étagère poussiéreuse, elle trouva un manuel sur How to become a chess ace. Mais les règles étaient nombreuses et le vocabulaire technique des échecs en anglais échappait à Jane. Elle était revenue dans le couloir où la feuille d'inscription pour le club de musique était punaisée et y inscrivit son nom à la suite des autres, se disant qu'il était bien plus facile de faire du playback que d'assimiler les règles d'un jeu auquel elle n'avait jamais joué. Deux après-midis par semaine, elle s'était alors retrouvée dans une salle à devoir chanter. Elle avait appris à le faire. Elle avait fini par aimer ça. Elle s'était mise à rigoler avec trois filles du club. C'était dans une petite salle d'un petit lycée de Boston qu'elle était devenue amie avec Helen Morton, Rebecca Higgins et Joanna Edwards. Mais ce ne fut pas pour autant que Jane en oublia son Léo, de l'autre côté de l'Atlantique, qu'elle appelait au minimum trois fois par semaine et textait chaque jour jusqu'à ce qu'il vînt l'été suivant.

La tête de la fillette assise à côté de Jane tomba contre son bras et sortit brusquement la brune de ses vieux souvenirs brumeux. Jane regarda la jeune enfant. Elle ne devait pas avoir plus de six ans. Elle dormait la bouche entrouverte. Elle était si mignonne. Quelques mèches blondes tombaient devant ses yeux clos et Jane se surprit à les replacer derrière son oreille comme l'eut fait sa propre mère, il y a bien des années.

L'appareil allait bientôt atterrir. C'était le début de l'après midi à New-York ; à Paris, le début de soirée. Jane, après avoir passé les multiples contrôles, sortit de l'aéroport et héla un taxi pour qu'on la conduisit à la gare Grand Central. De là, elle prit un billet pour prendre un train en direction de Boston. Elle se prit un sandwich avant de monter dans un wagon et de prendre place au fond de celui-ci, là où il y avait le moins de monde. Jane avait quatre bonnes heures devant elle et la fatigue commençait sincèrement à la gagner tandis qu'elle songeait à la fois où, après un an de séparation, elle avait été chercher Léo à l'aéroport et ils avaient tous deux pris le train pour le retour. Jane replaça correctement la capuche de son hoodie noir sur son crâne et le posa contre la vitre. Elle ferma les yeux.

– Tu peux pas savoir comment je me suis fait chier sans toi cette année, avait fait Léo en s'asseyant sur une banquette miteuse du wagon.

– Je ne peux pas le croire. T'as un million d'amis alors que moi, j'en ai pas le moindre.

– Et les filles ? Tu m'avais dit qu'elles étaient géniales.

– Oui, mais je ne les connais depuis pas un an. C'est loin d'être pareil. Et j'ai beau bien parler anglais maintenant, il y a toujours des saletés d'expressions qui m'échappent et j'ai l'air bien idiote, surtout que j'ai pas d'accent.

– Heureusement que le génialissime Léo Devillier a traversé l'Atlantique pour sauver Riquiqui Jane de son ennui, avait alors souri le châtain en attirant la jolie brune contre lui pour la serrer.

– Riquiqui Jane est majeure maintenant, change de surnom.

– T'as pas l'air d'avoir grandi des masses depuis l'année dernière.

Léo s'était pris une petite claque sur le bras par Jane qui avait fait mine de se vexer.

– N'empêche, c'est trop con. T'as enfin le droit de boire et de faire la fête comme il se doit mais tu vis dans un pays rabat-joie maintenant.

Jane avait haussé les épaules. Elle se fichait bien de danser dans un club, un verre à la main. Il faudra attendre que l'amour et la belle gueule d'Ethan vînrent l'attirer dans les travers de la nuit.

Jane rouvrit difficilement les yeux alors que le train n'était plus qu'à quelques kilomètres de Boston. Lorsqu'il arriva en gare, Jane remit sa petite sacoche – son seul bagage – autour de son buste et descendit sur le quai, toujours sa capuche sur la tête. Elle avait l'air d'une fugitive ainsi. Elle prit de nouveau un taxi qui la conduisit dans un quartier tranquille de la ville. Elle régla la course et claqua la portière. Jane se tourna vers la maison de ses grands parents qui était aujourd'hui habitée par sa mère. Celle-ci avait l'habitude de mettre une clef sous le pot de fleurs et Jane s'en empara pour déverrouiller la porte d'entrée. De la musique provenait de la cuisine. Jane suivit les vibes jazzy et entra dans la pièce d'où émanait une odeur de chocolat.

– Mom ? fit Jane la voix enraillée par la tristesse.

FissureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant