Chapitre 24

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– Essaie JaneLaPlusBelle, proposa Ken.

Il ne put s'empêcher de rire tandis que Jane leva les yeux au ciel. Cela faisait déjà deux bonnes heures que Ken et Jane testaient toutes sortes de combinaisons pour accéder à l'ordinateur de Léo. Sans succès.

– Je vais nous faire un truc à manger parce qu'on est usé là, fit Jane en se levant du canapé.

Ken continuait de sourire en s'enfonçant dans le canapé tandis que la brune s'éclipsait côté cuisine. Les yeux du rappeur restaient cependant fixés sur l'écran. Léo était loin d'être idiot alors son mot de passe devait forcément être recherché. Autant dire que les chances de le trouver étaient infimes. Jane n'avait pas voulu lui dire pourquoi elle tenait tant à l'ouvrir. Peut-être pour récupérer des photos ou un truc qui lui tenait à cœur. Il n'avait pas insisté, de peur qu'elle ne se braque sous ses questions à nouveau et qu'elle l'expulse. Le cellulaire du brun vibra dans sa poche. Il l'extirpa. C'était Marjorie. Sans trop réfléchir, il rejeta l'appel. Ken se redressa puis se leva. Faisant quelques pas, son regard était désormais captivé par l'énorme collection de disque que Jane possédait. Un mur tout en entier du salon y était consacré. Ken fit son curieux et regarda de plus près. Il y avait là plus de vingt ans de musique. Jane semblait continuer à se procurer les versions physiques des albums qu'elle aimait. C'était rangé par artiste. Il eut un sourire moqueur en voyant des artistes phares de la scène française de l'an 2000. Cela se raccordait parfaitement à certains posters de sa chambre à Boston. Ses prunelles scrutaient, tandis qu'il avançait le long de l'étagère, le nom sur la côte des CDs.

Il s'arrêta net en voyant que le reste des disques de l'étagère qu'il regardaient était consacré au projet de L'entourage et tous ceux qui avaient un lien de près ou de loin avec le collectif. Cela allait donc d'En Sous-Marin aux Étoiles Vagabondes. Ils étaient tous là, aucun ne manquait. Il savait bien que Jane aimait leur travail – Léo lui avait dit un jour – mais cela lui décocha un large sourire. Coincé entre le dernier album du rappeur et le bois de l'étagère se trouvait un disque qui lui était familier. Il le saisit entre ses mains. Le plastique était usé mais il le reconnut sans nul doute. Une dizaine d'années plus tôt, une jeune fille au cœur abîmé lui avait volé. C'était L'École du Micro d'Argent d'IAM. Ken était étonné de le voir là, à côté de ses projets et ceux de ses potes. Elle l'avait gardé. Pourquoi ? Ken fixait encore la pochette rouge quand Jane réapparut dans le salon.

– J'ai mis du riz à chauffer. Désolée, je ne suis pas la meilleure-

Elle cessa de parler en voyant ce qu'il avait entre les mains. Elle avait presque oublié l'existence de cet album depuis le temps. Et le revoir ainsi, entre les mains de son réel propriétaire, la troubla.

– Oh, fut le seul son qu'elle réussit à sortir.

Ken essaya de trouver le regard de Jane mais sa gène était si forte qu'elle fixait ses pieds.

– J'arrive pas à croire que tu l'aies toujours.

Jane releva les yeux vers lui, un peu timorée par cette conversation à laquelle elle essayait d'échapper depuis plus d'une décennie. Ce soir, elle était inévitable. La grande Jane Quiffird avait tout d'un coup perdu toute la confiance qu'elle avait en elle et se sentit ridiculement petite face à lui. Voyant qu'elle ne disait rien, il reprit.

– Je le croyais détruit en mille morceaux depuis le temps.

Jane fronça les sourcils.

– Pourquoi ça ?

– Je sais pas. J'ai toujours pensé que tu m'en voulais.

– Comment ne pas t'en vouloir en même temps ?

– Quoi ? Mais j'ai rien fait.

– Justement, tu aurais dû être clair avec moi. Tu ne m'as pas expliqué que tu avais quelqu'un. Rien que pour me réconforter. Je n'étais qu'une ado qui avait son premier coup de cœur et ce silence, bon dieu...

– J'étais surpris. Je n'avais pas vu la chose venir.

– Je t'en pris. T'étais mignon. Toutes les filles te courraient après à l'époque – c'est toujours le cas d'ailleurs, fit-elle. Tu peux pas savoir à quel point c'est affreux d'avoir appris trois ans après que tu avais quelqu'un à ce moment-là. Je me suis sentie tellement idiote.

Jane avait pratiquement les larmes aux yeux tant cela l'avait blessée à l'époque. Ken comprit à quel point il avait merdé ce soir là. Il se sentait tellement désolé. Mais malgré les années, malgré qu'il l'ait un jour blessée, malgré la rancœur, elle avait conservé le disque. Pour Ken, cela signifiait quelque chose.

– Pourtant tu l'as gardé.

– Je n'ai jamais pu le jeter, fit-elle, plus douce.

Et c'était la pure vérité. Jane s'était enfuie, le cœur meurtri, de chez Ken. Ce fut seulement après avoir refermé la porte de sa chambre qu'elle s'était rendue compte qu'elle était partie avec le disque. Elle avait d'abord hésité à lui rendre mais la honte qu'elle éprouvait était si forte qu'elle ne le fit jamais. Cependant, Jane ne le jeta pas. Ce n'était pas l'envie qui lui avait manqué pourtant. Elle se souvenait encore du goût salé des larmes qui avaient assailli ses joues. Elle était triste et en colère. Mais contre qui ? Elle ou lui ? Elle, pour avoir fait l'erreur de croire qu'il ressentait la même attirance. Lui, parce qu'il n'avait pas daigné dire quoique ce fut. Mais impossible de se résigner à se séparer du disque. C'était le souvenir de son premier baiser et malheureusement, de sa première déception.

Ken s'approcha d'elle et l'encercla de ses bras. Instinctivement, elle posa sa tête contre son torse. Elle y entendait un bruit infernal sous sa poitrine. Après quelques instants, il releva le menton de la brune entre son pouce et son index, et sans plus y réfléchir, car c'était son cœur qui commandait, il écrasa ses lèvres contre les siennes. Comment avait-il pu resté froid face à ce contact par le passé ? La douceur des lèvres de Jane contre sa bouche était exquise. La brune répondit au baiser. Ken fit descendre sa main droite dans le creux des reins de la jeune femme et la rapprocha un peu plus de lui. Ce baiser était chaud et humide.

Une alarme retentit et mit brutalement fin au baiser. Ils se regardèrent d'abord, à bout de souffle, puis Jane tourna le chef vers la cuisine d'où provenait le bruit. La brune se sépara des bras de Ken, sans mot, ni regard et accourut à la cuisine. Ken l'y suivit. Il la vit en train de vider la casserole dans l'évier. La fumée embrumait la pièce mais leur regard réussirent malgré tout à se retrouver. Les prunelles de Ken se posèrent là où ses lèvres l'étaient une minute plus tôt. Celles de Jane étaient devenues rosies et il pouvait mettre sa main à couper que les siennes l'étaient tout autant.

Ils n'avaient pas encore retrouver leurs esprits mais la réalité n'était pas bien loin.

FissureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant