Chapitre 19 : Les morts ne parlent pas...

280 37 17
                                    

Domus de la famille Vilibus, Rome.

– Esther ? Esther ? Est...
– Chut ! s'exclama la concernée en surgissant d'une porte. Tu fais trop de bruit ! Tu aurais pu les réveiller.

Gaius soupira et leva les yeux au ciel.

– Allez, viens, dit-il.

Ils longèrent le couloir et quittèrent la domus. Esther et Gaius allèrent derrière la maison, où une rangée d'arbres tentaient en vain de préserver l'intimité de ses occupants. Ils se glissèrent aisément entre les troncs, et débouchèrent sur un autre terrain, vierge.

La terre nue s'étendait sur des mètres et des mètres, et quelques simples roches étaient disposées sur le sol. Les pierres semblaient avoir été déposées là un peu n'importe comment, créant un effet hasardeux. Certaines roches étaient agrémentées de quelques fleurs, d'autres de simples branches, tandis que la plupart n'avait rien. Gaius s'approcha de la pierre sur le sol la plus proche. Il s'accroupit et vit quelques inscriptions en latin gravées sur le roc, mais il ne put les lire. Visiblement, les proches de l'esclave enterré ici avaient eu la chance de savoir lire, et probablement aussi d'écrire. Il soupira, se leva et pointa la stèle à droite de celle qu'il venait d'observer.

– C'est elle, dit-il.

Esther s'approcha de la pierre, de la taille d'un poing, et ses doigts frôlèrent le roc, qui s'effrita sous ce contact.

– Viens, dit-elle en enjoignant son frère à la rejoindre.

Gaius s'approcha pas à pas de la pierre, sentant son cœur se serrer. Le roc avait été gravé avec quelques simples mots, mais cette fois-ci, il était capable de les lire ; il s'agissait d'hébreu. Vous serez toujours là : telles étaient les inscriptions sur la stèle. Le seul hommage rendu à ses parents. Il se souviendrait toujours de ce moment-là, où ses parents avaient rendu leur dernier souffle devant ses yeux. Esther ne s'en souvenait pas. Elle n'avait qu'un an lors de l'incident. Elle n'était qu'un petit bébé qui avait à peine commencé à marcher. Gaius ferma les yeux momentanément. Le souvenir était trop douloureux. Il ne pouvait y songer. Il ne devait pas. Mais, malgré ces douzes longues années, il n'avait pas réussi à faire son deuil...

Esther se leva et arracha une branche d'un arbre qui délimitait le terrain de la famille Vilibus. Elle la déposa près de la roche, qui indiquait où étaient inhumés leurs parents. Ils n'avaient eu droit qu'à une seule pierre, même s'ils étaient deux à mourir... Il fallait admettre que ce n'était pas une nécropole en bonne et due forme ; le cimetière avait été installé, progressivement, par des esclaves qui ne partageaient pas les rites romains, comme les chrétiens ou les juifs. Il n'y avait pas si longtemps, les Romains ont commencé, à leur tour, à inhumer leurs défunts... La nécropole était ainsi devenue pleine de pierres de toute sorte faisant office de stèle, à cause, notamment, des esclaves partageant les traditions romaines, qui voulaient désormais enterrer les corps des morts.

Gaius resta un moment assis près la pierre qui indiquait où étaient inhumés ses parents, songeur. Que serait-il arrivé s'ils étaient encore vivants ?

Sa sœur le tira de ses réflexions en lui tapotant le bras.

– Il faut qu'on parte, murmura-t-elle.
– Je sais, dit son frère en se levant.

Ils quittèrent le cimetière comme ils étaient arrivés, en se glissant entre deux épais troncs d'arbre. Esther rejoingnit la domus, alors que Gaius se dirigea vers l'amphithéâtre Flavien.

———————

168 après J.-C.
Domus du chef de la garde impériale, Tarrutenius, Rome.

La Légende de Rome - Tome I   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant