Episode 40

63 15 1
                                    

Nous sommes enlacés depuis de nombreuses minutes, et Clara a clairement disparu pour nous laisser seuls. Il ne cesse de caresser mes cheveux, puis il rompt le silence quand le soleil nous éclaire à travers les nuages et la végétation.

- Cela fait si longtemps que je ne t'ai pas vu. C'est miraculeux...

- Abel, tu m'as manqué.

- Et toi tellement, si tu savais.

Il se recule tout en me gardant les mains dans les siennes.

- Tu es une bien belle maman.

Son sourire est merveilleux, presque compréhensif quand il pose sa paume sur mon ventre. J'en suis presque gênée.

- Je suis rassurée que tu sois là.

Il fronce les sourcils, je ne pensais pas déjà lui parler de mes doutes, mais visiblement j'en ai trop dit.

- Je t'écoute.

- Ce ne sont que des intuitions, mais depuis que je suis enceinte j'ai terriblement peur. Je ne l'explique pas. Pourtant Ezéchiel est parfait...

Il me coupe la parole.

- ... oui « parfait ». Une vraie divinité en effet ! Très, très persuasif à ce que je vois...

J'ouvre la bouche, mais je le laisse continuer.

- Si tu pouvais m'éviter les détails et passer à l'essentiel, ce serait sympa !

- Je suis désolée.

Je baisse la tête, mais il pose un doigt sous mon menton pour le relever en me souriant tendrement.

- Non, c'est moi qui suis désolé. Je ne devrais pas penser à voix haute.

Alors je le contemple, il est si doux et prévenant que j'en oublierais presque mes questionnements quand je plonge dans ces pupilles sombres. Le vent se lève comme un drôle de présage, l'orage gronde au loin et je commence à avoir froid.

- Viens. Nous devons partir. Il n'y a plus rien à faire ici de toute façon.

Nous progressons à la lisière du petit bois et nous retrouvons Clara qui est assise à la place du conducteur. Elle nous fait signe de rentrer et elle démarre presque aussitôt. Nous n'échangeons aucun mot durant tout le voyage, mais bien vite une question demeure, où Abel va-t-il habiter ? C'est Clara qui propose de l'emmener chez elle, je me charge donc d'en parler à Ezéchiel... ou pas... je suis quand même responsable de tout cela et je ne sais pas comment je vais pouvoir aborder le sujet. Nous décidons de laisser Abel avant pour ne pas éveiller les soupçons de mon mari. Lorsque je tourne la clé dans ma porte, je ne peux m'empêcher de craindre le pire. J'entre doucement et je ne vois pas tout de suite Ezéchiel qui est de dos. Il est assis sur le canapé, une jambe ballante sur l'accoudoir et un verre de whisky en main. Je m'approche à pas de loup et passe sur le côté quand d'un coup il se retourne vers moi. Ses yeux n'ont jamais été si enflammés. Je recule en ouvrant la bouche de stupéfaction, mais il ne bouge pas. Son visage est émacié par la rage, il est cerné, on dirait que de minuscules crevasses se dessinent, elles démarrent de sa paupière inférieure et finissent au milieu de ses joues... Comment a-t-il pu être au courant si vite ? C'est impossible ! Puis, il serre son verre qui se brise sous la pression de ses doigts dans un clac qui me fait sursauter. Il se lève comme un léopard et s'avance vers moi puis stoppe avant d'annoncer d'une voix d'outre-tombe.

- Mon plus grand amour, ma vie, mon tout, mon équilibre, mon opium, la mère adorée de mon fils adoré, celle que j'aime à en mourir, celle pour qui je suis prêt à tuer... a-t-elle quelque chose à m'avouer ?

Je suis en état de choc. Alors, ses marques se creusent encore plus, on dirait de profondes entailles...

- Je.

- Parle !

Je reste paralysée devant lui, j'ai si peur. Il s'avance et entreprend de me renifler le cou lentement, comme un animal, puis il chuchote, son visage en suspension.

- Tu sens son odeur ! Ne mens pas.

J'écarquille les yeux, il va falloir que je dise quelque chose, n'importe quoi, mais je dois agir vite.

- Je n'ai rien fait.

Il fait un pas en arrière tout en me saisissant la gorge, et le geste m'immobilise net.

- Bien sûr que tu as fait quelque chose... une chose que je t'avais interdit de faire !

Il commence à serrer un petit peu ses doigts.

- Qu'est-ce que je t'avais dit à l'époque ?

- Que tu allais être sur mon passage si je le faisais.

- Et je le suis, n'est-ce pas ?

Il enfouit ses iris de braise dans les miens et finit par me lâcher. Il prend de la distance et continue d'une voix plus angoissante et satanique que jamais.

- Késabel est donc revenu. Tu l'as fait remonter des enfers... Comment as-tu pu ouvrir la porte ?

Je respire enfin et décide de parler le plus calmement possible.

- C'est grâce à toi.

Il se retourne d'un coup, il ne comprend pas, mais une étrange lueur l'illumine.

- Explique.

- Notre fils est la clé. Tu es à moitié archange et il y a aussi le sang d'Abel qui le nourrit sans compter mon corps hybride.

Il cille sans rien dire, il vient de saisir quelque chose qu'il n'avait pas pu imaginer auparavant. Une autre clé, une évidence, nos trois natures ont fait un enfant aux nombreuses capacités méconnues. Alors, il se plante devant moi, fixe mon visage, ses marques s'estompent peu à peu. Puis il se met à parler, mais étrangement, il ne s'adresse pas à moi.

- Tu m'avais bien caché ça ! Hein ?

Le temps de comprendre qu'il y a quelqu'un derrière nous, je commence à me retourner lentement. Et je manque de défaillir en voyant ce visage d'archange qui me contemple de toute sa hauteur. Il est tel que dans mes souvenirs, un sourire aux lèvres, démoniaque et divinement séducteur.

- Père !

MB MORGANE - Ezéchiel - Tome 3 [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant