Le lendemain, avant l'aube, alors que la lune déclinait à peine de son zénith dans un ciel teinté indigo, Pearl et Eliot se rejoignaient dans la chambre du cadet. Ayant veillé toute la nuit, ils imitèrent, lassés de l'insomnie solitaire, l'astre qui, suivi de son escorte d'étoiles, allait se réfugier à l'ouest, en allant de leur côté se réfugier sous les draps d'Eliot en quête d'un peu de chaleur.
La radio qu'ils avaient allumée braillait depuis le bureau dans l'angle du mur en retrait, grésillant inlassablement comme un feu de cheminée l'aurait fait dans un âtre que cette demeure ne possédait pas, -pour ne pas changer de l'atmosphère froide et moribonde- ; et à chaque fois qu'une intonation proéminente était prise par la voix du locuteur, de légères secousses étaient infligées à la table branlante.
Les habituels animateurs avaient laissé place à un auteur éminent de contes pour enfants qui, de sa voix grave et rauque, contait l'une de ses histoires au ton festif les plus populaires chez le jeune public. C'était un peu enfantin, mais l'initiative de Pearl contribuait à instaurer une ambiance de fêtes dans cette pièce d'habitude morne et insipide, hostile aux élans d'allégresse.
Malgré cet effort notable, les événements insolites des derniers jours espacés de périodes léthargiques mélancoliques et d'un burn out avaient fini de faire plonger Pearl dans un éther impalpable, immuable, et l'ôtant provisoirement de l'emprise de ses émotions et accessoirement du monde réel.
Placide, d'un air absent, elle déclara à l'intention de son jeune frère après une courte réflexion
-Je vais rapporter de quoi grignoter, tu dois avoir faim.
-Fais vite, répondit Eliot d'une voix atone, le regard perdu dans l'abîme qui semblait le séparer du monde réel.
Se projetait-il dans l'histoire, usant ainsi de celle-ci comme d'une échappatoire ? Ou bien méditait-il sur sa vie ? Impossible de déceler l'objet convoitant ses pensées dans ce regard éteint. Cependant, connaissant son frère, la jeune fille savait qu'il se préoccupait actuellement de simples banalités, flottant indolemment dans son esprit et requérant toute l'attention de leur hôte.
Pearl enjamba Eliot et s'élança à terre, bravant ainsi le bordel siégeant sur le sol de la chambre, avant de se risquer dans un couloir partiellement illuminé grâce aux rayons lumineux lactescents que vomissaient les fenêtres aux rideaux amassés sur les bords des cadres.
Claudiquant, se tenant à la balustrade en pente, elle ramena sa carcasse altérée à l'étage d'en bas. L'excursion de la veille l'avait grandement épuisée, faisant resurgir la douleur aux côtes et émanant des ecchymoses qui maintenant s'abattait impitoyablement sur sa personne : heureusement que l'éther la tenant à l'écart de la réalité était là.
Elle descendit donc, passa par le salon en découvrant sans surprise l'absence d'étrennes qui auraient dû gonfler leur joie provoquée par la déclaration de la veille, cette dernière également portée disparue. Maintenant que la victoire des alliés et la fin des horreurs étaient assurées, elle aurait dû être requinquée, optimiste, apte à considérer l'avenir avec un regard nouveau et frais, mais il n'en était rien. Le choc ne s'était pas encore mu en bonheur incontestable, son contexte de vie le lui interdisant.
Son regard s'attarda soudain, un peu par hasard, sur une alcôve discrète qu'Emile n'avait pas pris la peine de tapisser de coussins comme à Poudlard. Elle détailla la fenêtre au centre de l'espace aménagé qui donnait sur le quartier fantôme orné d'un linceul de neige immaculée.
C'est alors que dans sa contemplation stoïque, elle fut tirée d'un coup sec et imprévisible de son éther, et son présent de Noël fut d'être balancée sans ménage au pied de la table ronde et de ressentir de façon décuplée chaque sensation fulgurante de cette brève action. D'abord, la surprise agréable d'être enfin revenue à elle, mortifiante d'être empoignée comme une vulgaire poupée de chiffon, puis l'inévitable réalisation, l'horreur absolu et enfin, la douleur épouvantable alors qu'un craquement sinistre retentissait quelque part dans son corps.
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Mélodie damnant |T.E. Jedusor|
FanficDans une pièce sordide A l'abri des regards Ivre de partitions Elle lui montre ce que l'Homme a cru voir /Cette fiction contient de la violence, un langage parfois cru et autres joyeusetés. Ne la lisez pas si vous êtes jeune ou sensible !/