Chapitre 9

1.7K 113 18
                                    

2020 n'allait pas tarder.

Ken était passé dans la matinée. Il avait hésité à proposer à Jane de venir à une soirée à laquelle il était lui-même invité mais il s'était dit que c'était trop tôt, qu'il y aurait bien trop de monde pour elle. Alors il avait simplement souhaité une bonne journée à Jane en lui disant qu'il passerait le lendemain.

H-5.

Jane avait passé la journée au lit à se torturer l'esprit. Elle avait besoin d'oublier. Alors vers 19 heures, elle sortit de son lit, simplement et légèrement vêtue d'une petite culotte et d'un t-shirt, avec l'idée de trouver une bouteille et un verre pour éponger sa peine. Ça portait malheur de boire seule mais elle n'était plus à ça près. Jane remplit une première fois son verre et le fit vite descendre dans son gosier. La brûlure que lui procura le wisky l'apaisa un instant jusqu'à ce qu'il fallut s'en servir un second. Puis un troisième.

H-3.

Jane, son nouveau meilleur ami à la main, parcourait son salon en dandinant ses fesses aux rythmes de la musique, faisant le tour des fauteuils et canapés. Elle baragouinait les paroles qu'elle connaissait et se fichait que le volume sonore embête son vieux voisinage. De toute manière, il était fort probable qu'ils soient sourds d'oreilles. La boisson était un bon remède, songea-t-elle quand elle sentit la douleur s'alléger au fur et à mesure que la bouteille se vidait. Tout lui semblait être plus facile avec les yeux vitreux.

H-1.

C'était un miracle qu'elle tînt encore debout alors que la bouteille était quasiment à sec. Tout d'un coup, la belle brune n'avait plus envie que d'une chose : prendre un bon bain. Elle tourna alors le robinet et l'eau vaporeuse coula dans la baignoire. Jane fit passer son t-shirt par dessus sa tête et lorsque sa vision revînt, elle s'entrevit dans le miroir. Elle se faisait pitier. Ivre et à moitié nue alors que le monde faisait la fête en attendant minuit avec impatience.

–Tu ne vaux décidément pas mieux que ton pauvre père et il semblerait que tu finisses tes jours aussi seule que lui, se cracha-t-elle à la figure avant que son reflet ne disparût à cause de la buée.

Jane détourna son regard comme écoeurée par sa propre chaire. Elle fit glisser sa petite culotte et entra dans l'eau. Elle attrapa la bouteille posée à côté de la baignoire et en deux gorgées, la finit. Elle la laissa tomber sur le tapis de bain et s'allongea tandis que l'eau continuait de grimper. Lorsque celle-ci couvrit ses seins, elle l'arrêta à l'aide de son pied. Jane se mit alors à fixer intensément le plafond, l'esprit dans le cosmos. On entendait que l'eau mousseuse remuer lorsqu'elle bougeait l'un de ses pieds sinon le silence. Il régnait de façon pesante tandis qu'elle pensait. Puis, son regard descendit vers son poignet et elle se mit à retracer le trait de sa cicatrice avec la pulpe de son doigt. Elle ferma les yeux un quart de seconde et cela lui revint en tête. Son père, le couteau et son frère. Elle n'avait pas eu peur, pas même lorsque son sang s'est mis à acculer le carrelage blanc. C'était ce qu'elle avait fait de plus courageux de sa vie.

Et alors qu'elle continuait de caresser sa cicatrice, elle songeait à faire ce qu'il avait de plus lâche au monde. Mais plus rien ne lui fairait de mal parce qu'elle savait qu'après la gueule de bois, son cœur se remettra à saigner de plus bel, sans jamais lui laisser de répis. Tout serait fini. La douleur et le chagrin cesseront. Après tout, qu'est-ce que la vie pouvait encore bien avoir à lui offrir ? Elle avait déjà tout eu. Le bonheur, la gloire et l'amour – du moins, quelque chose qui y ressemblait. Les deux premiers étaient dûs à Léo, le dernier lui était tombé dessus sans prévenir. Elle ignorait tout de la vie sans Léo. Malgré lui, il avait dicté la sienne. Mais vivre sans lui, ce n'était pas imaginable. Ces dernières semaines étaient terrifiantes, le monde ainsi ne lui plaisait plus.

Elle attrapa alors son rasoir posé sur le bord de la baignoire, retira la lame et posa l'un des coins contre le début de sa cicatrice. Lorsqu'elle entailla sa peau, elle se pinça les lèvres à cause de la douleur. Elle retraça l'ancienne trajectoire du couteau avant de lâcher la lame sur le sol. Les premières gouttes de sang vinrent se mêler à l'eau et les paupières de Jane se fermèrent. Elle se sentait plus légère.

2020 était là.

FissureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant