DESCENTE AUX ENFERS partie 3

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Plus tard dans la soirée





Plusieurs longues heures s'étaient écoulées, le soleil déclinait à présent, laissant place à son fervent lieutenant et projetant les ombres immenses de chaque corps, ensevelis par l'obscurité. Une ombre plus noire que la suie des bâtiments entourant les grosses usines londoniennes se leva. Elle rangea son livre et quitta le Celestial veillant à enjamber le ruisseau tapi dans l'étendue émeraude.

Elle alla par les routes désertes et d'un calme perturbant. Vous voyez, ce genre de calme avant la tempête ? Bientôt elle s'engagea dans les grandes rues bondées et ivres de la vie nocturne de la capitale. Elle fut engloutie par une foule compacte, l'ombre des échafaudages et de la solitude à maintes reprises avant de parvenir à sa destination : un magasin libre-service.

Pearl vivait une vie modeste mais sa famille faisait partie de cette tranche de la population qui n'avait pas été financièrement touchée par la guerre. Elle se servit de quoi cuisiner le dîner avant de payer ses produits et partir.

La jeune fille descendit dans le métro prit d'assaut par les fonctionnaires rentrant chez eux et les chemineaux et rescapés des bombardements rentrant également « chez eux » : les stations et couloirs sordides souterrains.

Elle prit la ligne qui la ramènerait à la geôle et une dizaine de minutes plus tard, la voilà sur le palier de la porte d'entrée. Achats à la main, elle rentra dans la bâtisse morne.

Emile n'était pas encore là. Pearl partit s'affairer dans la cuisine, elle remarqua alors que le froid l'avait transit. Elle éternua plusieurs fois en préparant le repas et ses gestes étaient devenus particulièrement lents.

Voilà qu'elle tombait malade, son corps et son esprit meurtris ne suffisaient donc pas au sort ? Celui-ci s'acharnait depuis toujours sur elle, injustement. On ne voulait pas d'elle à la surface de la terre et elle commençait à croire que le message manquait cruellement de subtilité.

Elle venait d'achever sa tâche lorsque le sinistre claquement de la porte d'entrée retentit. Pearl se figea, son géniteur apparut sur le chambranle quelques instants plus tard, il avait ôté sa grosse veste décousue par endroits et son chapeau pork pie poussiéreux.

-Bonjour chérie lâcha l'homme sur un ton inconvenant en s'installant à table.

-Bonjour. 

Elle avait répliqué, désabusée, avant de servir le dîner. Alors qu'elle prenait place, Emile qui avait déjà engloutit plusieurs bouchées s'étonna

-Tu as une mine horrible.

Ç'avait intérêt à être une plaisanterie.

-Je me demande bien pourquoi...

Sérieusement ?

Elle avait bien envie d'exploser de rire, là, maintenant.








Elipse








Elle ne saurait dire comment et quand exactement la conversation avait dérapée. Elle ne saurait même pas dire pourquoi elle l'avait mis de nouveau en colère mais nous y voilà une fois de plus.

Un grand coup s'abattit dans son sternum, il avait visé précisément à cet endroit de sorte à ce que ses côtes s'émiettent toujours un peu plus et que la douleur dans son estomac se fasse plus intense.

Un autre coup vint et elle fut violemment projetée sur le côté. Le sang lui remonta dans la bouche, il afflua abondamment sur le tapis miteux dû au pied de son géniteur qui s'abattit dans son dos entre temps.

Les heures s'écoulaient à une vitesse monstrueusement lente, Pearl croulait sous les coups. Parfois, elle avait un court temps de répit durant lequel il fulminait des calomnies. Elle ne contestait pas, trop occupée à reprendre son souffle.

Bientôt, elle perdit la notion du temps. Nonchalante, le regard perdu, elle avait cessé depuis longtemps les supplications qu'elle avait toujours sues vaines. La jeune fille prit un point de l'horizon qu'elle fixa obstinément en attendant sagement la fin. Elle tentait de se concentrer sur cette passerelle qui la rattachait encore avec la réalité.

Elle se sentait partir, tout se brouillait, le point devenait peu à peu indistinct. Elle plaignit son enveloppe charnelle qu'elle sentait être ballottée de droite à gauche. Cette dernière devait être parsemée de bleues et de brèches ensanglantées. Son esprit quant à lui était vide, ses pensées flottaient, sans sembler vouloir se diriger sur un sujet en particulier.

Combien de temps s'était-il passé depuis ce dérapage ? Combien de temps restait-il ? Cesserait–il avant la fin ?

Mais tout revenait, doucement. L'entrée et la cage d'escalier réapparurent, flous puis nets, parsemés de vermeil.

Emile était partit depuis longtemps, il faisait jour.

Elle n'avait pas senti les coups s'arrêter. Son esprit était comme partit dans un voyage dans l'au-delà puis en était revenu. Elle n'avait pas dormi, elle n'avait pas sombré dans l'inconscience : elle avait frôlé le terme.

On voyait le soleil déjà bien haut dans le ciel à travers une petite fenêtre aux vitres maculées. Pearl s'appuya sur ses coudes rougis et par miracle, malgré sa jambe droite qui ne répondait pas, ses membres traversés par une fulgurante douleur dès qu'elle avait posé pieds à terre, tous ses organes déchirés, chaque os en miette, elle parvint à se hisser debout grâce aux barreaux de l'escalier.

Pearl marqua une pause. Elle réprima quelques sanglots, essaya de porter sa main à sa bouche pour étouffer ses pleurs mais se rendit compte qu'elle devait réserver ses forces pour nettoyer tout ce sang.

La jeune fille s'attela alors à cette tâche, elle crut bien s'écrouler à maintes reprises.

Une fois fini, Pearl eu le temps d'attraper la barrière de l'escalier avant de capituler sur la première marche. Elle osa un gémissement. Elle aurait voulu abandonner son corps derrière elle et pouvoir juste se reposer. Tout n'était que douleur insoutenable.

Aller à l'étage se révéla comme une véritable épreuve. Une fois sur le palier, Pearl rampa jusqu'à son lit. Elle put grimper sur celui-ci après avoir épuisé ses ultimes forces.

Elle se passa une main sur le visage et pu sentir ses lèvres tuméfiées, quelques bosses et une matière chaude et coagulée.

Pearl eu le temps de soupirer avant de sombrer.





Enveloppée par la brume, incertaine, timide.
On entend des murmures, fond d'une conversation mondaine.

La brume, l'eau devient feu.
Tout est chaos, à feu et à sang autour d'elle.
La damnée se retourne, observée de toutes parts par les ombres. Elles se sont tues.
Tout brûle, les limbes s'éloignent.
Où qu'elle pose son regard, le feu a pris possession.
Elle entend des notes, tonitruantes.
C'est sa composition.
L'instrument apparaît, juste devant ses yeux épouvantés.
Incendié, il n'est plus les débris, mais il brûle.
Étrangement intouchable, il ne se consume pas encore.
-non...
La silhouette frêle, le visage mutilé, le corps meurtri est figée. Elle sanglote.
-non... non...
Le clavier scintille. Soudain des partitions s'envolent, en masse. Elles virevoltent, avant d'être englouties par les flammes.
Il fait une chaleur insupportable en enfer.
Dans un dernier élan d'espoir d'arrêter ce supplice, la damnée vocifère.
-NON!
Puis, plus rien.

Mélodie damnant |T.E. Jedusor|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant