Chapitre 1

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"Je te promets"

"Je te promets"

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Point De Vue : Yerin 


« Jungkook, cours plus vite ! » Sa main glissait dans la mienne.

Je tenais fermement ses petits doigts moites en le tirant derrière moi. Nos jambes courraient toute seules tandis que la pluie battante fouettait nos visages pâles et cernés par l'épuisement. Nos muscles endoloris tremblaient malgré nous sous la tension. Mais nous ne nous arrêtions pas pour autant.

« Noona, j'ai mal... » me dit il essoufflé. 

Merde !

L'homme était encore derrière nous, vociférant des insultes et des menaces à plein poumons en brandissant une mauvaise bouteille d'alcool brisée. Il était ivre mort et titubait dangereusement, cependant l'ivresse accentuait sa haine et l'obstinait à nous poursuivre dans la nuit. Je me demandais sérieusement comment il était possible qu'il puisse courir dans un tel état.

« Ici ! » Je m'exclamais en pressant un peu plus fort la main que je guidais. On s'enfonça dans une ruelle sombre après avoir maladroitement vacillé à une intersection. L'averse s'affairait encore à geler nos os malgré l'étroitesse du passage.

« On va le semer ».

Nous avions couru comme ça quelques centaines de mètres après avoir cessé d'entendre les cris et les pas angoissants de notre poursuivant. Finalement, notre course s'était achevée lorsque les plaintes de mon frère furent trop insistantes pour être ignorées. Au-dessus de nos têtes, je sentais l'orage arriver et si je ne voulais pas qu'on ne le prenne de plein fouet il était impératif qu'on s'arrête.

L'ivrogne ne nous suivait plus depuis un moment mais je voulais être certaine de ne pas retomber sur lui. Inquiète, j'avais insisté pour que nous marchions un peu plus, jusqu'à nous perdre profondément dans les ruelles poisseuses de Séoul ce soir là.

« Assieds-toi là ». On tomba tous deux sur le sol humide et sale, trempés jusqu'à la moelle, le souffle court. Adossés à un mur entre deux conteneurs à ordures, le sang pulsait fort dans nos veines et semblait refuser de s'apaiser, envoyant encore des vagues d'adrénaline dans nos corps éreintés. Une odeur forte d'urine et de pourriture nous saisit les narines, ce qui m'évoqua ironiquement notre situation.

« A-ah... » Jungkook se tenait l'épaule. Quel imbécile ce gosse. Je sortis un vieux pull troué de mon sac et l'obligeait à coller son bras contre son torse.

« Ce que tu peux être con ! » je le grondais sans même le regarder de peur d'être attendrie pas sa petite moue inquiète. Il fallait que je sois ferme avec lui. Du moins tant que nous n'étions pas en sécurité. 

Et pour le moment, c'était loin d'être le cas.

Mes nerfs étaient sous tension, exactement comme l'atmosphère, l'électricité planait dans l'air. Nous ne pouvions pas nous permettre de baisser réellement notre garde, pas encore, pas dans la rue au beau milieu d'une ville qui nous était parfaitement inconnue. Cependant, je ne voulais pas qu'il fasse une crise de panique.

« -Calmes toi, je lui intimais alors qu'il se crispait quand je serais le nœud sur son bras.

-Noona, il aurait pu te blesser encore plus... Je n'allais pas le laisser faire » me dit-il en levant des yeux désolés sur moi. Parfois, même avec sa taille, il avait vraiment l'air d'un enfant pris en faute.

-Quand est-ce que tu vas comprendre que tu n'as pas à me défendre ? Je lui répondis la voix pleine de reproches.

-Pardon Noona... » Il baissa les yeux, vaincu.

Bon. J'admets que si Jungkook n'avait pas été là, l'ivrogne m'aurait probablement entaillé le visage avec son arme de fortune. Si j'avais eu le choix, j'aurais essayé de piquer de la nourriture dans un pauvre tabac de nuit gardée par une gamine bien naïve. Mais dans ce quartier un peu éloigné du centre, il n'y avait que cette supérette indépendante avec ce poivrot à l'intérieur.

Non seulement il nous avait pris la main dans le sac, mais en plus il nous avait blessé. Aveuglé par l'alcool il n'avait pas voulu joindre la police et avait préféré directement régler ça par ses propres moyens, probablement pour se défouler. J'aurais pu facilement le maîtriser mais j'étais tellement épuisée qu'en à peine vingt secondes il m'avait entaillé la cuisse avec le verre. 

En soit peu importait. Ma blessure me paraissait minime et j'avais pu prendre de quoi nourrir Jungkook, c'était tout ce qui comptait. Bien que je saignais considérablement, j'était trop préoccupée par les besoins de mon petit frère, ça ne me faisait ni chaud ni froid.

« On va faire quoi maintenant ? Me demanda-t-il en grignotant doucement son sandwich.

-Toi tu dors, on verra demain ».

C'était notre troisième nuit passée dans la rue. Je me détestais de lui faire subir ça.

Il me tendit prudemment le sandwich pour que j'en prenne un morceau, mais je le repoussais d'un signe de main évasif. Il n'y fit pas attention et recommença simplement à manger, habitué à ce que je lui laisse ma part. Trois jours et un demi-sandwich dans l'estomac, avant-hier. Si les crampes m'avaient fait grimacer au départ, aujourd'hui je ne sentais même plus la faim. Mieux, je m'en moquais, tant que le ventre de mon petit frère ne le faisait pas souffrir.

« Il faut que tu manges, me dit-il en connaissant déjà ma réponse.

- Ne t'inquiète pas pour moi ».

Il se blottit un peu plus contre mon bras que je fis passer prudemment au-dessus de ses épaules, il grelottait. Je sentis la tension dans l'air se décupler et je vis qu'il était en train de fixer ma blessure à la cuisse qui avait taché mon jean noir d'une épaisse trace de sang. Effectivement c'était assez laid.

« Qu'est-ce que je viens de dire ? » je lui soufflais, en passant une main protectrice dans ses cheveux. La bruine tombait encore doucement, mais la charge dans l'air semblait retomber calmement.

« T'as les mains froide » dit-il en ricanant. Je lui mis une petite tape sur le front pour toute réponse, ce qui eut le don de le faire rire. Il adorait me taquiner, et je le trouvais extrêmement courageux de supporter tout ça en continuant à sourire.

Mon petit Jungkook. Il était tout ce que j'avais au monde.

« Noona ?

- Oui ?

- Tu veux bien faire des étoiles... ? Me demanda-t-il les yeux brillants.

- Je suis trop fatiguée Kookie. Demain, promis ».

Il me fit un sourire et hocha la tête. Ma main massait délicatement son crâne, passant dans ses mèches brunes et humides. Il s'endormi contre mon cœur au bout de quelques minutes bercées par les bruits lointains d'une avenue passante. Il était épuisé.

L'orage était définitivement passé, mais il faisait encore froid. Le début de l'automne avait accompagné notre fuite, agrémentant notre angoisse d'averses, de vent et de nuits bien trop fraîches pour les passer dehors.

Le sang ne coulait plus de ma plaie, mais l'ambiance poisseuse de la rue persistait. J'avais peur qu'elle finisse par s'immiscer définitivement dans nos veines.

« Je te promet qu'on va s'en sortir, Jungkook ».

Je soufflais ces mots dans la nuit, sombre. Autant pour lui que pour moi-même.


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