Chapitre 9 : Lucilla

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Dans un recoin reculé de Rome.

La maison où se tenait la jeune femme tombait en ruines. Des pans de murs entiers n'étaient plus là, et il manquait plusieurs tuiles au toit, qui laissait filtrer la lumière du jour. Malgré tout, les deux occupantes de la pièce ne semblaient nullement affectées par l'état de la maison. Entre quelques tas de gravats était posée une marmite, qui bouillonnait. Le liquide à l'intérieur était d'un gris clair indescriptible. L'une des femmes, au dos courbé par l'âge, se pencha au-dessus du récipient et dit:

— C'est presque prêt...
— Cela sera prêt dans combien de temps ? demanda l'autre femme, qui semblait plus jeune, au capuchon rabattu sur le visage. Je suis pressée. Personne ne doit remarquer mon absence.
— Je sais, je sais... Mais l'arsenic est un élément qui prend du temps à se diluer dans l'eau. Et personne ne doit savoir que le liquide est empoisonné, n'est-ce pas ? répondit la vieille femme en se penchant vers l'autre.

La jeune femme grimaça. Il manquait de nombreuses dents à sa vieille interlocutrice, et son haleine empestait.

— Effectivement, répondit la jeune femme.

La vieille dame transvida ensuite le liquide de la marmite dans une fiole minuscule de la taille et de l'épaisseur d'un doigt. Elle la tendit vers l'autre femme, qui s'empressa de la prendre et de la cacher sous sa cape.

— Mon argent, demanda la vieille.
— Voilà, dit la femme en fourrant une bourse dans la main de l'autre dame.
— Cela a été un plaisir de marchander avec vous, Lucilla, dit la vieille femme en contemplant avidement l'argent.

La jeune femme ne dit rien et quitta la maison en ruines. Rien ne brisait le silence, si ce n'était le bruit des pas et le tintement des pièces.

Palais impérial, Rome.

- JE VOUS AI DIT QU'ELLE DEVAIT ÊTRE BLEUE ! cria une voix féminine.

Lucilla grimaça. Sa belle-sœur faisait encore une crise de colère sur quelque chose de totalement futile. « La couleur de sa tenue de ce soir n'est visiblement pas à son goût... » songea la jeune femme rousse. Elle s'empressa d'éviter le couloir d'où provenait les cris et se dirigea vers sa chambre, un peu à l'écart des autres. Elle s'attendait à la retrouver vide, mais un jeune garçon de quatre ans l'attendait, assis sur le lit.

— Maman ! s'écria-t-il en se précipitant sur sa mère.

Lucilla serra son fils contre elle et sourit en caressant ses cheveux bruns.

— Tu m'as manqué, Lucius, chuchota-t-elle.
— Pourquoi tu n'étais pas là ce matin ?
— C'est... compliqué, dit-elle d'une voix hésitante.

Elle détestait devoir mentir à son propre fils. Mais elle le devait, tant pour son bien que pour l'avenir de Rome. Cependant, Lucius ne s'attarda pas sur le sujet.

— Il y aura une fête, ce soir, dit-il.
— Je sais, dit Lucilla en retirant sa cape et en la cachant sous son lit. Chez le sénateur Cassius.
— On y ira ?

La jeune femme ne put s'empêcher de sourire. Son fils avait des préoccupations aussi peu importante que leur présence à une fête quelconque ? Parfois, Lucilla enviait son insouciance.

— Oui, ne t'inquiète pas. Ta tante et ton oncle y vont, alors nous irons nous aussi.
— Oh non ! Pas tante Crispine ! Je ne peux pas la supporter. Nous sommes obligés d'y aller ?
— Oui, Lucius, dit sa mère d'une voix lasse.

La perspective de passer une soirée complète en compagnie de Crispine ne l'enchantait guère plus, mais elle devait y aller. Elle commençait à soupçonner le sénateur Cassius de manigancer queleque chose avec Commode. « Avant-hier, je l'ai vu au palais impérial, après la réunion au Sénat, dans son bureau », songea-t-elle. Cela l'inquiètait. Et si ils avaient découvert leur plan ? Qu'ils étaient tombés sur quelque chose qu'ils n'auraient pas dû lire ? Et qu'on l'accusait de trahison? Elle ne reverrait plus jamais son fils, cela, elle en était sûre. « Non. Ils ne se doutent de rien, j'en suis certaine. C'est probablement juste quelque chose relié au Sénat », pensa-t-elle pour se rassurer. Et se rassurer, elle en avait besoin...

Domus de la famille Vilibus, Rome.

Dans l'atrium, Esther lavait des vêtements à l'aide de l'eau de l'implivium, au centre de la pièce. Elle savait qu'elle aurait plutôt dû utiliser l'eau d'un robinet quelconque de la maison, mais elle était incapable d'en trouver un. Esther avait fait au moins trois fois le tour de la maison, mais elle n'avait rien trouvé qui puisse se rapprocher d'un approvisionnement en eau. La jeune esclave tentait de se dépêcher pour qu'on ne la remarque pas, mais son plan tomba à l'eau dès qu'elle entendit des bruits de pas derrière elle.

— Tu ne devrais pas laver le linge ici, fit remarquer une voix féminine.

Esther se retourna ; la voix provenait de la fille de son maître, Octavia, qui préfèrait être appelée Avia, tout simplement.

— Je sais, mais je n'ai trouvé aucun robinet dans la maison, dit Esther.
— Il est à l'extérieur, sur l'un des murs de la maison, répondit simplement Avia.
— Merci, dit Esther en s'inclinant.

La jeune esclave prit le linge trempé et le mit dans un panier en osier. Alors qu'elle s'apprêtait à partir, la romaine lui demanda d'un ton curieux :

— Tu es celle qui a remplacé l'ancienne esclave qui était devenue trop vieille, n'est-ce pas ?
— Oui, répondit Esther.

Elle quitta ensuite l'atrium en sortant par le vestibule. Tout en lavant les vêtements et les rinçant sous l'eau, la jeune fille ne cessait de se poser des questions. Allaient-ils la revendre pour son incompétence ? Et si elle tombait sur des maîtres pires que les précédents ? Ou encore, s'ils la bâtaient ? Elle ne pourrait rien faire pour se défendre. Alors qu'Esther était perdue dans ses pensées, une main se posa sur son épaule. La jeune esclave sursauta et se retourna.

— Gaius ! s'exclama-t-elle en le serrant dans ses bras. Que fais-tu ici ?

Il ne répondit pas, occupé à la dévisager. Comprenant ses interrogations, Esther s'empressa de dire pour le rassurer :

— Non, ils ne m'ont rien fait, ne t'inquiète pas. Ils semblent beaucoup plus tolérants et amicaux que les précédents.
— J'espère, dit Gaius, car je n'aurais pas toléré qu'ils fassent du mal à ma petite sœur chérie.
— Vraiment ? Qu'aurais-tu fait s'ils m'avaient battue ? Tu n'aurais rien pu faire, conclut Esther en secouant négativement la tête.
— Je sais, murmura Gaius d'un ton amer.

Brisant le silence, sa sœur demanda:

— Tu ne m'as pas répondu. Pourquoi es-tu ici ?
— J'en ai profité, puisqu'on a tous un jour de libre aujourd'hui.
— C'est la vérité ? demanda Esther d'un ton excité.
— Oui, répondit Gaius en levant les yeux au ciel devant l'excitation de sa petite sœur.
— Alors, reviens cet après-midi, j'aurais à ce moment-là quartier libre. On pourra faire quelque chose ensemble, suggéra la jeune fille.

Son frère ne répondit pas, s'apprêtant à faire demi-tour.

— À cet après-midi, alors, dit Gaius en partant.

Esther le vit quitter la demeure des Vilibus. Dès qu'elle ne put plus le voir, car il était trop loin, elle rentra à l'intérieur avec son panier de linge désormais propre sous le bras.

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La Légende de Rome - Tome I   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant