Fissure

Chapitre 28

Ken frappa à la porte de Jane. Celle-ci n'avait pas quitté sa chambre du reste de la matinée. Elle voulait un peu de tranquillité pour regarder le contenu de l'ordinateur portable. La brune ne donna aucune réponse. Il entra alors sans faire de bruit.

Deux yeux noirs se levèrent en sa direction.

– Depuis tout ce temps... J'arrive pas à y croire.

Sa voix était cassante. Ken ne comprenait pas.

– Je croyais que tu avais eu la décence de garder ça pour toi mais tu lui as dit.

Tout devint plus clair. L'histoire du baiser.

– Ça fait dix ans que vous vous moquez tous les deux de moi, dans mon dos.

– Jane, ce n'est pas ça du tout...

Il s'approcha du lit où elle était assise en tailleur, devant l'écran. Il s'arrêta net lorsqu'elle éleva la voix :

– Alors c'est quoi au juste ?!

Ken fit les derniers pas jusqu'au lit et s'assit près d'elle. Sur l'écran était affiché les messages échangés entre lui et Léo.

– Je lui en ai parlé, c'est vrai, avoua-t-il. Mais seulement parce que je croyais que, toi, tu l'avais déjà fait. Léo était ton meilleur ami, je pensais que tu lui disais tout. J'ignorais que c'était un secret – j'ignorais que t'en avais pour lui. Alors, un soir, ouais, je lui en ai parlé en pensant que je ne lui apprenais rien.

– Pourquoi ne m'a-t-il jamais dit qu'il savait ? dit-elle plus douce.

– Il attendait que ça vienne de toi.

Jane baissa les yeux.

– Je voulais le faire mais il a fini par nous présenter, tu sais...

La jolie Jane avait été très réticente à l'idée de suivre Léo à ce concert. Mais son meilleur l'y avait plus traîné de force qu'autre chose.

– Après ça, t'arrêteras d'écouter ta soupe sans saveur là.

Aux yeux du jeune homme, Jane avait tout simplement des goûts musicaux de merde mais l'adolescente n'était clairement pas du même avis.

– Parle mieux de Britney.

– C'est une stripteaseuse elle, pas une chanteuse.

Jane lui asséna un coup contre l'épaule tandis qu'ils s'avançaient vers l'entrée de la salle, dépassant la file toute entière. Léo rit. Arrivés devant le vigile de la salle, il donna son nom et on les fit entrer. Jane n'était pas très familière avec les concerts, le dernier auquel elle avait assisté était bien daté et était au pied de la tour Eiffel pour un quatorze juillet. Mais elle savait pertinemment que la salle était vraiment minuscule pour un concert. Ils se placèrent dans le fond. Cela ne changeait rien, c'était toujours très près de la scène. En un rien de temps, la salle se remplit. Les lumières s'éteignirent et la foule devint comme folle. Les premiers mots crachés contre le micro se virent vite accompagné par les voix du public. D'ici, Jane pouvait voir les gens sauter comme des délurés aux rythmes de la musique. Malgré elle, un sourire s'était plaqué sur son visage. Léo le vit. Elle semblait aimer. Du moins jusqu'à ce qu'elle ne le vit débarquer sur scène. Après le concert, Léo la tira jusqu'au loges. Les gars étaient en sueur. Ils avaient tout donné. Il lui présenta chacun d'eux. Puis ce fut le tour de Ken. Elle ravala sa salive, si gênée. Un mois plus tôt, elle l'avait embrassé et depuis avait tout fait pour éviter de lui adresser la parole, et voilà qu'elle était plantée devant lui comme une idiote.

– Le fennec, on dirait que t'as une nouvelle groupie, lança Alpha voyant leur échange de regards interminable.

– Dis pas de conneries, rétorqua Ken.

– Vous vous connaissez ? questionna Léo.

– C'est ma binôme d'exposés, répondit-il avant de vider le contenu de sa canette.

– Après ça, c'était impossible de lui en parler. Je veux dire, ça aurait fait des histoires et je n'avais aucune envie de ressasser tout ça.

– Si ça peut te rassurer, il m'a traité de con quand je lui ai raconté. En plus, on était sur un balcon, au huitième étage je crois bien, j'aurais pu y laisser la vie.

Les lèvres de Jane s'étirèrent.

– Et ça te fait sourire ? fit-il en approchant dangereusement son visage du sien.

Elle hocha la tête, souriant encore plus. Ken attrapa ses lèvres avec les siennes pour toute punition. S'il pouvait, il ne les décollerait pas de sa bouche mais les mains de Jane vinrent le repousser tout doucement.

– J'ai du travail là.

– Comme lire clandestinement des conversations privées.

– Hé, la fenêtre était ouverte. T'étais le dernier à lui avoir envoyer un message.

Ken jeta un œil à l'écran.

19/11/19, 20h47.
De Léo :

Je suis dans un taxi, on est sur le périph. Je me dépêche.

De Ken :
En tout cas, c'est cool que tu veuilles bien bosser sur mon nouvel album.

21h02
De Ken :
T'es dans les bouchons ? On parle d'un accident qui bloque toute la circulation sur les ondes.

Ken ravala difficilement sa salive. Le souvenir de cette journée ne s'était pas évaporé.

Il se souvenait encore des derniers mots de Léo. Ceux là étaient pour Jane. « Promets le  » ne cessait-il de répéter en boucle. Ken ne comprenait rien mais à force, il fit par le faire. Il lui promit. C'est seulement en lisant le mot que le notaire lui avait transmis qu'il comprit l'objet de cette promesse.

Il se souvenait encore de Jane qui hurlait sur l'hôtesse d'accueil, l'effrayant presque. Mais elle n'en avait que faire. On l'avait appelé pour lui dire que Léo était entre la vie et la mort. Comment pouvait-elle rester calme ?

– Jane...

La brune avait tourné la tête vers Ken. Il avait les yeux humides. Elle ne voulait pas y croire. Elle se mit à murmurer "non, non,..." tandis que sa tête faisait de même. Ken s'approcha d'elle et l'attrapa dans ses bras lorsque les larmes et cette brutale réalité vinrent la sonner.

La voix de Jane le ramena à la réalité.

– J'ignorais que tu travaillais déjà sur un nouvel album.

– C'était juste un début mais avec ce qui s'est passé, j'ai un peu abandonné le projet pour le moment.

Jane sourit tristement. Elle passa une main sur la joue de Ken, la caressant, avant qu'elle ne se faufila dans sa nuque. Elle l'attira vers lui tandis qu'elle les faisait s'allonger. Sa tête vint se poser sur sa poitrine. Les doigts de Jane s'amusait entre les mèches brunes du rappeur. Ce doux moment, il en avait besoin aussi.