CHAPITRE SOIXANTE-SEPT

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 Blottie dans le sweat que Cam m'a donné, je regarde la pluie s'abattre sur le campus depuis ma fenêtre quand mon téléphone sonne. Je m'arrache au spectacle de l'orage qui gronde au dehors et attrape l'appareil sur ma table de nuit. Mon cœur se réchauffe brusquement lorsque je découvre le nom qui s'affiche sur l'écran. Je décroche.
-Tu ne m'as pas appelé hier, déclare directement Charlie. On était jeudi. Tu appelles toujours le jeudi.
Mon sourire s'évanouit pour se transformer en un grognement. Je pousse un juron dans ma barbe.
-Dé...désolé, bégaye-je en cherchant précipitamment les bons mots. Je suis super occupée en ce moment, Charlie.
Un court silence me répond d'abord.
-Qu'est-ce qu'il se passe? rétorque-t-il.
-Quoi? Comment ça?
-Qu'est-ce qui ne va pas, Em?
-Rien du tout, mens-je. Pourquoi est-ce que tu dis ça?
Je feins l'ignorance en poussant un ricanement peu convaincant. Je ne me crois pas moi-même.
-Parce que même si tu étais vraiment occupée, tu m'aurais quand même envoyé un message pour me prévenir et me demander si tout allait bien. Sauf que tu ne l'as pas fait. Il doit donc y avoir quelque qui te tracasse pour que tu aies oublié. Et j'ai l'impression que ce quelque chose doit être assez important pour toi qui n'oublie jamais rien.
Parfois, j'oublie que mon frère est tout aussi intelligent que moi et qu'il est loin d'être naïf. C'est moi qui le suis d'avoir cru que je pourrais le berner. Seulement, ce n'est pas chose facile que de lui avouer la vérité. Cette dernière n'est pas belle à entendre et encore moins à dire.
-Ce n'est pas si grave que ça, tente-je de le convaincre.
-Tu mens toujours aussi mal que quand on était petit et que tu disais à papa que ce n'était pas toi qui avait mangé la dernière part de gâteau au chocolat alors que tu avais encore ces traces marrons tout autour de la bouche.
Ce souvenir heureux de notre enfance me vole un sourire rêveur. Tout était si facile à cette époque. Je ne me prenais pas autant la tête, c'est certain. J'étais aussi bien plus libre et insouciante qu'aujourd'hui. Cependant, la vie continue et on a pas le choix que de grandir.
-C'est si catastrophique que ça? marmonne-je alors en riant.
-Tu n'as pas idée. Bon, allez, dis-moi ce qui cloche.
Je pousse le soupir que je retenais pour ne pas l'inquiéter et ferme les yeux le temps d'une seconde.
-C'est...c'est idiot, articule-je ensuite. Je ne devrais pas me mettre dans un tel état pour ça. Il y a bien plus grave dans la vie.
-Et si tu commençais d'abord pour me dire de quoi il s'agit?
-Je me sens nulle de t'embêter avec ça.
-Je suis ton frère, semble-t-il me rappeler. Tu peux m'embêter avec ce que tu veux, Em.
Décidément, il a réponse à tout. Je n'échapperais pas à l'interrogatoire.
-Bon, d'accord, abdique-je.
-Crache le morceau.
-C'est terminé avec Cam.
-Ton petit-copain? rétorque-t-il.
-Ouais. Enfin...ex petit-copain maintenant.
J'ai du mal à trahir mon désarroi. Pourtant, je ne veux pas l'inquiéter. C'est même la dernière chose que je souhaite. C'est mon problème. Il n'a pas besoin de se mêler de ça. Ça ne regarde que moi, après tout.
-Que s'est-il passé? me demande mon frère d'une voix qu'il tente de rendre compatissante.
-Un truc idiot, stupide. Tu n'as pas besoin de savoir.
En réalité, je n'ai aucune envie de raconter à mon petit frère les détails sordides de ma rupture. Je refuse qu'il sache la brutalité avec laquelle Cam m'a quitté. Je ne veux pas non plus qu'il sache toute cette histoire avec Holden. Nos amis ont déjà subi assez au cause de nous. Il est hors de question que cela concerne également mon frère.
-D'accord, dit-il. Et quand est-ce arrivé?
-Il y a un mois environ.
-Un mois? s'exclame-t-il. Pourquoi est-ce que tu ne m'as rien dit?
Je grimace même s'il ne peut pas me voir à l'autre bout du fil.
-Je me sentais assez mal comme ça. Je n'avais pas vraiment envie d'en parler à qui que ce soit. J'essaie d'oublier plutôt que de ressasser le passé. Ça fait trop mal.
-Je comprends.
En réalité, je sais que c'est faux. Il ne comprend pas du tout ce que je peux ressentir. Il est même très loin du compte. Mais j'apprécie le fait qu'il tente de me consoler comme un frère est sensé le faire. Il compatit à ma douleur et c'est suffisant. Je ne lui en demande pas plus.
-Tu as une petite voix, Em.
-Je n'ai pas beaucoup dormi ces derniers temps, avoue-je. C'est seulement la fatigue.
-Tu tenais beaucoup à lui, pas vrai?
Ma gorge se serre comme chaque fois que l'on me parle de lui. J'ai décidément vraiment du mal à avaler la pilule. J'ai quand même passé près de deux mois de ma vie avec lui. Ça pourrait paraître anodin pour la plupart mais c'est une éternité à mes yeux. Il est le seul à avoir partager ma vie. Je ne pourrais pas l'oublier de si tôt. J'ai besoin d'encore un peu de temps. En plus, après ce qu'il s'est passé dans sa chambre la dernière fois, je ne suis plus sûre de rien. J'ai la sensation que notre histoire n'est pas terminée comme nous le prétendons.
-Oui, acquiesce-je d'une voix minuscule.
-Il n'y a aucun moyen d'arranger ça?
-Je ne crois pas, non.
-Tu ne crois pas mais tu n'en es pas certaine, me fait remarquer Charlie de son air professoral.
J'avoue qu'il m'a cloué le bec sur ce coup-là.
-Il y a tout un monde entre les croyances et les certitudes, Em.
-Il me déteste, réplique soudainement. Il ne me pardonnera jamais.
-C'est donc lui qui a mit fin à votre relation?
Mon silence répond pour moi.
-Qu'est-ce que tu en penses toi? me demande-t-il.
-Je pense que c'est peut-être finalement mieux comme ça. Après tout ce qu'il s'est passé depuis notre rupture, j'ai de sérieux doutes sur notre compatibilité. Je ne crois pas qu'il soit celui qu'il me faut.
-Encore une fois, tu penses mais tu n'es pas sûre.
Un soupir m'échappe. Mon frère a foutrement raison. J'essaie de me convaincre moi-même mais l'opération n'est pas si aisée qu'elle n'y paraît. Le comportement de Cam m'a sérieusement déçu, c'est vrai. Je me suis véritablement rendue compte qu'il pouvait être méchant quand il est dévoré par la vengeance. J'ai pris conscience de ce côté diabolique de sa personne.

Seulement, cela n'empêche qu'il me manque atrocement. Je pense à lui chaque fois que je me réveille de mes nuits chaotiques. J'aimerais pouvoir le toucher et l'embrasser de nouveau. Ces idées m'obsèdent et me rendent parfois un peu folle. En plus, je savais qui il était quand je me suis mise avec lui. Je le connais aussi bien que moi-même. Je ne devrais pas être tant surprise par son attitude arrogante et désagréable. Cette histoire est un vrai casse-tête pour moi.
-Je suis perdue, Charlie.
-Je suis là.
Les larmes me montent aux yeux.
-Je ne sais pas comment fonctionne ce genre de relation mais si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n'as qu'à me demander.
-Je te remercie, bonhomme, souris-je sans qu'il puisse me voir.
-Tu as essayé de lui parler?
-C'est sans espoir, soupire-je. La discussion est impossible. Il se conduit comme un con chaque fois qu'il me croise.
Sauf la dernière fois, ajoute subtilement ma conscience.
-Il n'a pas un caractère facile?
-Non, ricane-je en levant les yeux au ciel. Et encore! C'est un euphémisme.
-J'ai du mal à t'imaginer avec quelqu'un comme ça. Toi qui déteste les conflits, je n'aurais jamais cru que tu déciderais de t'engager avec un garçon compliqué comme celui-là.
-Je n'ai pas vraiment choisi, marmonne-je.
-Comment ça?
Je ne suis pas vraiment motivée à l'idée me lancer de ce genre de conversation philosophique mais je ne crois pas pouvoir y échapper. Charlie ne me laissera pas m'en tirer aussi facilement.
-C'est comme quelque chose qui te tombe dessus sans prévenir, lui explique-je du mieux possible. Après ça, tu n'as plus qu'à te débrouiller pour gérer la situation si tu ne veux pas que ça ne t'explose à la figure.
-C'est ce qu'il t'ait arrivé, c'est ça?
Je me mords la lèvre en maudissant mon subconscient d'avoir parlé à ma place.
-Plus ou moins, réponds-je.
-Tu n'as pas réussi à tout contrôler? Étonnant venant de toi qui contrôle toujours tout. Je croyais que tu étais la pro dans ce domaine.
-Je le croyais aussi mais visiblement c'est loin d'être le cas.

J'aurais aimé pouvoir lui dire le contraire mais au vu des derniers événements j'en suis incapable. Je dois me résoudre au fait que je ne peux pas tout contrôler. C'est hors de ma portée. Cam sera toujours cet animal sauvage et indomptable. Au fond de moi, je le savais depuis le début. J'aurais dû me préparer à une telle éventualité.

-Tu vas t'en sortir, Em, m'affirme mon frère en essayant tant bien que mal de me rassurer. Il faut que tu remontes la pente comme tu le fais toujours.

-Oui, je sais. J'ai besoin de temps.

-Et puis, qui sait ? Ton problème va peut-être se résoudre sans que tu ne t'y attende.

-Ça, j'en doute fort.

-Laisse les choses se faire. Parfois, la vie peut être vraiment surprenante.

-Si tu le dis.

Nous passons l'heure suivante à rattraper le temps perdu. Charlie m'assaille de paroles encourageantes. Je ne l'avais jamais vu aussi confiant et optimiste. Il me remonte le morale comme il faut. Notre conversation tourne surtout autour de moi ce qui est assez rare entre nous. Mon frère me parle à peine de ses études et de ses projets ce qui est tout aussi inédit. Quand je raccroche après un long appel, je me sens nettement mieux. Voilà ce dont j'avais réellement besoin.

A présent, il n'y a plus qu'à espérer que Charlie ait raison et que la vie me réserve une nouvelle surprise. 

THE WAY - LA RENCONTREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant