Chapitre 12 : Il sait...

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Palais impérial, Rome.

Le cœur de Lucilla rata un battement. Il savait. Pour le complot. Que le sénateur Gacius y était mêlé. Toutes ces précautions n'avaient servi à rien, finalement. Il savait déjà. La rousse remit la feuille à sa place, renversant l'encrier. Le liquide noir coula le long du papier, tachant la feuille. Lucilla jura intérieurement. « Pour la discrétion, il y a mieux », songea-t-elle. Elle contempla l'encre qui mangeait peu à peu la feuille, emportant avec elle les mots. Elle prit le papier d'un noir intense et songea un moment à ses options. Elle pouvait jeter la feuille, pour éliminer cette preuve si gênante, mais elle savait qu'à son retour, son frère, Commode, se rendrait compte de la supercherie en remarquant le papier manquant. Ou alors, elle pouvait tout laisser comme elle l'avait trouvé. Il y avait quelques chances qu'il n'aperçoive le papier tâché d'encre que trop tard, et à ce moment-là, il aurait déjà tout oublié. Lucilla préfèra la deuxième option, même si elle savait qu'elle jouait avec le feu. Elle n'avait qu'à espérer qu'il ne la brûlerait pas.

Parcourant les couloirs du palais d'un pas rapide, une pensée, qui la rassura un instant, surgit dans son esprit. « Il n'y avait pas mon nom sur le papier », pensa-t-elle. Il y avait donc de fortes chances que Commode ignorait qu'elle était mêlée à ce complot. La jeune femme soupira de soulagement. Finalement, tout n'était pas perdu. Mais il fallait qu'elle redouble de prudence pour la suite. Elle se demanda si elle devrait avertir le sénateur Gacius, pour le prévenir. « Non », songea-t-elle, « Cela paraîtra trop suspect ». Elle savait son frère parfois impulsif, mais pas téméraire à ce point. Il surveillerait probablement la domus du sénateur et il surveillerait également ses moindres faits et gestes, n'attendant qu'un dire ou fait ne le trahisse.

Lucilla songea un moment à la punition réservée aux traîtres. Elle connaissait bien son frère Commode: il avait tendance à être beaucoup moins clément que son père, le défunt Marc-Aurèle. La sentence serait exemplaire, et elle servirait sûrement d'exemple pour que personne d'autre ne le trahisse. La mort. Assez impressionnant et cruel pour éviter tout autre complot ou trahison. Mais elle savait que ce choix de sentence paraîtrait trop lourd pour certains, dont les plébéiens. « Depuis quand l'avis de la plèbe importe à mon frère ? », pensa amèrement Lucilla.

À ce moment précis, la rousse entendit des voix qui provenaient de l'entrée principale du palais, et elle sut immédiatement que Crispine et Commode étaient rentrés. Elle s'empressa de rejoindre sa chambre et elle feignit le sommeil.

Dans un champ stérile près de Rome.

Dans un champ, trois silhouettes enveloppées dans des capes discutaient entre elles. L'une d'elles avait le dos courbé par l'âge et parlait d'une voix plutôt rocailleuse.

— Alors ? demanda la voix d'un ton bourru. Vous avez des informations ?
— Non, répondit une autre voix, légèrement tremblante.
— Et vous, Tarrutenius ? Ne me décevez pas comme Gacius l'a fait, reprit la voix d'un ton furieux.
— J'ai des informations qui pourraient vous intéresser.
— À propos de...
— Sur le sénateur Cassius. Je pense qu'il se doute de quelque chose. Il y a à peine quelques jours, je l'ai vu au palais, alors que la réunion du Sénat était terminée.
— Et ?
— Il était venu s'entretenir avec l'empereur, dans son bureau.
— C'est tout ? demanda la voix bourrue.
— Oui, répondirent en cœur les deux autres.
— Très bien, grommela le vieillard au dos courbé. Partez. Ne traînez pas, personne ne doit être au courant de votre absence.

L'homme fit alors demi-tour, et rebroussa chemin vers Rome. Les deux autres ne bougèrent pas, et dès que la silhouette du viellard se perdit dans l'obscurité, l'un dit :

— J'avais en réalité des informations.
— Lesquelles ?
— L'émeraude s'apprête à éliminer notre victime aux cheveux blonds.
— Elle a le poison en sa possession ?
— Oui.
— Très bien. Phase un presque achevée.

La Légende de Rome - Tome I   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant