Chapitre 40

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Cinq jours s'étaient écoulés depuis la découverte de l'article par Pearl. Les jours grisants entre Noël et la nouvelle année passaient à toute vitesse, ils étaient d'autant plus exquis que l'envahissement récent de l'Allemagne était une source intarissable d'espoir pour la population, espoir que cette guerre prenne enfin fin.

Cependant, l'ambiance n'était pas la même à l'Orphelinat Wool. Certes, tout le monde souhaitait un retour triomphant de la paix, c'était indéniable, mais quand le futur s'inscrit dans des conditions misérables et que les possibilités d'avenir restent toutes lugubres pour ces orphelins, on ne fait pas grand cas d'un retour à la normale, qui pour eux se traduit par absolument aucun changement.

On éprouve plus ou moins d'enthousiasme suivant sa situation.

Pearl, quant à elle, n'avait pas cherché à socialiser avec ces jeunes gens, eux non plus. Les regards insistants aux détours des couloirs s'étaient fait de plus en plus rares, et puis on avait fini par ne plus leur prêter attention.

La jeune fille n'avait abordé personne, personne sauf Martha qui s'était avérée être fort aimable derrière son masque austère, et Cassidy, la jeune fille de son âge au visage angélique et qui avait passé deux bonnes minutes à détailler le visage d'Eliot l'autre jour.

L'orpheline, aussi nihiliste qu'elle, s'était éprise du sarcasme de Pearl ; lorsqu'elles étaient ensembles, les réflexions amères fusaient comme des balles sur un champ de bataille, à défaut de blesser, elles s'en amusaient avec mélancolie.

Pearl s'était également vue être un peu rassurée par rapport à l'affaire, lorsqu'elle eut pris un peu de recul après sa lecture de l'article.

Elle réalisa que son plan avait fonctionné à merveille.

En effet, auprès de la police et de la presse, ce meurtre s'était transformé en kidnapping de toute la fratrie. Aucune accusation n'était portée sur Pearl, d'ailleurs, personne ne pouvait l'associer à cette affaire, car c'est Pearl Jones qui avait été kidnappée.

Sauf que Pearl Jones avait cessé d'exister il y a un an, dans le bureau de Dippet. C'est donc une ombre qui avait disparue, une ombre qui allait être plainte, pleurée, car Pearl Sharon Miss, elle, était bel et bien libre et en vie.

C'était le cas au sens littéral, mais, même si son corps était bien là, flanchant de temps à autre, vidé de toute énergie, mais bien présent, pour ce qui était de son esprit, on ne pouvait pas en dire autant.

Sa léthargie semblait l'avoir emportée en retrait de la réalité. Pearl était perdue entre des phases où le vide se faisait prépondérant, lourd et assourdissant dans son esprit, et des phases de panique soudaine, qui se révélait incongrue dans l'instant présent.
Elle était souvent saisie de terreur en repensant à Emile, à Amy.

C'était pendant l'une de ces phases là que Pearl avait attrapé spontanément un ciseau rouillé et dégarni sa tête de toutes ses mèches de cheveux, en prenant soin de n'en omettre aucune. Elle avait vu James le jour même, une illusion, qui s'était présentée à elle, lui brisant un peu plus le cœur.

Elle s'était donc postée devant un miroir, et pendant qu'elle coupait chaque longue mèche ébène à la racine, elle se dévisageait, le regard dénué d'expression et la tête trop pleine de pensées.

Et puis Eliot faisait d'effroyables cauchemars ces derniers temps. Il ne dormait plus la nuit, il disait qu'Emile le retrouvait dans ses rêves pour le courser à travers leur vieille maison, un couteau enduit de sang dans chaque main.

Il disait que celui-ci cherchait à lui faire du mal, pour ensuite s'attaquer à la jeune fille qu'il surnommait « l'autre garce satanique ».

Eliot n'avait jamais bronché, jamais douté de Pearl, il l'avait suivie, soutenu dans toutes les épreuves qu'ils avaient traversées jusqu'ici.
Il n'avait dit mot que pour rassurer Pearl, même quand elle s'apprêtait à faire des choses que la morale réprime.

Mélodie damnant |T.E. Jedusor|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant