Episode 44

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Le temps est toujours figé lorsque nous pénétrons dans la voiture d'Abel, j'ai de nouveau mal au ventre, mais je tente néanmoins de respirer lentement. Il démarre comme à son habitude et nous roulons sans nous arrêter. À la sortie de Paris, Michael défige le temps d'un geste et nous entamons une course folle vers l'océan. Je sais qu'Abel est inquiet quand il vient poser sa main sur mon genou, au même instant, mon ventre se détend et mon sang se met à bouillir dans mes veines. Je suis comme happée par cette douce chaleur, envahie de l'intérieur par une paix toute retrouvée. Michael ne dit rien, et ne parait pas déstabilisé par les slaloms incessants de la voiture. Je ne me rends absolument pas compte de la vitesse délirante à laquelle il roule, mais quelques heures seulement, nous arrivons sur une petite route côtière, qui devient bien vite un chemin de terre. La vue est prodigieuse, je ne connais pas cet endroit, je ne sais pas où ils nous amènent. Ce n'est que lorsqu'on s'arrête devant un immense portail, que je vois l'incroyable villa située sur une falaise en aplomb de la mer. Je sors d'une faible voix.

- Où nous as-tu emmenés ?

- Chez moi.

Il avance dans l'allée et gare la voiture devant la porte. C'est une maison toute en pierre, je suis impressionnée de sa taille et du jardin. Mais la vue reste fascinante, je n'ai jamais pu penser qu'il puisse avoir une telle propriété. Michael quant à lui, sort et se dirige vers l'entrée comme s'il était chez lui. Abel m'aide à descendre et je sens sur ma peau le doux souffle marin.

- Viens, tu dois te reposer.

Je marque un temps d'arrêt, je le dévisage en affichant un faible sourire, mélange de considération, de remerciements et de culpabilité. Alors il me caresse la joue tout en comprenant ma douloureuse situation et la peine que je peux ressentir. Au contact de sa peau, mon corps vibre, crépite comme s'il était dans les flammes. Nous sommes restés un moment comme ça, à ne rien faire de plus que de s'enlacer, on dirait que les choses sont scellées entre nous. La lune éclaire nos deux visages presque comme en plein jour, et fait scintiller les calmes flots. Puis il me prend la main pour me conduire à l'intérieur de la maison. Nous montons à l'étage et pousse au fond du couloir une sublime chambre de maître avec vue sur mer. Il y a un lit double et une magnifique salle de bain privative, elle est toute en marbre noir et ornée d'or. Je me retourne vers lui, mais il a déjà la main sur la poignée de la porte, il est prêt à partir.

- Où vas-tu ?

Il me sourit.

- Repose-toi, mais si tu as besoin de moi, appelle-moi.

Puis il referme derrière lui. Je reste entre deux mondes, j'ai l'impression de perdre le contrôle de ma vie, si tenté que j'ai pu l'avoir un jour... Je me tourne vers la fenêtre et observe un moment la mer et les ressacs, puis je finis par me mettre au lit et sombrer dans des rêves noirs et angoissants...

Le soleil est haut, je viens de me réveiller sans trop savoir si ce que j'ai vécu hier était réel ou pas. Rapidement, je me rends compte que non, je n'ai pas rêvé et mes yeux se chargent largement de me le rappeler. Je sanglote doucement au souvenir de ce que m'a dit Ezéchiel, je suis totalement perdue quand la porte de la chambre s'ouvre d'un coup et qu'Abel se précipite sur moi, il est affolé.

- Tu as mal ?

Je fais non de la tête.

- Tu as peur ?

Je tente de sortir un pénible « oui », mais il se doute qu'il n'y a pas que ça. Il respire avec force et essaye de garder un ton juste et franc.

- Urielle, si tu savais combien je suis désolé. J'ai parlé à Michael, Mathusalem avait le choix, il a toujours eu le choix, mais Lucifer a toujours su aussi qu'il avait des chances de le relier à sa cause depuis le début. Il a tout fait pour ça et quand il est revenu il n'était déjà plus le même...

Je ne peux sortir aucun son, je suis terrassée par la douleur et la peine.

- Ce qui me rend hors de moi, c'est la manière dont ils se sont tous servis de toi, mon merveilleux, mon tendre amour... tu mérites la paix et le bonheur. Je donnerai ma vie pour que tu oublies tout, que tu sois préservée éternellement dans la lumière.

Je me redresse et cherche ses bras, il m'enveloppe. Encore une fois, ce contact associe nos énergies et une chaleur traverse mon corps, je me sens si bien contre lui. C'est aussi à cet instant que le bébé se met à bouger, je décide quelques secondes plus tard de dire :

- Abel, je dois parler à Michael de quelque chose.

- Parfait, on t'attend en bas. Descends quand tu veux.

Puis il se lève et referme la porte derrière lui.

Lorsque j'arrive dans le salon de la demeure, Michael est devant la fenêtre puis se retourne face à moi. Il a quelque chose d'étonnant, sa nature angélique est presque éclatante.

- Urielle, bien le bonjour.

Il s'avance vers moi et me tend une chaise pour que je puisse m'assoir. Abel est debout et entreprend de faire du café.

- Souhaites-tu me parler ?

- Oui, Michael.

- Je t'écoute.

- Pourquoi as-tu confié ton épée à Mathusalem ?

- Je voudrais bien te répondre, mais je n'en ai aucune idée...

- Comment ça ?

- On m'a ordonné de le faire, je devais lui donner un temps, puis la récupérer après.

- Tu as parlé d'Emmanuel, tu parlais bien entendu de notre fils ?

- Oui.

- Qui est-il ?

Il se met à sourire, je sens que la question est d'une importance capitale, puis il se tourne vers son frère.

- C'est celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer...

Alors Késabel lâche le bol qu'il avait entre ses mains, il tombe et éclate en morceau. Il est complètement stupéfait, il prend la parole en pesant chaque mot.

- Michael, tu peux répéter...

- Non, tu as très bien entendu mon frère.

- C'est impossible !

Je ne comprends rien, je secoue la tête.

- Pouvez-vous m'expliquer ?

Michael continue en me parlant avec lenteur.

- Vous vous êtes rencontré, n'est-ce pas ? Il t'a dit ce qu'il faudra faire...

Mais Abel commence à s'énerver.

- Tu ne peux pas lui demander ça ! Vous ne pouvez pas !

- Il le faut et tu le sais.

- Alors tout était écrit, Lucifer était donc au courant depuis le début !

- C'est exact.

- Tu sais ce dont j'ai envie, là, maintenant ?

- Non, mais j'imagine que tu ne vas pas te gêner pour me le dire...

- J'ai envie de te casser la tronche et de m'enfuir avec elle et le bébé !

- C'est compréhensible, mais impossible. Tu connais la suite, on a besoin de toi ! Bon, il va falloir préparer sa venue, l'accouchement est pour bientôt.

Je n'ai pas eu le quart des informations que je voulais et Abel affiche un rictus de colère, la mâchoire serrée, quand il plonge ses iris noirs dans les miens. Une grande lassitude m'emporte d'un coup, je suis fatiguée et commence à fermer les yeux doucement. Puis je sens qu'on me porte tout en entendant au creux de mon oreille.

- Ma vie, mon cœur, mon amour dort et repose-toi inconditionnellement sur moi, plus personne ne te fera de mal.

MB MORGANE - Ezéchiel - Tome 3 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant