Chapitre 6

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L'information fit le tour du globe et la réputation d'OVO Sound  fut considérablement entachée. Helen Morton, Rebecca Higgins et Joanna Edwards furent tout naturellement les premières à quitter la célèbre maison de disque par solidarité pour leur amie Jane. D'autres artistes déchirèrent aussi leur contrat mais c'était pour la plupart afin de garder une bonne image d'eux même. Jane avait signé leur arrêt de mort. La brune n'y pensait déjà plus. Bien que consciente, elle se fichait de l'effet boule de neige qu'elle venait de déclencher et l'avalanche était mortelle.

C'était ce que l'on entendait le plus dans les médias avec les chansons de Noël qui tournaient en boucle. La période des fêtes était imminente. Nous étions à deux jours du réveillon du 24 décembre et Jane se sentait plus que jamais seule, sans son Léo. Certes, Ken était là. Il tentait toujours de lui parler, d'être une épaule pour elle mais en vain, elle se braquait dès qu'il essayait de lui soutirer ses émotions. Jane avait toujours été très douée pour dévier une conversation, d'autant plus lorsque son interlocuteur était un vilain vautour qui se faisait appeler journaliste. Elle détestait la petite vermine qui scrutait chacun de ses faits et gestes mais les pires d'entre eux étaient sans doute ceux qui essayaient de fouiner dans son passé. Il y a une liste qui regroupe les sujets dont il est interdit d'aborder avec une célébrité durant une interview. Celle de Jane contenait trois choses : vie privée, père, cicatrice. Mais tous les vautours, rêvant de savoir ce qu'il en était du dernier point de sa liste pour avoir le fameux gros scoop, finissaient par l'interroger sur ce qu'il ne fallait pas. Jane était alors la reine pour se sauver de ce genre de situation et réussissait toujours à reprendre la main sur l'échange. Mais n'y avait-il pas assez matière à discussion sur l'album qu'elle était venue promouvoir ? la tournée avec laquelle elle allait enchaîner ? son choix artistique de ne jamais faire d'autres collaborations qu'avec les filles ? Des sujets en rapport avec son travail, il y en avait à la pelle mais tout ce qu'ils voulaient c'était connaître l'histoire de la cicatrice qui semblait avoir tranchée le poignet de la star adulée dans le monde entier. Connaître les faiblesses des plus grands pour les rabaisser plus bas que terre était là leur petit jeu favori auquel ils prenaient un malin plaisir à jouer. Sa cicatrice faisait tant parler. Les gens spéculaient dessus. A-t-elle fait une tentative de suicide ? N'a-t-elle pas honte de la laisser à la vue de tous alors que nombreux sont les jeunes qui l'idolâtrent ? Était-elle une adolescente dépressive ? Les théories étaient multiples et tragiquement très loin de la réalité. Jane avait été tenté plus d'une fois de la crier pour que l'on cesse avec ces conneries. Elle en avait assez qu'on réécrive sa vie. Mais elle s'était toujours contenue, sachant pertinemment que ça serait pire encore.

Jane était allongée sur le canapé et s'amusait à embêter Albert qui essayait de faire ses 24 heures de sommeil quotidiennes à l'autre extrémité du canapé. Du bout du pied, elle le taquinait pour essayer de l'énerver mais le matou était bien trop las pour cela et faisait simplement un tout petit grognement. Le chat finit par s'en aller et prendre place sur un fauteuil vide.

– T'es pas marrant toi, marmona Jane.

À ce même moment, on entendit la porte de l'appartement s'ouvrir. Elle n'eut pas besoin de tourner la tête vers l'entrée, elle savait sans nul doute que c'était Ken. Celui-ci s'avança vers la partie salon. Il était au téléphone mais il s'agissait de la fin de la conversation téléphonique puisqu'il fit, pour dire au-revoir :

– À mardi, maman.

Puis il raccrocha avant de s'asseoir sur le dernier fauteuil vide. Jane devina qu'il allait passer Noël avec ses parents. La brune fit mine d'ignorer qu'il était là et regardait Albert qui s'était rendormi en un clin d'œil. Ken fit alors une tentative de discussion avec Jane.

– Les fêtes approchent, lança-t-il.

Visiblement, il n'était pas doué pour entamer une conversation. Jane ne réagit pas, alors il reprit.

– D'habitude, tu les passes avec ta famille ?

Jane tourna la tête pour le regarder. Il avait vraiment l'air de se préoccuper d'elle. Après tout, cela faisait des semaines qu'il supportait ses silences sans broncher. Elle reposa son regard sur le matou.

– Oui.

Ken fut surpris d'avoir une réponse sans qu'elle ne soupire. Il enchaîna.

– Avec ta mère et tes grands-parents, à Boston ?

– Mes grands parents sont morts, il y a plusieurs années.

– Désolé, je l'ignorais.

– Ce n'est rien. Je ne les connaissait pas très bien. Surtout mon grand père. Il est décédé quatre mois après notre arrivée aux États-Unis. J'ai jamais compris tout ce qu'il me disait. J'avais déjà améliorer mon niveau en anglais mais il parlait avec un accent qui avalait tous les mots. J'étais toujours là, comme une idiote, à hocher la tête sans savoir ce qu'il venait de me dire, sourit-elle.

Ken émit un petit rire. Jane changea de position sur le canapé et s'assit de sorte à l'avoir en face d'elle.

– Ma grand-mère, elle, j'ai pu mieux la connaître. Déjà, je la comprenait plus facilement. Mais quand j'y repense, j'aurais aimé la connaître depuis toute petite, quatre ans c'est si peu, baissa-t-elle les yeux.

Ken était triste d'entendre ça. Quasiment l'intégralité de sa famille vivait en France et il avait grandi en les voyant régulièrement. Ce n'était pas le cas pour Jane, elle avait passé la plus grande partie de sa vie sans connaître la seconde partie de son arbre généalogique.

Jane sentit qu'elle avait rendu l'atmosphère triste, elle reprit alors :

– Sinon, chaque année, je passe Noël avec ma mère et mon frère.

– J'avais complètement oublié que tu avais un frère.

– Parce que tu le savais ? Je ne l'ai jamais dit en interview.

– Non mais Léo me l'avait dit une fois.

Jane eut l'air surprise.

– Tu ne le vois pas souvent, non ? reprit-il avant qu'elle ne le questionne.

– Non, il vit à Hong-Kong. C'est un petit génie de l'informatique alors dès qu'il a pu, il est parti. Quand j'y pense, aucun membre de ma famille ne vit sur le même continent. Ma mère est en Amérique, mon frère en Asie et moi, en Europe.

Et ton père, Jane ? N'est-il pas sur le même continent que toi, le même pays, la même région ? Ken brûlait d'envie de lui poser la question mais il ne voulait pas gâcher ce qu'il venait de réussir à faire : parler avec Jane sans qu'elle ne se braque.

– Et cette année ?

– Quoi cette année ? fronça-t-elle les sourcils.

– Tu vas passer les fêtes avec eux ?

Jane laissa un temps avant de répondre.

– Je ne crois pas.

– Mais ça pourrait te faire du bien, de retrouver les tiens.

– J'ai pas la tête à me taper huit heures de vol pour entendre des chants de Noël ridicules, vois-tu.

Jane s'était de nouveau repliée sur elle-même. Ken comprit que ce n'était même pas la peine d'essayer de la convaincre d'y aller. Même s'il était convaincu que sa mère était la seule à pouvoir la réconforter de ce chagrin.

FissureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant