Chapitre 15 : Noir sur blanc

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Domus de la famille Vilibus, Rome.

Gaius approcha précautionneusement de la vaste demeure romaine. Il savait que si les Vilibus le voyaient ici, il était mort. Il n'était pas censé venir voir sa sœur à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Cependant, le crépuscule approchait. Avec un peu de chance, tous les membres de la famille Vilibus dormaient, et ils ne se rendraient pas compte de sa venue.

L'esclave vit la haute haie qui entourait la maison. Rien de plus facile. Il l'escalada sans trop de difficulté, et il se retrouva de l'autre côté. Gaius se précipita dans l'atrium, vide. En fait, en parcourant le rez-de-chaussée, il remarqua que la demeure était vide. Il n'y ava aucune âme qui vive. Mû par une peur soudaine, il s'empressa de monter à l'étage.

Sa sœur, Esther, était assise dans la cour du balcon. Elle semblait lire quelque chose, et Gaius s'approcha d'elle pour lui arracher le morceau de papier des mains.

– Hé ! protesta-t-elle. C'est pas gentil !

Il parcourut la feuille du regard. C'était de l'hébreu. Les lettres formaient des courbes, des lignes et des points de toutes sortes. L'écriture, élégante, s'alignait sur presque toute la surface du papier.

– Esther ! cria-t-il. Tu ne peux te promener avec ça ! Si quelqu'un tombe dessus, on est...
– Mais calme-toi ! C'est juste un bout de parchemin... Et personne ne sait lire notre langue. Personne ne comprendra.
– Les gens ont beau ne pas comprendre, ils peuvent reconnaître l'écriture ou la caligraphie...

Esther soupira et elle secoua la tête.

– De toute façon, même si quelqu'un comprend, cette personne ne pourrait être que juive. Elle ne nous dénoncerait pas.

Gaius ne répliqua pas. Sa sœur lui prit le papier des mains et le déchira en plusieurs petits morceaux, qu'elle jeta au-dessus du balcon.

– Tu es content, maintenant ? demanda Esther. La preuve est supprimée.

Il ne dit rien et s'approcha d'elle. Il lui demanda :

– Tu sais pour...
– La mort de l'impératrice ? Oui.
– Comment l'as-tu appris ?
– Je n'ai pas pu assister au venatione, mais dès que le sénateur Cassius et sa famille sont rentrés, ils se sont tous précipités au palais impérial. L'empereur les avait mandés. J'ai deviné qu'il s'était passé quelque chose.
– Ils sont tous allés le voir ?  demanda Gaius.
– Oui. Tous. La maison est vide.
– Tu sais quand ils vont rentrer ?
– Non. Tu devrais partir, ils peuvent arriver d'un moment à l'autre...

Gaius quitta ensuite la demeure des Vilibus. À l'extérieur, juste devant la porte, il vit les morceaux de papier déchirés sur le sol. Il les prit et se promit de les brûler à un moment ou à un autre. « On n'est jamais trop prudent », songea-t-il. Il se dirigea vers l'amphithéâtre Flavien, tout en réfléchissant à la mort de l'impératrice. Il pensait que c'était un meurtre. Plus précisément un empoisonnement. Il l'avait vue boire quelque chose quelques instants avant sa mort. Le liquide bu contenait probablement du poison. Mais qui avait organisé cet assassinat ? Qui détestait l'impératrice de Rome au point de vouloir sa mort ?

Palais impérial, Rome.

– Des explications, Tarrutenius, et vite, ordonna l'empereur.
– Cela m'a échappé... Je n'étais pas au courant, sinon il est sûr que j'aurais tenté quelque chose...
– C'est donc de votre faute, conclut Commode d'un ton sec.
– Oui, admit le chef de la garde impériale, mais je ne suis pas parmi les principaux responsables. Ce sont les meurtriers.
– Vous enquêterez là-dessus. Je veux le coupable le plus vite possible, pour qu'il reçoit la punition qu'il mérite.

La porte du bureau de l'empereur une fois fermée, Commode fouilla un moment dans ses affaires sur le meuble trônant au centre de la pièce. Il cherchait un rapport quelconque qu'il avait sûrement égaré quelque part. Il souleva l'encrier, ayant aperçu un bout de papier en-dessous, et la vit. La feuille. Toute noire d'encre. Tentant de se rappeler ce qui avait été consigné sur le papier, quelqu'un frappa à la porte du bureau.

– Entrez, dit-il, perdu dans ses pensées.

Il leva le regard et vit, devant lui, le sénateur Cassius. Ce dernier contempla un moment la feuille noire, tachée d'encre, et prit la parole :

– Laissez-moi deviner... C'est la feuille qui parlait du complot, n'est-ce pas ?
– Oui. Quelqu'un est donc entré dans mon bureau sans ma permission, a fouillé dans mes affaires et renversé de l'encre sur le papier.
– L'a-t-il lue avant ou non ?
– Puisque l'encrier avait été replacé, j'aurais tendance à penser que oui...
– Quelqu'un sait, conclut le sénateur Cassius.

L'empereur ne dit rien, réfléchissant un moment. Qui pourrait être entré dans le bureau ? Quelqu'un qui, techniquement, avait ses accès et entrées au palais impérial, mais qui ?

– Personnellement, je ne pense pas qu'il s'agit de Gacius. Peut-être a-t-il ordonné à quelqu'un d'autre de fouiller votre bureau à sa place, pour que cela paraisse moins suspect... Il nous soupçonnait probablement d'en savoir un peu trop.
– Peut-être... Mais qui serait de mèche avec lui, et qui résiderait au palais ? Ce pourrait être n'importe qui.
– Qui, parmi ceux résidant ici, vous a parut plutôt... suspect ? Quelqu'un qui aurait quelque chose à cacher...

Ils auraient beau cogiter sur cela durant des heures, ils ne trouveraient rien, Commode en était certain. « Autant attendre que le coupable ainsi que le sénateur Gacius se trahissent », songea-t-il. Il salua alors le sénateur Cassius, qui quitta ensuite le bureau. L'empereur sortit au bout d'un moment, plongé dans ses réflexions. Il referma la porte derrière lui, et se dirigea vers sa chambre.

Commode vit, debout près du lit, Honorius. Ce dernier sourit et dit:

– Tu ne parais pas très heureux de me voir, mon cher demi-frère. Pourtant, tu viens d'être débarrassé de Crispine... Je croyais que tu te réjouirais de sa mort.
– Mais, en même temps, un complot plane sur moi, j'ignore qui est le meurtrier, et quelqu'un s'est introduit sans ma permission dans mon bureau...
– Oh... Lourd constat... La tâche de règner ne te plaît plus autant qu'auparavant ? poursuivit Honorius d'un ton plein de sarcasme et de cynisme.

Commode ne répliqua pas et alla s'asseoir au bord du lit. Il soupira et dit :

– Le pouvoir vient avec des responsabilités. Je l'ignorais... À mes yeux, le titre d'empereur ne venait qu'avec gloire et puissance...
– Tu t'es lourdement trompé, fit remarquer son frère.
– Je sais.

Le silence plana entre eux durant un moment. Il fut brisé par le claquement aigu du verre et par le bruit d'un liquide versé.

– Du vin ? lui proposa Honorius en tendant un fragile verre plein d'un liquide rouge foncé.
– Il pourrait être empoisonné, blagua Commode en acceptant le verre.
– Ah, ça, c'est le demi-frère que je connais.

Soudain, une idée surgit dans l'esprit de l'empereur. Il prit la parole pour verbaliser sa pensée:

– Elle a été empoisonnée... C'était donc un meurtre prémédité. Et qui déteste Crispine au point de souhaiter sa mort ?
– Lucilla, murmura Honorius. Ça ne pourrait être qu'elle... C'est elle qui aurait ordonné le meurtre de sa mère... Et que l'année suivante, comme par hasard, Crispine passe à deux doigts de mourir... Tout colle. C'est Lucilla, la coupable...
– Notre propre sœur...

Soudain, les interrompant, un bruit sourd de pas se fit entendre. Commode fronça les sourcils, et se leva. Il eut à peine le temps d'apercevoir, au tournant du couloir, Lucius, qui courrait dans la direction opposée. « Il sait », songea l'empereur. Son neveu, s'étant caché, avait écouté toute leur conversation.

– Lucius sait.

*

Pronostics? À votre avis, comment réagira Lucilla en apprenant qu'ils savent qu'elle est la coupable? Et Lucius?

*

La Légende de Rome - Tome I   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant