14.

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Sam m'amène dans un pub près de la fac où ils ne sont pas tatillons sur les cartes d'identité d'après lui. On s'installe face à face à une petite table en sirotant une bière chacun. Ok, ce n'est pas ce qu'il y a de plus féminin, mais je ne suis pas non plus en mission séduction. Il semble avoir des doutes sur mes motivations, mais au fur et à mesure de la conversation, il semble se détendre.

Par moment, je surprends son regard vers moi, il semble me déshabiller des yeux. Ce n'est pas ce que j'imaginais quand j'ai passé cette robe rose pale et cette veste en jean, sa réaction me met mal à l'aise, mais j'essaie de ne pas réagir.

Je lui parle de moi, de mon enfance avec Vé, de notre amitié qui s'est forgée sur le tas.

— Sérieusement, Vé était ennuyée à cause de son physique ?

Il semble ne pas y croire, et malgré moi, je ressens une vive douleur dans la poitrine. J'ai toujours su qu'elle était plus belle que moi, et même si son interrogation est sans arrière-pensée, elle me fait remarquer une nouvelle fois que je suis la moins jolie aux yeux de tous.

— Oui c'est dur à imaginer mais elle n'avait pas un physique très avantageux quand nous étions plus petites. On n'était pas franchement des reines de bal en devenir. Mais elle a bien changé, maintenant elle fait tourner toutes les têtes.

Je n'ai aucune rancœur contre Vé, après tout elle n'est pas responsable de sa beauté et elle ne tente pas de m'éclipser. Je me ressaisis, je refuse d'être cette amie coincée et jalouse.

— Si ce que tu dis est vrai, toi aussi tu as changé alors.

Je tente de baisser la tête pour cacher le rouge qui me monte aux joues, sans succès. Ma soudaine timidité semble le faire rire, puis il décide d'ajouter :

— D'ailleurs cette robe est très jolie sur toi.

— Euh... merci.

Je ne suis pas habituée à ces compliments, alors je suis vraiment gênée, je change alors de sujet.

— A ton tour de me raconter l'histoire de Samuel Harding.

— Oh ça va être rapide, je n'ai rien d'exceptionnel à dire ! Quand j'étais petit, je changeais souvent de lieu de résidence, mon père étant militaire, on déménageait souvent. À force de ne jamais rester longtemps au même endroit, j'avais du mal à me faire des amis, et quand j'ai emménagé ici, j'étais assez réservé et je n'osais pas trop aller vers les autres. J'avais 13 ans quand on a posé définitivement nos valises ici. Naturellement, je suis allé vers le seul autre garçon qui semblait paumé, et j'ai rencontré Jaz.

Je bois ses paroles. Pour lui, la pire des choses est de ne pas avoir eu de maison fixe pendant longtemps, la mienne, c'est de n'être jamais partie avant l'année dernière. Nous admirons chacun la vie de l'autre pour des raisons diamétralement opposées.

— Je n'avais pas compris que vous étiez si proche.

— Oui ça ne me surprend pas, il rigole et reprend, on ne peut pas dire qu'il est très démonstratif. Il a perdu ses parents avant qu'on se rencontre et n'a pas eu une vie facile. Bien sûr ça n'excuse rien, mais j'arrive à comprendre son comportement un peu bizarre.

J'apprends beaucoup de choses, mais cette conversation me met mal à l'aise alors je décide de partir dans une autre direction :

— Et donc, la biologie ?

— Et bien, je me suis toujours intéressé aux plantes et à l'environnement en général, en sortant du lycée, je ne savais pas trop quoi faire, alors je me suis tourné vers ces choses qui me plaisent. Devenir un biologiste en environnement me semble être un bon plan de vie. Et Jaz était à la fac déjà, comme il a deux ans de plus que moi, je me suis dit que j'allais le rejoindre.

— On dirait que tu es à Jaz ce que je suis à Vé, plaisanté-je, après un an à errer un peu dans la ville, je pense qu'elle est responsable d'une bonne partie de ma motivation à faire des études.

— Et pourquoi la biologie ?

— Un peu par élimination, je ne suis pas certaine de ce que je veux faire, mais la génétique m'attire, j'ai sans doute lu trop de bouquin et ça m'est monté à la tête !

La soirée se passe vraiment bien, on rigole et on plaisante. Je ne sais pas si ça évoluera, mais c'est bien de partager cette bière ensemble.

— Ah oui tu lis ?

— Oui beaucoup, j'ai hésité à partir en étude littéraire, mais j'ai voulu garder ça comme un passe-temps. Tu lis aussi ?

— Non pas moi, mais Jaz est en troisième année de littérature alors j'ai une connaissance des bases.

La soirée continue autour de nos passions, nos ambitions, nos rêves. Cette soirée sera bientôt finie alors je tiens à clarifier une nouvelle fois les choses :

— Je sais que tu en attends plus de moi, et j'étais honnête tout à l'heure quand je t'ai dit que je ne savais pas ce que ça donnerait. Je passe une excellente soirée, vraiment ça me fait beaucoup de bien. Mais à cet instant, je ne pourrais pas te dire que je veux qu'on aille plus loin ou pas. J'espère que tu ne m'en veux pas.

Je m'interromps, consciente que j'ai parlé beaucoup trop vite pour ne pas avoir besoin de reprendre ma respiration. Je m'attends à ce qu'il s'énerve, à ce qu'il presse les choses ou qu'il m'en veuille, alors quand il me regarde en souriant, je suis décontenancée.

— Je ne te demande pas l'impossible, juste une chance de mieux te connaître, et c'est ce qu'on a eu ce soir. Je n'attends rien de plus.

Soulagée, je reprends notre conversation pendant quelques minutes avant de partir. Je lui demande de me déposer près de la fac, je prétexte devoir aller chez Vé. La vérité, c'est que j'ai besoin de réfléchir à cette soirée et que marcher m'aidera à y parvenir.

Après être descendue de la voiture, je me dirige vers le campus en attendant qu'il parte. Je m'en veux un peu de lui mentir, mais ce n'est pas dramatique. J'ai juste besoin d'un peu de temps pour moi.

Je me dirige vers mon appartement, en pensant à cette soirée intéressante. On a rigolé, c'était très sympa de mieux le connaître, de voir la relation qu'il a avec Jaz. Les similitudes qu'il existe entre leur relation et celle que j'entretiens avec Vé sont assez frappantes. Jason a perdu ses parents et Vé, son père.

Je me demande s'il m'obséderait autant, si je n'étais pas l'indécise. Sans y prendre garde, la conversation de ce soir aurait pu tourner autour de Jaz, encore et toujours. Je ne veux plus que le monde tourne autour de lui. Je ne sais pas si je serai amoureuse de Sam un jour, mais ce qui est sûr, c'est que la soirée m'a fait un bien fou.

Je culpabilise tellement. Je passe la soirée avec un homme et avant de le rejoindre, je pensais à son meilleur ami... et je continue une fois la soirée terminée. Comment ai-je pu devenir une personne pareille... Est-ce que c'est ma partie démoniaque qui me transforme en une mégère égoïste et stupide ?

Je continue mon chemin dans la pénombre. Le froid de l'hiver arrivant à grands pas me fait frémir. J'arrive au niveau de la rue où il y a un trou dans le trottoir. Celui où je suis tombée et où Jaz m'a rattrapée. Je revis la scène, la chaleur de sa peau sur la mienne. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi, bon sang ?!

Je m'arrête un instant, prends ma tête entre mes mains. Quoi que je fasse, je n'arrive pas à retirer ce bleu de mes yeux. Je pourrais penser aux yeux de Sam, imaginer ma vie d'un bleu clair pareil au ciel. Mais non, il faut que je sois possédée par ce bleu roi profond qui hante mes nuits depuis le premier jour. Il faut que je me reprenne, parce qu'à chaque fois qu'il repasse dans ma tête, je n'arrive à penser qu'une seule chose ; il est mon évidence.

— Essaie de ne pas tomber cette fois, Princesse.

Je reste interdite un instant. Est-ce qu'en plus d'imaginer ses yeux dans le noir, j'entends sa voix maintenant ? Je prends une grande inspiration et tente de faire le vide dans ma tête. Je me retourne lentement, prête à avoir l'air d'une dingue seule dans la rue. Sa voix était moins rauque et plus douce, je suis quasiment sûre d'avoir rêvé, mais voilà, à cet instant, je sens une présence dans mon dos. La chair de poule me revient et des frissons parcours mon corps lorsque je tombe face à face avec Jason.

IndéciseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant