Chapitre 18

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Jane passa le portail du petit cimetière, suivie par Ken. Devant la tombe, ce dernier, resté un peu en retrait, remarqua qu'aucun signe des vivants n'y figurait. Pas de fleurs, ni rien. Mais après ce que Jane venait de lui raconter, c'était normal. Peu était le nombre de gens qui le savait mort et personne ne l'avait gardé dans son cœur. C'était ce qu'avait dit Jane mais cela se voyait que malgré toutes les horreurs auxquelles elle avait assisté, il y avait toujours une petite place pour lui sous son plexus. Elle avait gardé l'appartement, pas pour les souvenirs – ils étaient douloureux – mais pour cet homme. Elle avait sauté dans un jet pour avoir une chance de lui dire au revoir. Et il y avait quelqu'un à l'enterrement de Paul Quiffird : sa fille. Ken ne comprenait cependant pas pourquoi elle n'avait rien dit à Léo. C'était le deuxième secret qu'elle avait pour son meilleur ami. En avait-elle d'autres ?

Jane, après quelques minutes à fixer la pierre tombale, se retourna vers Ken, lui faisant comprendre d'un signe de tête qu'ils pouvaient partir. Le chemin du retour fut silencieux. Le faible volume de la radio était la seule rempart à ce silence. Le trafic était lent et accentuait cette absence de discussion. Les pensées de Ken étaient toujours tournées vers Jane. N'en pouvant plus, il posa la question :

– Pourquoi lui avoir menti ?

Jane lui jeta un coup d'œil. Ken fixait droit devant lui, concentré sur la route. La brune reposa son regard sur le paysage de béton derrière la vitre.

– J'avais peur qu'il ne comprenne pas.

Ken fronça les sourcils et regarda brièvement Jane à sa droite. Sentant son regard, elle reprit :

– Il savait quel genre d'homme était mon père. Il n'aurait probablement pas compris pourquoi je me souciais encore de lui, pourquoi j'ai essayé de le voir une dernière fois ou pourquoi j'ai gardé l'appartement.

– Léo était beaucoup de choses mais certainement pas un idiot. C'était ton père, il l'aurait compris.

Jane ne voulait pas parler de cela plus longtemps et dévia la conversation :

– Comment va Marjorie ?

– Euh.. bien, dit-il étonné de ce brutal virement de sujet.

– Tu vas aller la voir après ?

– Non, elle travaille encore là.

– Elle fait quoi au juste ?

– Elle bosse dans la mode.

Ken vit du coin de l'œil que la brune leva les yeux vers les cieux.

– T'as quoi contre ceux qui travaillent dans la mode ?

Jane haussa les épaules.

– Tu devrais la rencontrer. Tu l'adorerais, fit-il.

Encore une fois, la brune fit la muette.

– Ça te dirait ? insista Ken en pénétrant le parking souterrain de l'immeuble de Jane.

– J'en sais trop rien.

Ken fronça à nouveau les sourcils.

– Elle est géniale, je t'assure.

– J'en doute pas.

– Alors c'est quoi le problème ? demanda-t-il en garant la voiture.

Jane lâcha un soupire.

– Pourquoi tu tiens à me la présenter au juste ?

– T'avais l'air d'être contente pour moi quand tu as appris ma relation avec elle.

La voix de Ken était similaire à celle d'un enfant qu'on aurait trahi. Cela attendrit Jane.

– Bien mais si elle critique la façon dont je m'habille, ça va pas le faire, fit-elle en détachant sa ceinture.

Un sourire s'étendit sur les lèvres du brun.

– Tu es toujours jolie, t'as pas de soucis de ce côté là.

– T'as pas toujours fait preuve de bon goût alors ton avis dans la matière n'a pas une énorme importance.

Ken rit à cette pique.

– Les gens n'oublieront donc jamais ?

– Un grec déguisé en hawaïen, ça laisse de graves séquelles sur les rétines.

Le rire du rappeur vint combler tout l'habitacle. Jane se tourna vers Ken avant de le remercier pour l'avoir accompagné aujourd'hui.

– C'est normal.

Jane lui claqua un baiser sur la joue avant de quitter le véhicule noir. La brune entendit la voiture s'éloigner jusqu'à sortir du parking tandis qu'elle pénétra dans l'ascenseur. En passant la porte de chez elle, son cellulaire vibra dans sa sacoche. Elle y jeta un œil.

De : Ken

Demain soir ?

Il ne perdait pas de temps. Jane ne répondit pas et posa son cellulaire sur le bar de la cuisine. Elle n'avait rien contre cette Marjorie mais elle n'avait simplement aucune envie de rencontrer de nouvelles personnes. Ken était la seule personne qu'elle aimait avoir près d'elle ces derniers temps. Alors si cette fille le rendait heureux, elle allait faire un effort.

Jane tomba comme une masse sur le canapé, faisant sursauté Albert qui y dormait paisiblement. La brune avait toujours en tête les vieux souvenirs qu'elle avait déterré aujourd'hui. Elle-même ne savait pourquoi elle avait raconté tout ça à Ken. Elle avait confiance en lui. Depuis novembre, il ne l'a jamais abandonné. Avant tout ça, il n'y avait eu qu'un seul être qui avait traversé l'Atlantique pour elle. Désormais, il y en avait deux.

Jane fit ce qu'elle faisait toujours dans ces moments là, où ses pensées l'assaillaient, et ressortit son vieux carnet bleu qu'elle traînait depuis de longues années. Léo y avait posé ses yeux de fouine plusieurs fois avant de se faire engueuler par la brune. Mais Jane ne le boudait que quelques heures, tout au plus, parce que c'était son Léo ; elle aurait pu lui pardonner les plus grands crimes. Il y avait des secrets, il y avait ses chansons les plus sincères, celles écrites en français. Léo l'avait même convaincu d'en enregistrer quelques unes mais à chaque fois, elle se résignait lorsque le moment venu de les partager au monde entier se présentait.

Jane, un crayon gris en main, assise en tailleur sur le canapé, commença à écrire. Elle passa la soirée à noircir les pages jusqu'à en tomber de sommeil.

FissureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant