Daenys
Rien. Rien du tout. Cela fait trois semaines que je n'ai plus de nouvelles de lui, trois semaines que je suis en stage à l'hôpital à faire des démarches cliniques, à m'occuper de patients, généralement insatisfaits et capricieux. Cela fait aussi trois semaines que ma vie est redevenue monotone et plate, trois semaines que je rêvasse et me demande ce qu'il fait, ce qu'il devient et où il est. En Enfer sûrement.
Après tout le mal qu'il m'a fait subir, je ne devrais pas réfléchir ainsi, je ne devrais pas me poser ce genre de questions. Mais notre discussion de l'autre soir ne veut pas s'enlever de la boîte crânienne, rien y fait. J'essaye de ne pas y penser pourtant, ses mots me reviennent, son visage m'apparaît en rêve et je me réveille brusquement le matin espérant le voir dans mon fauteuil, mais chaque jour c'est la même histoire : il est vide. Après la mort de Phil et de Jacob, je devrais lui en vouloir, je devrais le rayer de ma vie, de mes souvenirs mais c'est tout simplement impossible, je ne peux pas être en colère contre lui, c'est tout bonnement impensable. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être ne puis-je pas, peut-être que tout ça vient de moi finalement, de ma personnalité à faire le bien autour de moi, d'être le bien... Je n'en sais rien.
La pensée encombrée et tracassée nuit et jour, je parviens de mieux en mieux à comprendre qui il est vraiment, à cerner plus en détail sa manière d'agir. Il veut retrouver ce qu'il a perdu, reprendre ce qui est à lui, et pour ça les personnes qui l'en empêchent meurent entre ses mains. Il n'est pas méchant de nature, il l'est devenu. Il n'est pas un être glacé, il a juste souffert et s'est construit une carapace solide comme un roc. Il a juste oublié comment faire avec les membres de mon espèce, c'est tout. Rah, je ne devrais pas l'excuser, je ne devrais pas tenter de le comprendre, il a tué mes amis quand même... Pourtant, quand je suis seule je pense à tout ça, revois toutes les scènes et essaye tant bien que mal de ne pas l'innocenter, de me convaincre de sa méchanceté et de son sadisme. Il l'est certes, mais c'est voulu. Je suis sûre qu'au fond c'est une bonne personne, un être qui demande seulement à ce qu'on le comprenne, il a vécu tant de choses aussi... Il l'a dit lui-même, c'est quelqu'un qui ne ment pas et déteste être comparé au Mal en personne. Il le fait par intérêt. C'est tout.
— Bonjour Daenys, comment allez-vous ?
— Ça va Dr Rogers.
Je lui adresse un petit sourire dépourvu d'enthousiasme. Il vient de me tirer de ma rêverie postprandiale.
— Et votre stage ?
Trop occupée à gérer des dossiers et m'occuper de diverses choses, je lui réponds en restant vague. D'un ton très apaisant et professionnel mon maître de stage me transmet les compliments suivants :
— Continuez ainsi les patients sont très satisfaits de votre travail et nous aussi.
— Merci c'est gentil.
— Tenez le coup.
Je lui rends un hochement de tête et replonge la tête dans la paperasse. Au bout d'une dizaine de minutes je prends de l'élan et fais rouler le fauteuil dans le bureau, ce dernier tourne sur lui-même et s'arrête au bout d'un moment. Mes mains croisées à l'arrière de mon crâne, mon regard fixe un point invisible de la baie vitrée qui donne sur l'Elizabeth Street.
Maintenant je vis seule. Ma mère n'est plus là pour m'épauler, les matins je me lève seule, sans réconfort et présence maternelle. Ah, cette présence, elle me manque tant. Tellement que les soirs je m'effondre sur mon lit et verse une quantité impressionnante de larmes. Tout ce que j'espère c'est qu'elle ait rejoint la cité d'argent ; bien que son enveloppe corporelle réside dans un beau cercueil offert par l'archange déchu. Intérieurement j'espérai qu'il viendrait à l'enterrement pour qu'il puisse peut-être me soutenir mais rien. Je me retrouvais seule, encore, entourée d'un prêtre que je ne connaissais pas et de ses quelques collègues que je n'avais vu que très peu de fois. Je contenais mes larmes le plus longtemps que je pouvais mais arrivé au moment où toutes les personnes me regardaient avec une compassion sans égal et m'échangeaient leurs excuses et condoléances je ne pouvais plus. C'était trop, beaucoup trop. Mes entrailles se sont brisées une fois de plus et mon chagrin, mon impitoyable douleur, a parlé pour moi.
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Fall For Lucifer
Fantasy{Histoire terminée} Lucifer, Satan, le diable, le mal incarné, le maître incontesté des Enfers, bien des noms résument à eux seuls cet être au cœur gelé, trahi, brisé. Tout le monde raconte qu'il est incapable d'aimer, incapable d'éprouver le moind...