Chapitre 19

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Ken découvrit Jane, endormie paisiblement sur le canapé du salon, le matou à ses pieds. Elle portait toujours ses vêtements de la veille. Un crayon de papier jonchait sur le tapis et un livre grand ouvert était posé sur la poitrine de la chanteuse qui montait et descendait au rythme de sa respiration. Ken le saisit avec délicatesse afin de ne pas réveiller la brune et remarqua qu'aucun titre ne figurait sur la première de couverture. Il jeta un œil à la page où le livre était resté ouvert. Les mots étaient manuscrits. Il releva les yeux vers la belle jeune femme, toujours les paupières closes. C'était son écriture. Il baissa les yeux vers le carnet bleu. Il tourna les pages. La majorité comportait des chansons. Quant aux six dernières, elles étaient de l'ordre du brouillon. Non structurées et souillées de ratures. Cela ressemblait davantage à un journal intime sur la fin qu'à un carnet de chansons. Ken savait qu'il ne devait pas lire cela. Il allait refermer le carnet quand ses iris tombèrent sur son prénom. Elle parlait de lui. La curiosité plus forte que tout, il fit ce qu'il lui était défendu. Absorbé par sa lecture, il ne remarqua pas que Jane s'était réveillée.

– Qui est-ce qui t'a autorisé à lire ça ?

Jane parlait sur un ton froid empli de colère. Elle saisit le carnet bleu des mains du brun.

– Dé-désolé, bafouilla-t-il.

Jane remarqua que le carnet était ouvert sur les dernières pages. Avait-il eu le temps de parcourir celles des chansons ? Avait-il lu celle qu'elle avait écrite sur lui, il y a bien des années ? Elle espérait que non. Elle en avait si honte.

– Tu devrais y aller, reprit-elle d'une voix moins colérique mais toujours aussi glaciale.

Jane s'en alla se réfugier dans sa chambre, plantant Ken dans le salon. Il se sentit tellement idiot d'avoir mis le nez dans ses pensées mais il ne pouvait pas partir la sachant fâchée. Dire que la veille, elle lui avait accordé pleinement sa confiance, et que ce matin, il avait tout ruiné.

Ken poussa doucement la porte de la chambre de la brune, ne faisant aucun bruit. Elle était assise à terre, adossé contre le lit, les genoux repliés contre sa poitrine, fixant ce vieux point invisible. Elle était dos à lui et ne le vit pas. Il avança dans la pièce, contourna le lit et prit place à côté de la jeune femme, sur le sol.

– Laisse moi seule, tu veux, murmura-t-elle.

– Je ne peux pas. J'ai promis à Léo que je veillerai sur sa Jane.

Sa Jane. Cela vola un mince sourire à celle-ci.

– J'aurais pas dû lire ton carnet. Je suis vraiment désolé.

La brune continuait de regarder droit devant elle, sans dire un mot.

– Je n'aurais pas non plus dû te proposer de rencontrer Marjorie. C'était maladroit de ma part de te proposer ça alors qu'hier était une journée spéciale.

– Tout va bien, il n'y a pas mort d'homme.

– Dis pas ça. Dis pas que tout va bien alors que c'est le chaos dans ta p'tite tête, fit-il référence aux dernières pages du carnet.

Jane soupira. Bon dieu. Était-il comme Léo ? Était-il impossible de lui en vouloir longtemps ? Jane ne put retenir une larme. Elle ignorait pourquoi elle se mettait soudainement à pleurer. Peut-être était-ce toute cette surcharge d'émotions refoulées. Les coucher sur papier n'avait pas suffi. Il fallait que ça sorte d'une autre façon. Ken passa instinctivement un bras derrière les épaules de Jane pour l'attirer vers lui. La brune finit par faire cesser cette pluie de larmes.

– Je suis désolée, s'excusa-t-elle en brisant l'étreinte. Je pleure pour un rien ces derniers temps, rajouta-t-elle en se frottant les joues.

– Tu veux reprendre les séances avec la psychologue peut-être ?

Le regard meurtrier de Jane lui répondit.

– Ok, pas de psy, rit-il avant de reprendre un ton plus doux. Écoutes, je sais que c'est pas facile. J'ai perdu quelqu'un qui avait autant d'importance à mes yeux que Léo en avait aux tiens. J'ai cru que c'était la fin du monde. Ça l'était pour moi. J'ai repoussé tous mes potes mais ils n'ont rien lâché. Et moi, je ne te lâcherai pas.

Jane sourit tristement en baissant les yeux vers le sol.

– Elle s'appelait Alicia, c'est bien ça ? demanda-t-elle d'une petite voix.

Le cœur de Ken faillit bien rater un battement en entendant le prénom de son premier amour dans la bouche de Jane.

– Comment... ?

– Léo, répondit-elle simplement.

– Il t'a tout raconté ?

– Non mais si on écoute attentivement la chanson que tu lui dédies, on comprend.

Ce fut au tour de Ken de fixer le mur, comme vide.

– Alicia était extraordinaire. Ça remonte à il y a neuf ans maintenant mais je doute de pouvoir retomber un jour amoureux aussi follement que je l'ai été pour Ali.

Ken avait un sourire plaqué aux lèvres, de ceux qui sont mélancoliques.

– Je me demande souvent ce qu'il se serait passé si ce type, que je croyais être l'un de mes frères, ne lui avait pas fait du mal, s'il n'avait pas abusé d'elle. Je croyais qu'Ali allait réussir à mettre ça derrière elle mais vivre avec ce cauchemar dans un coin de sa tête était trop dur alors elle a préféré partir.

Une larme s'échappa de ses prunelles. Ce fut au tour de Jane de le prendre dans ses bras. Celle-ci réalisait ce qu'il avait bien pu ressentir quand il l'avait découvert inconsciente dans sa baignoire.

FissureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant