Chapitre 24 : L'espionne épiée

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Domus de la famille Vilibus, Rome.

Avia se tordit le coup pour tenter d'apercevoir par l'embrasure de la porte les occupants de la pièce. À peine quelques minutes plus tôt, l'empereur était arrivé en trombe, sans prévenir. D'un accord tacite, ce dernier et le père d'Octavia s'étaient réunis dans le bureau. La jeune romaine, attisée par la curiosité, s'était alors placée proche de la porte de la salle pour écouter toute leur discussion. Elle se doutait bien qu'il s'agissait de quelque chose d'important...

Malheureusement pour elle, son paternel et Commode échangeaient des paroles sans intérêt : des affaires internes sur l'Empire. Elle tendit l'oreille, à l'affût d'une quelconque information...

— Une véritable langue de bois, ce Gacius, grommela l'empereur. Il parle pour ne rien dire...
— Tout en cachant et dissimulant son avis et ses convictions.... continua le sénateur Cassius, le père d'Avia.
— Pour ainsi passer entre les mailles du filet, conclut Commode. Ajoutez à cela un air suspect, et le fait que quelqu'un se soit introduit dans mon bureau... Il complote contre moi. C'est évident, dit-il avec assurance.
Mais, depuis peu, une question me dérange l'esprit : le complot de Gacius et l'assassinat de Crispine seraient-ils liés ?
— Vous vous demandez si votre sœur et le sénateur seraient de mèche ?
— Peut-être... Et s'ils complotent ensemble pour tenter de me retirer du pouvoir impérial ? Et que Gacius devient empereur à ma...
— Calmez-vous... Personne n'a tenté quelque chose pour le moment. Vous êtes en sécurité, lui assura Cassius.
— C'est ce que disait Tarrutenius, murmura le César de Rome, et regardez ce qui est arrivé... Crispine est morte.

Un long silence s'ensuivit. Avia, appuyée sur le mur où était la porte, tenta de retenir sa respiration pour que son père et l'empereur, tous deux dans le bureau, ne l'entendent pas.

— J'ai une suggestion...
— Je vous écoute, dit Commode.
— Pour avoir le cœur net sur toute cette affaire, pourquoi ne pas tout simplement demander à Lucilla ?
— Elle est à Capri... Et je doute qu'elle voudra répondre à mes questions...
— Il y aura toujours un moyen de faire chanter un oiseau. Mais, avec violence, son chant sera forcé et moins mélodieux...

Domus de la famille Vilibus, Rome.

« Espionne ! », songea Esther, cachée au coin du couloir, observant Avia qui écoutait à la porte. La jeune juive devait admettre que la fille de son maître était plutôt douée pour écouter la conversation des autres, tapie dans le silence. Mais la romaine était dangereusement proche de la porte du bureau. Si l'idée de l'ouvrir venait à l'esprit de ses occupants, Octavia était fichue...

Le panneau de bois craqua, et Esther vit Avia sursauter. Cette dernière se retourna vivement et s'empressa de longer le mur le long du couloir, marchant d'un pas rapide. La jeune esclave tenta de se faire le plus petite alors que la romaine passait dans un vent devant elle.

Elle soupira de soulagement seulement lorsqu'elle aperçut Octavia tourner au détour d'un énième dédale de la maison. Une question lui triturait l'esprit : pourquoi Avia avait-elle écouté la conversation des occupants du bureau ? Qui étaient-ils, et de quoi avaient-ils parlé ?....

Palais impérial, Rome.

Seul. Lucius réussit à mettre un mot sur le sentiment qu'il l'habitait en cette journée. Le jeune garçon se sentait seul. Affreusement seul, même s'il était entouré de tout les serviteurs du palais... Ils ne comptaient pas.

Il avait l'impression qu'il lui manquait quelque chose... La présence de sa mère. Le garçon ressentait un mélange de frustration, de colère et de solitude. Il n'avait pas sa maternelle en ce jour de ses cinq ans...

Lucius se leva du banc de marbre glacé comme son âme et frappa dans un caillou proche du pied. La roche s'envoya valser dans les airs et tomba dans le bassin de la fontaine au centre du jardin. L'enfant se rembrunit et toucha du bout des doigts les quatre billes en bois qu'il portait au poignet. Quatre. Il en manquait une. Une seule.

Dans les rues de Rome.

La rumeur se propageait peu à peu dans la cité. Elle se glissait entre les passants, renversait un étal de fruits, et excitait les hommes...

Les femmes, plus pragmatiques, ne cessaient de répéter qu'ils ne s'agissaient que de rumeurs, que de ouï-dires... Leurs enfants, qui tiraient le bas de leurs vêtements pour attirer leur attention, s'arrêtaient dans leur geste et courraient à travers les rues et les ruelles pour répandre la nouvelle à leur tour. Les mères, furieuses, se tournaient alors vers l'annonceur – qui se basait à l'évidence sur des ouï-dires – et le fusillaient du regard.

La rumeur n'était cependant pas arrêtée par ces regards meurtriers. Elle se répandait comme une traînée de poudre, inlassablement, entre les gens de la plèbe. La plèbe s'échauffait, s'excitait... Un munus impromptu avait toujours ce mérite.

Mais les plébéiens ne s'excitaient pas seulement pour le combat en lui-même... Il fallait dire que l'un des gladiateurs qui descendrait dans l'arène était plutôt inhabituel... Malgré tout, ce n'était une surprise pour personne.

Dans une étroite ruelle de Rome.

L'enfant s'arrêta un moment, haletant. Il courrait dans les rues pour annoncer la nouvelle depuis presque une dizaine de minutes. Bientôt, sa mère viendrait le chercher... Ou demanderait à des voisins de le faire.

Les gens dans son sillage s'empressaient de sortir la tête par la fenêtre pour crier à leur tour la rumeur à leurs plus proches voisins.

L'enfant recommença à courir, criant à tout ceux qu'il voyait l'annonce du munus prochain. Ce faisant, il écrasa du pied un pétale de fleur de couleur pâle tombé sur le sol. Quelques gouttes d'eau sale brunâtre giclèrent sur le pétale, et, dans une douce brise, il s'envola...

*** Pronostics ? Qui serait ce combattant « inhabituel » ? ***

La Légende de Rome - Tome I   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant