Chapitre 18 : Silence

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Dans un champ stérile près de Rome.

Une silhouette, silencieuse dans la nuit, s'approcha de deux autres. Les trois se tenaient dans un champ stérile, où rien ne poussait.

– Pertinax ? Vous allez bien ?
– Bien sûr que je vais bien, cracha l'une des silhouettes au dos légèrement courbé. Mon fils et ma petite-fille, Hélène, aussi.
– Très bien.
– Je ne vous ai pas convoqués ici pour rien, reprit le vieil homme. Êtes-vous au courant du...
– Bannissement de Lucilla ? l'interrompit Tarrutenius, chef de la garde impériale.

Pertinax, la silhouette courbé, haussa l'un des sourcils et le sénateur Gacius grimaça.

– Excusez-moi, s'empressa de balbutier le chef de la garde impériale. Je... je vous laisse continuer.
– Règle numéro un : ne jamais, mais au grand jamais, me couper la parole. Que cela rentre dans votre petite tête ! cria Pertinax, le visage ridé déformé par la colère.
– Pour en revenir au sujet, dit le sénateur Gacius, oui, nous savons pour le bannissement. Lucilla a été bannie par l'empereur à Capri.
– Quelle solidarité familiale...
– Que ferons-nous ? demanda Tarrutenius. Nous continuons ?
– Bien sûr ! s'exclama le vieux. Nous n'abandonnerons jamais. Pas tant qu'il aura le pouvoir à Rome.
– C'est le début de la phase deux, n'est-ce pas ?
– Exact, conclut Pertinax.

Un silence s'abattit sur eux, seulement brisé par le murmure du vent. Pertinax prit la parole:

– Nous aurions jamais eu à faire cela si le Sénat n'avait pas nommé Commode empereur...

Gacius avala sa salive avec difficulté. Il savait que le vieil homme, indirectement, l'accusait. Cependant, Pertinax n'ajouta rien.

– Je dois être honnête avec vous... J'ai peur des répercussions possibles de l'assassinat de l'empereur... dit Tarrutenius d'une voix hésitante.
– Il faudrait d'abord que l'on réussisse, souligna le sénateur. Et puis, nous avons l'appui du Sénat...
– Et bien... Les mêmes hommes qui ont nommé le fils de Marc-Aurèle empereur veulent désormais sa mort... dit Pertinax dans un rictus.

Gacius s'apprêta à ouvrir la bouche pour répliquer, mais le vieil homme le fit taire.

– Partez, et, n'oubliez pas : soyez prudents.

Palais impérial, Rome.

– Où est-ce qu'elle est ?

Commode hésitait. Devait-il lui dire la vérité ? À n'en point douter, Lucius le prendrait mal...

– Elle est partie... Je l'ai bannie à Capri, avoua l'empereur en un souffle.

Un lourd silence, pesant, régna entre eux durant un moment. Le fils de Marc-Aurèle se mordit la lèvre. Soudain, Lucius laissa échapper un cri de rage, et il courut, dans le sens inverse, rejoindre sa chambre. Avant qu'il n'y entre, le petit garçon cria à son oncle, au centre du couloir, qui n'avait pas bougé :

– Tu aurais pu me le dire avant qu'elle ne parte !

Commode resta immobile, et jura intérieurement. En plus du mécontentement populaire, il devait aussi affronter la colère de son neveu... Il grimaça, se retourna, et fit face à Honorius, qui avait un sourire moqueur au visage.

– Visiblement, il l'a mal reçu... dit ce dernier d'un ton ironique.
– Je n'ai nullement besoin de ton aide pour le constater, mon cher demi-frère, lui cracha l'empereur au visage, furieux.

Le César de Rome soupira d'un ton excédé, et longea le long du couloir. Il contempla un instant la chambre de Crispine, encore pleine de toutes les affaires qui lui appartenaient. Le lit était fait, et tout était, comme à l'accoutumée, à sa place. Commode songea un moment à sa propre chambre, où le désordre régnait en maître ; il avait interdit aux serviteurs du palais d'y entrer...

Il se secoua un peu, et se dirigea vers la chambre minuscule de Romulus. Il aurait deux mots à dire à cet imbécile...

Il fit claquer la porte à son arrivée, et vit le concerné, étendu sur son lit. Romulus se leva dès son entrée dans la pièce, et tenta de s'incliner respectueusement, mais le geste sonnait faux.

– Pourquoi as-tu tiré la flèche ? POURQUOI ? aboya Commode.
– Je m'en excuse... Il s'agit d'une erreur qui ne se reproduira plus.
– D'une erreur... Tu avais très bien planifié ton coup, n'est-ce pas ? Tu t'es éclipsé juste à temps pour que je ne le remarque pas immédiatement et il te suffisait de tirer... Mais tu as échoué. Je suis encore là.

Romulus resta silencieux. L'empereur reprit la parole :

– Et qu'espérais-tu faire à ma mort ? Aller libérer ton père de son trou, où il moisit présentement ?
– J'espérais débarrasser Rome d'un tyran, lâcha Romulus.
– Ton père restera dans cette prison jusqu'à sa mort... Fais-toi à l'idée.

L'empereur se retourna vers la porte, et lorsque ses doigts frôlèrent la poignée en cuivre rouillée, Romulus parla, après un certain moment d'hésitation :

– Tarrutenius... le chef de la garde impériale... Il m'a demandé d'enquêter sur l'assassinat de l'impératrice, et je...
– Tu peux fermer l'enquête. Le coupable a été trouvé. Il s'agit de...

Soudainement, sa voix se brisa. « Pleurer le bannissement de ma sœur... » se réprimanda-t-il intérieurement. Il quitta la pièce exiguë sans rien ajouter.

Amphithéâtre Flavien, Rome.

Rema, littéralement, dormait debout. Elle ne pouvait s'empêcher de bâiller, fatiguée à cause de la visite nocturne impromptue chez Hélène. Ses réflexes, à l'évidence, étaient moins bons, et cela faisait au moins quatre fois qu'elle avait encaissé les coups sans broncher.

– Secoue-toi un peu, Remus ! s'exclama Marcus, alors qu'elle était restée debout, la main sur la bouche, en tentant de réprimer un bâillement, alors qu'elle aurait dû esquiver le coup.
– Laisse-le tranquille, dit Gaius, à côté d'eux. Elle meurt de fatigue, ça se voit.

Rema, si fatiguée, ne dénota même pas l'emploi du pronom féminin. Elle hocha la tête pour appuyer les dires de Gaius, et promit de faire des efforts pour ne pas tomber endormie debout.

À midi, lorsque le soleil fut à son zénith, tout les esclaves prirent une pause. Se déroula ensuite, dans la salle au plafond haut, d'une certaine manière leur salle commune, une partie endiablée de dés. Certains parièrent même leur repas du soir, tandis que d'autres, plus prudents, ne parièrent rien. Soudain, dans l'allégresse qui envahissait la pièce, Tibère surgit.

Rema se retourna vivement et grimaça. Tous se seraient bien passés de lui...

– Puis-je savoir ce que vous faites ? demanda-t-il.
– On joue aux dés, dit l'un des gladiateurs en haussant les épaules.
– Vermines ! Je ne vous ai pas achetés pour que vous passiez vos journées à jouer aux dés ! cria Tibère d'un ton dédaigneux. Pourtant, ce n'est pas si compliqué ! La seule chose que vous devez savoir faire, c'est combattre, manger et éventuellement, mourir dans l'arène.

Un long silence s'ensuivit. L'homme au ventre proéminent, furieux, tapa du poing sur la table. Les dés roulèrent le long de la surface en bois, et Rema, par réflexe, tendit le bout des doigts pour les rattraper avant qu'ils ne touchent le sol. Tibère lui lança un regard noir, rouge de colère, et quitta la salle.

*

Alors? Pronostics? Et que pensez-vous de l'emploi du pronom « elle » par Gaius? Sait-il? Ou est-ce simplement une erreur d'inattention?

*

La Légende de Rome - Tome I   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant