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L'ambiance dans la voiture est bien plus calme. Mes oreilles bourdonnent encore d'avoir été dans un lieu si bruyant. Je ne sais pas trop ce qui s'est passé ce soir, mais j'ai adoré cet endroit. Je ne pensais pas qu'une espèce de club clandestin pour ange et démon à poil m'intéresserait, et pourtant...

L'atmosphère est plus légère et les effluves endiablés laissent place à la discrète odeur des sièges de voiture en cuir.

N'étant plus oppressée par le monde autour, le froid de décembre s'insinue jusqu'à moi. À peine je frissonne que Jason lâche une main du volant pour attraper une couverture sur la banquette arrière. Il a une sacrée vision périphérique le garçon. Je murmure un merci et me couvre, mais ça ne suffit toujours pas. Je tends la main vers l'interrupteur du chauffage et je ne suis pas la seule à avoir cette idée puisque mes doigts effleurent ceux de Jason et son contact déclenche des étincelles dans mes terminaisons nerveuses. Le toucher me fera-t-il toujours cet effet ?

Perdue dans mes pensées et dans les sensations que ce contact fugace a provoqué, je me rends compte que j'ai interrompu mon geste et n'ai pas allumé le chauffage lorsque je le vois bouger de nouveau pour l'allumer. Est-ce que je m'habituerai à lui ? Est-ce qu'un jour, j'arriverai à le connaitre entièrement et vraiment ? Est-ce que j'arriverai à prévoir ses intentions ?

Il faut que j'interrompe ce flot de questions. Nous ne sommes pas ensemble et notre temps est compté. Chercher ce que je serai capable de faire un jour n'est d'aucune utilité si ce jour n'arrive jamais. Il faut vraiment que j'arrête de penser sur le long terme. On va vraisemblablement mourir d'ici quelques semaines. Enfin peut-être pas tous les deux, mais il y a plus de chance de voir l'un de nous périr que d'en réchapper tous les deux. Question de probabilité de base. Je pourrais trouver ça injuste et trouver que cette vie ne vaut pas le coup d'être vécue. Je l'ai fait d'ailleurs... mais me lamenter ne changera rien. Rien ne peut changer mon destin. Plus rien ne le peut, alors autant ne pas s'encombrer d'espoir déchu.
Eh ben... Il y a moins d'une heure j'étais prête à me rouler nue sous lui... L'ambiance a plus ou moins changé. Pourquoi me torturer comme ça ? Il faut croire que tout le monde a besoin d'un passe-temps.

Je me tourne vers Jason pour penser à autre chose qu'à ces douces réflexions de condamnée à mort :

— Pourquoi cette soirée ?

— Il fallait bien que tu saches ce que le monde surnaturel peut t'apporter.

Je ne comprends pas vraiment ce qu'il veut dire, mais sa mine est très sérieuse d'un coup. Je n'ose pas poser davantage de questions. Les rouages semblent s'activer dans sa tête comme s'il cherchait à formuler une idée. Je le laisse se concentrer en reportant mon attention sur la route. Il n'y a que très peu de lumière à l'exception des phares qui éclairent la route.

Les bandes blanches se succèdent de manière régulière et hypnotisante. Est-ce que Jason aussi se pose des questions sur notre avenir ? "Notre"... Comme s'il pouvait y avoir un "notre"...

Quand je ne m'y attends plus, un raclement de gorge me ramène à la réalité. Je me tourne doucement vers lui en clignant des yeux. Être restée focalisée sur les bandes empêche ma vision nocturne de faire son boulot. Il quitte un instant ses yeux de la route et le plaque sur les miens. Ses prunelles semblent luire comme des pierres incandescentes. On pourrait croire que ce n'est pas normal, mais c'est son regard. Le bleu si foncé s'embrase tandis qu'on jurerait voir passer ses pensées en arrière-plan. Puis il reprend sa position face à la route en commençant à s'exprimer :

— Je ne veux pas entrer dans une séquence émotion et tout le reste. Mais si je meurs, tu sauras où trouver d'autres gens comme toi. Et j'ai un service à te demander...

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